Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

de Cîteaux ses contemporains, et même sur saint Bernard, qui lui était d'ailleurs bien supérieur sous le rapport du génie et de l'éloquence; quand donc il monta sur le siége abbatial de Morimond, toute la science qu'on enseignait alors dans les écoles sembla v monter avec lui.

Les socialistes qui veulent s'arrêter sur la pente qui conduit à l'abîme du communisme reconnaissent dans leurs théories les droits du travail, de la capacité et du capital; mais qui jugera de la capacité? qui estimera le travail ? qui fera la part du capital égoïste? qui sera assez habile pour fusionner ces éléments divers? La charité chrétienne seule, dans l'institut cénobitique.

Le fils du marquis d'Autriche, doublement prince par son esprit et sa naissance, oublia son origine, ses talents, son instruction, pour se vouer entièrement à sa communauté, se faisant tout à tous, condescendant aux besoins des faibles, dirigeant l'énergie des forts, unissant à la sévérité une tendre compassion pour la faiblesse humaine; toujours le premier au chœur, au chapitre, dans les champs; ne dédaignant pas de bêcher, de semer, de moissonner, de porter le fumier, comme le dernier des convers. Il retrouvait cependant de temps en temps l'occasion de donner l'essor aux brillantes facultés de son ame, dans les conférences ou collations en usage dans l'ordre de Citeaux. Son éloquence était, comme la nature de Morimond et les forêts de la Germanie, empreinte de je ne sais quoi de grandiose, de sombre et de mélancolique. Pénétré de la crainte des terribles jugements de Dieu, il ramenait souvent ses moines à la pensée de la mort, de la fin du monde et de l'éternité, représentant le cloître comme une école où l'homme venait apprendre à mourir, et le religieux comme un voyageur qui attend debout, les reins ceints et le bâton à la main, sur le seuil de l'hôtellerie, le moment du départ.

Ce fut à Morimond, dans les courts instants que ses nombreuses occupations lui laissaient libres, qu'il composa les premiers livres de son Histoire ancienne et la plus grande partie de son Traité théologique des derniers temps (1). La renommée de sa doctrine, de sa piété et de ses talents administratifs lui attira de toutes parts une foule si considérable de disciples, qu'il fallut songer à fonder de nouveaux monastères. Quelqu'un lui ayant offert une terre dans le diocèse de Metz, il y envoya Henri, l'un de ses quinze compagnons, fils du comte de Carinthie, allié à la famille des comtes de Champagne, et nommé plus tard à l'évêché de Troyes de là l'origine de Villers-Bethnac, dont nous aurons occasion de parler plus tard (2).

:

Le vénérable Evrard, enseveli dans la solitude, avait senti s'apaiser peu à peu les orages de son cœur, et jouissait de ce calme divin qui ne manque jamais de se faire dans une conscience purifiée par le repentir. C'était un beau et touchant spectacle de voir le vieux guerrier incliner son front cicatrisé devant la majesté du Très-Haut, couvrir du capuce sa tête qui s'était enorgueillie sous un casque étincelant d'or, et se prosterner humblement, en plein chapitre, aux pieds du dernier des frères pour lui demander pardon. Il faut plus de force et de grandeur d'ame pour remporter de pareilles victoires sur soi-même que pour conquérir des mondes, comme les Alexandre et les César. Les anges sont heureux de ne pouvoir pécher; mais nous mettons bien au-dessus de leur bonheur la vertu des hommes qui savent réparer ainsi leurs fautes.

Nos moines n'étaient point, comme les Chartreux, voués à

(1) Epitome ejus Vitæ, in tabul. sepulchr. Morim.. Nous donnons, aux Pièces justificatives, la liste de ses ouvrages.

(2) Claud. Robert, Gall. christ., p. 180; Annal. cist., t. 1, p. 247. Elle était située à seize kilomètres de Metz, et à 10 kilomètres de Thionville. Son premier abbé est regardé comme son fondateur par quelques-uns. — D. Calmet, Hist. ecclés. et civ. de Lorr., t. 2, p. 75.

une immobile contemplation et astreints à une invincible clôture. Cîteaux brûlait des ardeurs du prosélytisme : chaque abbaye cherchait à étendre autour d'elle et le plus loin possible le règne de Dieu, et chaque moine était au besoin missionnaire. Othon crut que le moment était venu pour Evrard de payer sa dette, et il le chargea de porter dans son pays et au sein de sa famille l'esprit qu'il avait puisé à Morimond, c'està-dire l'esprit de paix et de liberté, l'amour des champs et des travaux agricoles.

