Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

tères de Saint-Germain de Paris, de Saint-Germain d'Auxerre, de Corbie, de Fontenelle, de Prom, de Saint-Gall, de Ferrières, d'Aniane, de Saint-Agnan d'Orléans, de Saint-Benoîtsur-Loire, etc. Lorsque les Normands et les Sarrazins ravagent les provinces maritimes, les muses se sauvent dans les cloîtres les plus reculés, vers la Meuse, le Rhin, le Danube, dans la Saxe et le fond de l'Allemagne (1).

Au Xe siècle, la conquête germanique a attaché ses racines au sol, un ordre social définitif doit naître de ces conquérants devenus propriétaires fonciers, l'état de l'Europe va changer; mais qui présidera à cette transformation nouvelle du monde? Un nouvel institut cénobitique. Au déclin de la race carlovingienne, en face du berceau de la féodalité, au moment où la papauté commence à être portée à la suprématie universelle, surgit l'ordre de Cluny. La physionomie de la réforme clunisienne demeure liée aux trois faits qui suivent :

1° Il fallait recueillir les débris du siècle de Charlemagne, et, avant que les langues et les constitutions modernes sortissent de leurs germes, offrir un abri sûr à la civilisation latine, à la littérature ecclésiastique, la seule qui vécût encore fortement ;

2o Balancer la puissance féodale par une autre puissance plus grande et plus sacrée, soustraire à l'empire de la force sauvage un coin de terre et y ouvrir un asile aux innombrables victimes du despotisme et de la barbarie ;

3o Appeler au désert et retremper aux sources vives du monachisme des hommes géants, comme Grégoire VII, Urbain II, etc., dont le bras de fer doit émonder le sanctuaire et courber le front des peuples et des rois.

Telle a été la triple mission providentielle remplie pendant

(1) Fleury, Discours sur l'Hist. ecclés., depuis l'an 600 jusqu'à 1100. §§ 24 et 22, Ecoles, Monastères, Succession des Docteurs, etc.

près de deux siècles par Cluny (1); mais, dès qu'un ordre a cessé d'être d'accord avec les nécessités catholiques qui l'ont créé et rendu fort, paraît aussitôt un autre ordre religieux qui le surpasse et le remplace. Jamais cette succession immortelle de corporations pieuses n'a manqué aux besoins divers des sociétés chrétiennes.

Des profondeurs de la vallée clunisienne où s'étaient opérés tant de prodiges, je me transportais en esprit sur les sommets des Alpes, témoins d'autres merveilles; j'y voyais avec non moins d'admiration des milliers de mains se levant tour-à-tour vers le ciel pour l'implorer, et s'abaissant vers la terre pour la féconder. Dès la fin du XI° siècle, les enfants de saint Bruno semaient sur des monts longtemps improductifs et inhabitables des pins, des sapins, des mélèzes, des platanes et d'autres grands arbres qui nous fournissent aujourd'hui des bois pour la construction de nos vaisseaux, créaient tout un système forestier, opposaient des digues aux torrents, jetaient des ponts sur des abîmes, traçaient des routes, construisaient des chalets, organisaient des métiers, des manufactures, transcrivaient des manuscrits et donnaient au monde, avec l'exemple des plus sublimes vertus, celui du travail modeste et patient, de l'économie domestique, de l'amour des champs et de la nature (2). En face du berceau de la démocratie, lors

(1) M. P. Lorain, Essai historique sur l'Abbaye de Cluny, in-8°, spécialement les cc. 4, 5, 6, 7, 8 et 11; - Bargond, Un voyage à Cluny, 1844, in-12; — B. Glaber, Chron., Collect. de Pithou et de Duchesne;- Gall. Christ., t. 4, pp. 271 et suiv.; D. Mart. Marrier, Biblioth. Cluniac., in-fol., avec les notes de André Duchesne.

(2) Petreius, Biblioth. seript. Cartus., in-8°: nous n'avons trouvé cet ouvrage qu'à la bibliothèque de la ville de Lyon; Jacques Corbin, Hist. des Chartreux, in-4°, 1653; Innoc. Le Masson, Statuts des Chartreux, avec des notes savantes, in-fol., 1687; - Bern. Tromby, Storia critic., chronol. e diplomat. del patriarc. S. Brunon e del suo ordin., Neapol., 1773, 10 vol. in-fol.; Tableau hist, et pitt, de la Grande-Chartreuse et de ses alentours, par un relig. du monast., 1838, in-8°; - Lettu, Descript. des déserts de la Grande-Chartreuse, 1820, in-fol., fig.

que

le tiers-état commence à se dessiner, que les communes s'affranchissent partout du joug des seigneurs, la Providence, pour hâter et diriger le grand mouvement qui doit emporter la société européenne vers une ère nouvelle, suscite les ordres mendiants, c'est-à-dire les ordres plébéiens, les lie par des relations de sympathie et de famille avec les classes inférieures. « Vous les trouvez, dit Chateaubriand, à la tête des insur«<rections populaires : la croix à la main, ils menaient les << bandes des pastoureaux dans les champs, comme les pro<«< cessions de la Ligue dans les murs de Paris. En chaire, ils <«<exaltaient les petits devant les grands, et rabaissaient les <<< grands devant les petits. La milice de saint François se mul<«< tiplia, parce que le peuple s'y enrôla en foule; il troqua sa <«< chaîne contre une corde, et reçut de celle-ci l'indépendance <«<< que celle-là lui ôtait; il put braver les puissants de la terre, <«< aller avec un bâton, une barbe sale, des pieds crottés et <«< nus, faire à ces terribles châtelains d'outrageantes leçons. << Le capuchon affranchissait encore plus vite que le heaume, « et la liberté rentrait dans la société par des voies inatten<<< dues. >>

Pendant que le cordelier montait du foyer de la chaumière au foyer du manoir, et formait comme un lien intermédiaire entre deux classes sociales séparées par un intervalle immense, l'Université de Paris, sortie du cloître de Notre-Dame, son berceau, grandissait et florissait à l'ombre du froc (1): les dominicains et les augustins passaient tour-à-tour de la chaire des écoles dans la chaire des cathédrales, traitaient toutes les questions théologiques, politiques, philosophiques et sociales, et mettaient sur la voie de toutes les découvertes modernes (2); l'Europe savante reste suspendue pendant près de

(1) Du Boulay, Hist. de l'Université, t. 1, in-fol., passim.

