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à ses pieds, le conjurant de retourner avec eux dans son castel délaissé, dans ses terres abandonnées, près d'un frère inconsolable qui ne soupirait qu'après son retour, vers ses amis désespérés de sa trop longue abscence; mais ce fut en vain : il accepta la proposition de l'abbé, dit un dernier adieu à ses gens et prit le chemin du monastère.

Nous croyons connaître les plus beaux traits de l'antiquité chrétienne et païenne, et nous affirmons que celui-ci est un des plus touchants et des plus sublimes. Ulysse, Achille, et tant d'autres, reconnus par leurs amis, ne nous offrent que des scènes habilement montées par le génie de la poésie : c'est toujours l'homme et son œuvre; mais quitter librement une des plus hautes positions du monde; renoncer aux honneurs, aux richesses, à la vie la plus enivrante, aux plus douces espérances, pour s'enfoncer et se perdre à jamais dans la peine, la douleur, le mépris et l'ignominie; se décider à n'être rien sur cette terre; passer d'un palais dans une étable, pour y vivre et y mourir au milieu des animaux immondes, sans autres témoins que Dieu et sa conscience, et cela pour expier quelques instants de faiblesse et d'égarement, voilà de ces péripéties chrétiennes profondément morales, qui relèvent la nature humaine, exaltent la justice du ciel; qu'on ne lit jamais sans sentir son cœur palpiter et sans avoir au moins le désir de devenir meilleur !

CHAPITRE X.

Fondation de Theuley; mort de l'abbé Gauthier; élection d'Othon.

Semblable à un grand bassin largement alimenté et qui ne cesse de verser de sa plénitude, Morimond continuait de répandre de sa surabondance autour de lui et dans le sein immense de la catholicité. Nous venons de voir une de ces colonies, après une route longue et pénible, prendre possession du castel d'Ebraw et porter et la charité la paix jusque dans le repaire hideux de la tyrannie et du brigandage; en voici une autre qui s'arrête et pose sa tente à un jour de marche de la métropole, à peu de distance des rives de la Saône, près de Gray, dans le doyenné de Fouvent, au diocèse de Langres. L'origine de cet établissement offre une particularité trop remarquable pour que nous n'en parlions pas.

Il y avait, dans cette partie du comté de Bourgogne, un homme riche et puissant appelé Pierre et surnommé Mauregard, , possesseur des châteaux de Montsaugeon et de Mirebeau. Ce seigneur, à sa mort, avait laissé cinq fils: Eudes, Othon, Renaud, Hugues et Gérard; ce dernier embrassa l'état ecclésiastique et devint archidiacre de Langres. Les autres suivirent la carrière des armes. Leur père, pendant sa vie, avait été lié de la manière la plus intime avec un chanoine de Langres

nommé Gauthier; il lui apparut après sa mort et lui dit : << Maître Gauthier, allez vers mes fils, et priez-les, s'ils veu<«<lent secourir mon ame, de donner aux moines blancs la plaine de Tulley. >>

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Le chanoine n'avait jamais entendu prononcer le nom de Tulley. Or, il arriva, quelques jours après, que les deux fils aînés de Pierre vinrent à Langres; maître Gauthier se rendit près d'eux et leur parla de la sorte:

« Messeigneurs, si votre père vous mandait quelque chose « de l'autre monde, le feriez-vous? >>

Eudes repondit : « Quand bien même mon père me deman<< derait un de mes yeux, je le lui enverrais aussitôt.

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<«<-Eh bien! dit maître Gauthier, il m'a chargé de vous prier d'abandonner aux moines blancs la propriété du champ << de Tulley, afin que son ame, par cette bonne œuvre, ob<< tienne miséricorde auprès de Dieu. »

Eudes répliqua : « Où trouverai-je des moines blancs? »

Une personne qui était là par hasard témoigna avoir vu ce jour même l'abbé de Morimond à Langres; on le fit chercher, et, lorsqu'on l'eut rencontré, les deux seigneurs lui offrirent ce désert (desertum illud), en présence de Guillenc, évêque de Langres.

Notre abbé reçut avec reconnaissance cette donation, et envoya sur les lieux douze moines conduits par un saint religieux appelé Nicodème, qui changea le nom de Tulley (Tulleium) en celui de Theuley (Theo-Locus, Lieu - Dieu), voulant indiquer par là que tout s'était fait par l'inspiration et avec l'aide du Ciel (1).

