Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

font, au diocèse de Comminges (1). Lorsque les moines, réunis à l'oratoire selon l'usage, virent cette troupe de frères si tendrement aimés quitter leurs stalles, ils fondirent en larmes, et la voix des chantres fut étouffée par les sanglots. On les accompagna jusqu'à la porte, dans un silence lugubre : ils sortirent deux à deux; la porte s'étant refermée, la communauté retourna à l'oratoire, et les pèlerins du Christ et de la civilisation, plus forts que la nature, continuèrent le chant d'adieu en gravissant le versant du vallon (2).

Parmi ces hommes qui s'en allaient, avec la croix seule, prier, pleurer et travailler sur les bords des fleuves, dans les marais, les forêts et les déserts, plusieurs avaient été mariés et s'étaient séparés de leurs épouses par un consentement mutuel. L'Eglise, dans sa sagesse, n'admettait l'homme dans le cloître qu'autant que la femme embrassait l'état religieux dans une autre communauté. Or, l'abbé Arnould, ayant reçu du vicomte de Clémont une terre non loin du château de Montigny, sur le versant oriental de la montagne, avait eu l'heureuse idée d'y faire bâtir une maison destinée à servir d'asile aux femmes dont les maris entreraient à Morimond, leur donnant la règle de Cîteaux, afin de conserver entre les époux séparés une communauté d'observances, de prières et de vie mystique. Cet établissement naissant avait beaucoup souffert de la fuite d'Arnould; mais Othon le releva, l'agrandit, et y fit entrer plus de trente nobles dames de France et d'Allemagne (3).

Ce monastère, à trois lieues seulement au sud-ouest de Morimond, situé dans un beau vallon coupé d'un ruisseau, dé

(1) Il paraît que le terrain et les granges avaient été donnés dès le temps de l'abbé Gauthier. Voyez Gall. christ., t. 1, int. Inst., p. 192, col. 2; - id.,

p. 179, col. 1.

(2) Tabul. Morim., ad ann. 1137.

(3) Archiv. de la Haute-Marne, Arcu!. Belfays, alias Belfail, vel Beaufaës.

bouchant sur la Meuse, s'appelait Belfays (Bellus fagus) (1). Il avait été doté splendidement par les sires de Nogent, qui lui cédèrent Isonville; par Foulque de Choiseul, qui lui abandonna sur le territoire de Chézeaux autant de terrain que les convers et les mercenaires pourraient en cultiver ; par Gérard de Dammartin; par Baudouin et Aalis de Marnay; etc. (2).

Ainsi, pendant que les époux feront retentir les forêts de Morimond des graves accents de leur psalmodie, les épouses, comme d'innocentes colombes, soupireront doucement les louanges du Seigneur à l'ombre des grands hêtres de Belfays, et l'harmonie de toutes ces voix montera jusqu'aux cieux et retombera sur le Bassigny en bénédictions.

CHAPITRE XII.

Othon est élu évêque de Frisingue; il régénère son diocèse.
Influence de Citeaux sur les mœurs cléricales.

Nous entendons retentir à chaque instant autour de nous les mots pompeux «< d'organisation sociétaire, d'association humanitaire, » etc. Or, l'association, dans son acception la plus

(1) Gall. christ., t. 4, p. 656. Nous avons trouvé aux archives de la Haute-Marne plusieurs pièces concernant Belfays cette maison jouissait de droits considérables sur les terres de Lécourt, de Malleroy, de Maulain, de Pouilly, etc.; sur une grande partie du plateau de Montigny, du côté de Langres; dans la vallée de la Marne : à Hume, Veseigne, Rolampont, etc. Il pa

(2) Mangin, Hist. ecclés. et civ. du diocèse de Langres, t. 2, p. 168.

étendue, la plus communiste si l'on veut, caractérise une réunion volontaire de forces agissant dans une même direction pour réaliser un résultat dont les avantages se répartissent sans différence et sans distinction à chacune des forces associées.

L'idée d'association suppose donc :

1° Unité de lois et d'action, ce qui correspond à l'idée d'ordre ;

2o Unité des cœurs, par la sympathie ou la fraternité;
3o Le concours volontaire des forces, ou la liberté;
4° La répartition égale des avantages, ou l'égalité.

Il est impossible d'envisager d'un point de vue plus vaste, plus élevé, la théorie de l'association. Eh bien! cette théorie éblouissante, qui a fasciné tant de nobles intelligences, vous ne l'incarnerez jamais dans une nation : les innombrables divergences des individualités vous échapperont toujours; vous n'aboutirez qu'à la confusion; bientôt vous aurez l'anarchie à la place de l'ordre, la guerre civile au lieu de la fraternité, le despotisme le plus hideux pour la liberté, et la spoliation au nom de l'égalité.