(2) L. Torelli, Secoli Agostiniani, ovvero Istoria gener. del sacro ordin.

six siècles, comme par un aimant magique, aux lèvres d'un moine.

C'était en errant tristement parmi les ruines de Morimond et sur les môles de ses étangs battus par les flots, ou assis rêveur sous les grands chênes de ses forêts, que je repassais dans mon ame, à l'aide de mes souvenirs, la mission providentielle de nos ordres monastiques; j'avais trouvé la raison d'être des moines d'orient dans la corruption et les bouleversements de l'empire; celle des bénédictins dans l'invasion des barbares; celle des clunisiens dans les vices du clergé séculier et les vexations tyranniques de la puissance temporelle. Les franciscains avaient été suscités pour être les précepteurs des pauvres serfs, et, au prix de leur sang, frayer à l'Europe, par leurs missions lointaines, des voies nouvelles dans toutes les parties du monde (1). Les dominicains s'étaient levés en face des Vaudois et des Albigeois, et avaient déclaré à la raison révoltée contre la foi cette guerre qui leur a valu tant de victoires et une gloire qui dure encore (2). Saint Ignace s'était révélé en même temps que Luther, et la Réforme avait rencontré dans l'arène la Compagnie de Jésus, qui semblait l'attendre armée de toutes pièces (3).

eremit., divis. in tredecim secoli; 1659, 8 vol. in-fol., Bonon.; des Ecrivains de l'ordre des Augustins, in-8°.

Rivius, Traité

[ocr errors]

(1) Luc de Wading, Annales de l'ordre des Franciscains, 17 vol. in-fol.; id., Bibliothèque des écrivains Cordeliers, 1 vol. in - fol. continué par F. Harold; Dyonisius Genuensis, Biblioth. scriptor. ordin minor. Capuc., 1 vol.

[ocr errors]

in-fol., 1691; — Zachar. Boverius, Annal. ord. Capuc., in-fol.

(2) Jac. Echard et Jac. Quétif, Scriptor. ordin. prædicat. recensit., notisque histor. et critic. illustr., 2 vol. in-fol. ; — Hist. gener. de santo Domingo e de su orden de predic., Valladol., 1612-1621, 5 vol. in-fol.; Th.-M. Mamachi, Annal. ord. predic. Rom., 1756, in-fol.; Touron, Hist. des Hommes illustres de l'ordre de S. Dominique, 4 vol. in-4o.

-

(3) Biblioth. des Hommes illustres de la Compag. de Jésus, commencée par le P. Ribadeneira, et continuée jusqu'en 1618, poursuivie par le P. Philippe Alagambe jusqu'en 1643, par Sotwel jusqu'en 1673, et plus tard par le P. Oudin. On porte à douze mille le nombre des écrivains Jésuites; voir De Ravignan, De l'Exist. et de l'Institut. des Jésuites, p. 53, 1844.

Je n'avais pas bien compris jusqu'alors, je l'avoue, le rôle de Citeaux, dont l'abbaye de Morimond avait été une des plus illustres filles: le but et le caractère de sa mission ne m'apparaissaient pas bien clairement; cependant le doigt de Dieu devait être là comme ailleurs. Je me représentai l'Europe durant les trente premières années du XII° siècle, et je la vis en proie à la plus affreuse anarchie. La guerre entre le sacerdoce et l'empire se poursuit avec le plus terrible acharnement; quatre ou cinq papes proscrits et fugitifs viennent demander un asile à la terre toujours catholique et toujours hospitalière de France (1). Le cruel et perfide Henri V surprend Paschal II, le charge de chaînes et lui arrache la concession du droit d'investiture (2).

A cette désolante nouvelle toute la chrétienté jette un cri de douleur et d'effroi; mais les portes de l'enfer ne prévaudront point encore cette fois contre l'Église : saint Bernard, cette année même, forme le projet d'entrer dans le cloître avec ses compagnons. Voici venir d'une forêt marécageuse de la Bourgogne une nouvelle milice; dans moins de vingt-cinq ans, plus de soixante mille moines cisterciens, du Tibre au Volga, du Mancanarez au golfe de Finlande, se lèvent comme un seul homme, se groupent à l'entour de la papauté, marchent avec elle à la rencontre de la puissance temporelle partout envahissant le domaine ecclésiastique, et l'on verra les princes les plus puissants et les plus fiers de leur siècle trembler sur leurs trônes devant le scapulaire d'un ermite et s'incliner sous le souffle de ses lèvres.

Chose étonnante! les enfants de Citeaux défendent d'un côté la papauté contre les empiétements de la royauté, de l'autre ils

(1) Urbain II, Paschal II, Gélase II, Calixte II, Innocent II, dans l'espace de 35 ans.

(2) Chronic. Cassin., liv. 4, chap. 37.

« ZurückWeiter »