Sans doute, si ces lignes passent sous les yeux de quelques esprits forts, ils ne manqueront pas de laisser tomber sur elles

(1) Gall. Christ., t. 4, p. 1825, int. Inst., p. 163; Arch. de l'Evêché de Langres, cah. 19, p. 430.

un sourire voltairien, et de crier à la supercherie et à la superstition.

Quand on se sert de moyens aussi peu délicats que ceux que l'on supposerait avoir été employés par nos religieux, il faut qu'on ait en vue des résultats importants; mais qu'était donc Tulley? Un désert, un champ inculte et hérissé d'épines (ager incultus et nemorosus). En le convoitant, les moines n'auraient eu d'autre ambition que celle de lui donner cent années de sueurs, de peines, de labeurs stériles, et d'en laisser les fruits aux générations futures; alors, prions Dieu que cette ambition sublime se propage de plus en plus, pour le bonheur du monde (1).

Vous ne croyez pas aux apparitions; eh bien! disons que ce n'est point l'ombre d'un mort, mais le génie de la France qui s'est montré à un prêtre vénérable, et lui a commandé d'envoyer des cénobites sur les bords de la Saône, pour y mettre en honneur l'agriculture, et tirer des entrailles d'un sol ingrat une de nos plus belles et de nos plus riches contrées.... (2).

Parmi les causes qui ont le plus puissamment contribué à glorifier Morimond, en l'étendant au dehors et en l'affermissant au dedans, il faut placer en première ligne la présence et l'action d'un abbé tel que Gauthier; mais ce pieux religieux, l'ami et le bras droit de saint Bernard, était mûr pour le ciel, et, après une administration trop courte, il s'endormit dans

(1) Eudes et Othon abandonnèrent à Vaucher, abbé de Morimond, une certaine étendue de terres couvertes de broussailles; les religieux, s'y étant établis, défrichèrent les terrains d'alentour, y amenèrent des colons qui bâtirent progressivement des maisons et formèrent le village de Vars et plusieurs autres. Extr. de l'Ann. de la Haute-Saône, par L. Suchaux, art. Vars.

(2) Mangin, Hist. ecclés. et civ. du diocèse de Langres, t. 2, p. 410. - Ce fut à l'aide des archives de Theuley et des mausolées de son église que le savant André Duchesne a composé sa généalogie de l'illustre maison de Vergy.

le Seigneur (1). Othon d'Autriche fut proclamé d'une voix unanime pour lui succéder; il venait de passer environ quatre ans dans l'université de Paris, où il avait suivi les maîtres les plus fameux et enseigné lui-même avec la plus grande distinction. Il se faisait remarquer surtout par une connaissance profonde de l'Ecriture-Sainte, des saints Pères et de la théologie, d'après la méthode scholastique telle que l'on commençait alors à l'apprendre (2).

Les Arabes ayant soumis un grand nombre de provinces, en Asie, en Afrique et en Europe, leurs rapports avec les nations vaincues, particulièrement avec les Syriens, les Juifs et les peuplades helléniques, leur firent sentir le besoin de fonder des écoles, de rassembler de riches bibliothèques et de traduire les écrivains grecs. Parmi les philosophes, Aristote fut à peu près le seul qui fixa leur attention. Plusieurs de ses ouvrages furent publiés en arabe, et les Juifs en donnèrent des versions en hébreu; de cette langue, plus connue en Europe, ces mêmes livres passèrent dans des traductions latines.

Othon se livra avec ardeur à l'étude de la philosophie aristotélique : le premier, dit Radewic, il la révéla à l'Allemagne, et apprit aux théologiens de cette contrée à se servir prudemment des formules de la logique pour la démonstration du dogme chrétien, de manière à éclairer la foi par la raison et à régler la raison par la foi, ouvrant ainsi une ère nouvelle et préludant aux grands travaux de cette immortelle école du XIIIe siècle qui se résume dans la Somme de saint Thomas, un des plus complets et des plus vastes monuments de l'esprit humain.

Nous ne craignons pas de dire que, pour la variété et l'étendue des connaissances, Othon l'emportait sur tous les abbés

(1) Il est honoré comme saint par plusieurs.

(2) Annal. cist., t. 1, p. 224; - Radew., 1. 2, De Gest. Frider., c. 11.

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