L'association complète ne sera jamais réalisée que dans le catholicisme, par quelques ames d'élite, dans des conditions particulières et avec une grâce spéciale de Dieu. L'association cénobitique, une fois constituée, exerce sur toutes les classes de la société la plus salutaire influence; elle les forme à son image; par sa puissance d'expansion, elle répand au loin autour d'elle des émanations de sa vie, c'est-à-dire des semences

rait que Belfays avait dans sa dépendance une maison religieuse à Chézeaux, près de Varennes, qui lui servait comme de succursale; nous n'avons retrouvé aux archives de la Haute-Marne qu'une seule pièce authentique concernant ce monastère: c'est l'acte par lequel Catherine, abbesse de ce couvent, se met dans la dépendance de Morimond, sous l'abbé Aliprand (Voir aux Pièces justificatives).

fécondes de piété, de moralité et de fraternité; tandis que, par sa puissance assimilatrice, elle attire et s'incorpore tous les éléments doués de quelqu'affinité avec elle. C'est ce qui est arrivé à Morimond.

Il y avait à peine vingt-cinq ans que quelques pauvres religieux s'étaient retirés dans une obscure et impénétrable forêt du Bassigny, pour y expier par leurs macérations les crimes de la terre, et déjà cette humble solitude bénie du ciel était devenue une des métropoles de l'ordre monastique. Les abbayes de sa filiation s'étaient multipliées au nombre de plus de cinquante; il y en avait dans l'est de la France, au milieu des forêts de la Germanie, aux frontières de la Pologne, de la Suède et de la Norwège; en Suisse, en Italie et aux portes de l'Espagne (1). Morimond était solidement fondé : un horizon immense se déroulait devant lui, et il n'avait plus qu'à marcher à grands pas à l'accomplissement de ses destinées.

Cependant la Providence lui réservait, cette année même, une bien dure épreuve. Othon, sa lumière, sa gloire et sa force, jeune encore et promettant une longue et heureuse administration, fut nommé au siége épiscopal de Frisingue. Innocent II avait été heureux de ratifier cette nomination, car il existait toujours au sein de l'Allemagne des ferments de discorde la guerre entre les deux puissances était plutôt assoupie qu'éteinte; enfin, Conrad, de l'altière maison de Souabe, venait d'être élevé à l'empire; il était frère utérin d'Othon. Innocent sentit combien il importait qu'un religieux aussi dévoué au Saint-Siége que l'abbé de Morimond, l'égal de l'empereur par sa naissance, son supérieur par l'ascendant de la vertu, de la science et de sa double consécration comme évê

:

(1) De tous les auteurs cisterciens, Jongelin est celui qui a tracé le tableau le plus complet de la filiation de Morimond dans les diverses parties du monde.

que et comme moine, fût placé sur les premiers degrés du trône, pour faire entendre la vérité au pouvoir et seconder la papauté dans le grand mouvement qu'elle allait imprimer, par Câteaux, aux nations européennes.

Cette nouvelle, accueillie au-delà du Rhin par de grandes démonstrations de joie, fut un coup de foudre pour Morimond. Quelque douloureux que dût être pour lui l'instant de la séparation, Othon offrit son sacrifice à Dieu et s'éloigna, l'ame pleine de tristesse, au milieu des soupirs et des sanglots de tous ses frères, disant adieu à la sainte maison où il avait traversé, comme novice, religieux et abbé, toutes les phases de la vie monastique.

A peine eut-il pris possession de son siége, qu'il s'occupa aussitôt de faire restituer les biens usurpés sur son église, de relever les édifices sacrés et les monastères qui tombaient en ruines, de réformer le clergé, remettant en honneur l'étude des saintes Lettres, et, par ses exhortations et par ses exemples, rallumant le flambeau de la foi presque éteint dans ces malheureuses contrées (1).

L'état désolant dans lequel il avait trouvé son diocèse était à peu près celui de toute la Germanie et du nord de l'Europe. Le féodalisme avait envahi l'Eglise et l'avait souillée; l'Eglise se plongea dans les eaux vives de l'ascétisme monastique pour se purifier, comme le cygne se plonge dans le lac pour effacer la poussière qui ternit la blancheur de ses ailes.

Dans toutes les institutions terrestres, le mal est toujours à côté du bien; le bien même s'élabore dans le mal, Dieu faisant tourner la dépravation et la perte des uns à la régénération et au salut des autres, opposant, dit saint Augustin, la grâce au péché, la vertu au vice, la vie à la mort, et relevant ainsi, par l'antithèse, le drame des siècles.....

(1) Ann. cist., t. 1, p. 377;- Radev., lib. 2, De Reb. Frider., c. 2.

« ZurückWeiter »