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hospitalité plus généreuse, plus sublime que l'hospitalité monastique. Aussitôt que le frère portier entendait frapper à la porte, il se levait en disant : Deo gratias, comme pour remercier Dieu de cette bonne fortune (1), allait ouvrir, et, ayant salué l'étranger par cette seule parole: Benedicite, il s'agenouillait devant lui et courait prévenir l'abbé. Le devoir de l'hospitalité passait avant tous les autres. L'abbé quittait l'exercice auquel il présidait et venait recevoir celui que le ciel lui envoyait. Il l'accueillait, non comme un étranger, mais comme un frère; non comme un homme, mais comme un ange; je dirai plus, comme Jésus-Christ même (2). Après s'être prosterné à ses pieds, il le conduisait à l'oratoire pour y prier, lui faisait ensuite une lecture d'édification, puis le confiait au frère hospitalier, chargé de s'informer de ses besoins, de régler avec les frères cuisiniers tout ce qui concernait l'heure des repas et le genre de nourriture, de le servir au réfectoire, etc. Les hôtes mangeaient ordinairement avec l'abbé, qui avait pour cela sa table à part.

Après les complies, les deux frères qui avaient été désignés le dimanche précédent, au chapitre, pour cette bonne œuvre, se revêtaient de leurs scapulaires et suivaient l'un après l'autre le frère hospitalier à la celle des hôtes. En entrant, ils relevaient leurs capuchons, et le plus ancien, prenant de l'eau tiéde, lavait les pieds et les mains des voyageurs, que le plus jeune essuyait. A la fin, tous deux fléchissaient le genou, en disant : Nous avons reçu, Seigneur, votre miséricorde, puis ils se retiraient en saluant et en ramenant leurs capuchons sur leurs têtes (3).

(1) Jul. Pâris, Esprit prim. de Citeaux, sectt. 10 et 11: De l'office du portier. (2) Pauperes supervenientes, quos ut Christum suscipere præcipit regula. — Exord. magn., l. 1, c. 24, et parv., c. 16.

(3) Ceci se pratique encore de nos jours à la Trappe.Voir Notice sur la Trapp de Meilleraie, pp. 25 et 26, in-18.

Les moines complétaient les bienfaits de leur charité hospitalière par une dernière aumône, la plus magnifique que l'homme puisse recevoir ici-bas, celle du corps et du sang d'un Dieu, en admettant les hôtes à la confession et à la communion. Le malheureux exilé, le pèlerin pénitent, après avoir déchargé le poids accablant de sa conscience dans le sein d'un pauvre religieux, confié ses égarements au silence mystérieux du cloître, s'en allait muni du viatique sublime, et continuait sa route, plus heureux, plus calme, louant et bénissant Dieu (1).

On ne logeait jamais les chevaux et difficilement les hommes à l'époque du chapitre général, parce qu'alors Morimond était encombré d'abbés, de religieux, de frères et d'équipages; mais, dans tous les autres temps, l'abbaye était un asile toujours ouvert aux voyageurs de tous les pays, que l'on y recevait sans passe-ports, sans argent, sans lettres de change, sur la présentation de leur seul titre d'homme écrit sur leurs fronts.

Vous avez, dit le Prophète, abrité et nourri l'orphelin et l'étranger, réchauffe leurs corps et consolé la tristesse de leurs ames; c'est pourquoi votre lumière brillera dans les ténèbres, et vos ténèbres resplendiront comme les feux du midi (2). Aussi Morimond devint bientôt célèbre pour sa charité; les voyageurs qui en sortaient étaient autant de hérauts qui allaient porter dans les pays les plus éloignés la bonne nouvelle de ses vertus hospitalières, et lui attiraient de nouveaux hôtes.

L'université de Paris, sortie du cloître de Notre-Dame comme de son berceau, était déjà fameuse dès la fin du XIo

(1) Liber usuum, c. 100: Quomodo hospes communicetur. Livre très-rare, appartenant à la bibliothèque de Chaumont ; Nomast. cist., p. 192. (2) Isaïe, c. 58, v. 10.

siècle; mais sa réputation augmenta encore au commencement du XIIe siècle, sous Guillaume de Champeaux et sous ses disciples, qui enseignaient à Saint-Victor; sous Abailard, qui professait avec éclat les lettres humaines et la philosophie d'Aristote; sous Pierre Lombard, etc. Les jeunes gens venaient y étudier de toutes les contrées de l'Europe; ils se réunissaient en caravanes de quinze, vingt et trente, pour se défendre dans le voyage. On leur traçait, au sortir de la maison paternelle, la route qu'ils avaient à tenir et les monastères qui devaient leur servir d'étapes, en allant et en revenant. Celui de Morimond, situé sur le chemin de l'Allemagne et déjà connu dans ces contrées, n'était point oublié.