Lorsqu'il entra dans le castel de ses aïeux, ses compagnons d'armes, ses anciens serviteurs ne pouvaient le reconnaître sous son froc de grosse laine, avec ses sandales, sa tête rasée; tous versaient des larmes, embrassaient ses mains, baisaient sa robe et demandaient sa bénédiction. Son frère Adolphe, dont il était tendrement aimé, se jeta dans ses bras, transporté de la joie que lui causait son retour. Comprenant bientôt quel était le but principal de son voyage, il lui offrit, pour en faire un monastère de son ordre, le fort d'Aldenberg, et y ajouta une quantité assez considérale de terres pour la subsistance et l'entretien des moines (1). Evrard, ayant tout disposé convenablement, et transformé le vieux manoir en couvent, fit venir des religieux de Morimond pour y prier et y travailler ensemble; il Ꭹ resta lui-même jusqu'à ce que le nouvel établissement, lui paraissant suffisamment fondé et affermi dans la discipline monastique, il en sortit, bénissant Dieu de l'avoir si bien secondé dans ses desseins, et entra dans la Thuringe pour y visiter ses parents, le comte Zizzon et la comtesse Giselle....

La parole du moine doit être toujours et partout une parole de vie et de salut; celle d'Evrard, appuyée de l'austérité de sa pénitence, produisit sur l'ame des deux époux une impression

(1) Henriq., Menol. cist., mart. 20; ann. 1133.

Aub. Mircæus, Chron. cist., ad

profonde. Ils lui proposèrent de rester près d'eux pour les guider dans la voie de la vertu, s'engageant à lui céder, pour y bâtir un couvent, un lieu inhabité, appelé le mont Saint-Georges (Jorisberg), avec toutes ses dépendances.

Il fut heureux tout à la fois de trouver cette occasion de propager l'institut de Cîteaux et d'être agréable à ses parents; c'est pourquoi il revint promptement à Morimond rendre compte de son voyage. Othon, prenant conseil des plus anciens, choisit douze religieux et plusieurs frères convers, avec le pieux Evrard pour conducteur et père spirituel. La colonie passa par Mayence, où le nouvel abbé reçut la bénédiction de l'archevêque Henri. Le lendemain ils prirent possession de la maison qui leur était destinée, après l'avoir consacrée à Dieu, sous l'invocation de la sainte Vierge et de saint Georges (1).

Evrard termina saintement sa carrière dans la paix du cloìtre, édifiant par sa vie pénitente ceux qu'il avait eu le malheur de scandaliser. Son frère Adolphe d'Altena, après la mort de son épouse, vint lui demander l'habit monastique. La Providence bénit en lui toute sa parenté, jusque dans la postérité la plus reculée. Sans parler de plusieurs autres, saint Engelbert, archevêque de Cologne et martyr, fut pour ainsi dire l'enfant de ses prières et de ses sacrifices (2).

Mille fois heureuses les familles des saints! la vertu s'y transmettra comme un héritage de génération en génération; elles exhaleront longtemps, à travers les âges, la bonne odeur de Jésus-Christ, comme ces vases embaumés où des essences suaves se survivent à elles-mêmes durant des siècles, par un parfum immortel!

[blocks in formation]

CHAPITRE XI.

Mort de saint Etienne Harding; merveilleuse fécondité de Morimond;
Waldsassen, Sainte-Croix, Beaupré, Belfays, etc.

Pendant que Morimond florissait sous Othon et parvenait au plus haut point de sa gloire, que saint Bernard marchait à travers l'Italie au secours de la papauté sans autres armes que son génie et sa prière, et que tout Cîteaux se mettait en mouvement pour accomplir sa mission providentielle, Etienne, le vénérable père de la grande famille, usé plus par les austérités que par les années, et ayant la vue si affaiblie qu'il ne pouvait plus voir, se démettait en présence du chapitre de sa charge pastorale, désirant tourner paisiblement toutes ses pensées vers Dieu et se préparer à la mort. Il ne devait pas jouir longtemps de ce repos si bien mérité; quelques mois après, le 28 mars 1134, il expira sans douleur, avec le calme et la sérénité des saints, et alla recevoir au ciel sa récompense, près de saint Robert et de saint Albéric, ses prédécesseurs (1).

Othon, qui avait assisté saint Etienne dans ses derniers moments, était à peine de retour dans son monastère, qu'il fallut songer à de nouveaux établissements. Déjà, l'année précédente, il avait vu avec une douce satisfaction Bithaine et Clairefon

(1) Exord. magn., l. 1, c. 37; - Dalgairns, Vie de S. Etienne, p. 309.

« ZurückWeiter »