Un soir, à la fin d'août, au moment où les religieux se rendaient à l'oratoire pour psalmodier les complies; lorsque tous les ateliers étaient fermés, que l'on n'entendait plus que la grand'porte s'ouvrir de loin en loin à quelques convers attardés, revenant des champs en priant et en essuyant la sueur de leurs fronts, tout-à-coup un bruit de chevaux, d'hommes, de bagages arrive aux oreilles du frère portier; la porte retentit presqu'aussitôt sous le coup du marteau : quinze écoliers entrent, demandant l'hospitalité pour eux et pour leur suite. L'abbé, ayant été appelé, accueillit ses jeunes hôtes avec cette politesse exquise, cette douceur maternelle, cette bonté vraiment patriarchale que les étrangers ne rencontraient que dans les couvents. Après avoir rempli envers eux tous les devoirs de l'hospitalité, tels que la règle les prescrivait, le frère hospitalier indiqua à chacun sa cellule et sa couche, et tous se retirèrent pour se livrer au sommeil et réparer leurs forces.

Mais ce fut en vain : la parole si pénétrante et si onctueuse du disciple de saint Bernard avait frappé leurs ames comme une flèche brûlante et s'y était enfoncée profondément. Sa fi

gure pâle, sur laquelle étaient empreintes les joies mystiques et les dures pénitences du cloître, était toujours présente à leur esprit; ils étaient malgré eux sous le charme de ces voix angéliques qui alternaient à leur arrivée des chants divins (1). Ce silence auguste, cette nuit qui couvrait, comme un noir linceul, ce grand tombeau où tant d'hommes étaient ensevelis, morts au monde et à eux-mêmes, pour mériter de vivre un jour de la véritable vie; puis un retour accablant sur le néant des choses de la terre, la vanité de la jeunesse et des plaisirs, toutes ces graves pensées avaient refoulé leurs projets et leurs espérances vers l'éternité.

Le matin, avant l'aurore, lorsque la cloche appela les religieux à matines, les écoliers se levèrent, et se communiquèrent leurs impressions; il arriva que chacun d'eux s'était dit à luimême : C'est ici le lieu de mon repos ; je l'habiterai, parce que je l'ai choisi. Ils firent venir l'abbé sous prétexte de prendre congé de lui, et ils lui déclarèrent leur résolution; Gauthier les embrassa, les bénit, et pria Dieu de les confirmer dans ces pieux sentiments (2). Il apprit alors dans le plus grand détail ce qui les concernait : tous appartenaient aux familles les plus illustres de l'Allemagne ; Othon, le plus distingué d'entre eux, était fils de Léopold, quatrième du nom, marquis d'Autriche, et d'Agnès, fille de l'empereur Henri IV.

Heureux l'enfant qui a formé ses premiers pas dans les sentiers de la vie sous la conduite d'un bon père, et qui a conservé impérissable dans son ame le souvenir de ses leçons et de ses exemples! Plus heureux encore celui qui a vu une mère tendre et vertueuse penchée sur son berceau! La mère, par la puissance et la magie de son regard, de son sourire et de ses

(1) Nous ne faisons que traduire Sartorius, Cist. Bistert., p. 468.

(2) Ex tabula sepulchrali Othon.; — Archiv. de la Haute-Marne, arcul. 2; Sartor., Cister. Bistert., in-fol., pp. 467 et 468.

baisers, façonne le cœur de son enfant à l'image de son propre cœur, et lui donne ce premier branle, ces vibrations natives qui font ordinairement le ton et le mouvement dominants de toute l'existence.

Le jeune Othon avait eu ce double bonheur; son père, surnommé le Pieux par ses contemporains, et honoré comme saint par la postérité, était un chrétien fervent, austère, crucifiant sa chair sous la pourpre, au milieu des délices de la cour des rois, comme s'il eût été au sein du désert et sous le froc des ermites; aimant ses enfants d'un amour véritablement paternel, les regardant comme un dépôt sacré confié à sa vigilante sollicitude et dont il était responsable devant Dieu. Il était admirablement secondé par son épouse, qui, loin de l'entraver, le stimulait par ses exemples dans la pratique du bien, et l'aiguillonnait par ses pieuses exhortations dans la voie des bonnes œuvres (1).

La Providence, qui avait assorti cette union, la rendit heureuse et féconde; Agnès avait épousé en premières noces Frédéric, duc de Souabe, dont elle avait eu Frédéric qui succéda au duché, et Conrad, roi des Romains. Remariée trèsjeune encore à Léopold, elle lui donna seize enfants, dont neuf seulement survécurent, savoir: Othon et Conrad, moines de Citeaux; Léopold, duc de Bavière; Henri, duc d'Autriche; Gertrude, duchesse de Bohême; Berthe, duchesse de Pologne; Ita, marquise de Montferrat; Agnès ou Méranie, reine d'Espagne; etc. Le vertueux Léopold vit tous ces enfants se serrer autour de lui, se grouper autour de sa table comme de jeunes oliviers. Tous déployèrent, en avançant en âge, les plus nobles qualités; tous brillèrent sur des trônes de gloire dans le monde ou dans l'Eglise; tous devinrent un or

(1) Apud Sur., nov. 15, c. 3.

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