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à donner sa vie au parti politique qui l'a achetée d'avance (1).

Si l'on veut prévenir les effroyables révolutions dont le germe couve en ce moment sous la blouse et le sarrau de l'artisan, il faut trouver un dérivatif. L'élément industriel aujourd'hui, comme l'élément guerrier et chevaleresque au XII° siècle, absorbe trop de forces, trop d'activité, trop de vie. Qui nous donnera le secret de ramener les enfants des laboureurs au sol qu'ils ont déserté, et, en déversant le trop plein des ateliers et des usines sur les campagnes, de contre - balancer le poids accablant de l'industrie, qui pèse sur le monde moderne et menace de l'écraser? (2)

Pour y réussir, il faudrait rendre à l'agriculture sa dignité, en la relevant aux yeux des cultivateurs eux-mêmes et dans l'opinion publique. Nous n'avons point de consuls comme les vieux Romains, ni d'empereur comme les Chinois à envoyer à la charrue, ni un Virgile comme Auguste pour chanter les travaux champêtres; mais ce que toute la puissance et tout le génie du monde n'ont pu faire et ne feront jamais, le catholicisme l'a accompli et l'accomplira encore (3).

Si l'agriculture, que nos moines ont mise en honneur parmi les barbares et sous le féodalisme, doit être réhabilitée une troisième fois en Europe, ce sera par la religion, qui a levé l'antique malédiction donnée à la terre après la chute d'Adam; ce sera par le Dieu de l'étable et de la crèche, aux yeux duquel la puissance et la gloire sans la vertu ne sont rien,

(1) Frégier, Des Classes dangereuses dans les grandes villes, 2 vol. in-8°; Villermé, Etat physique et moral des ouvriers, 2 vol. in-8°.

(2) Delafarelle, Du Progrès social, 2 vol. in-8°; - id., Réorganisation des classes industrielles, 1 vol. in-8°.

(3) Nous pourrions citer plus de cent ouvrages composés par des hommes éminents de notre époque sur les diverses branches de la science agricole; il ne nous manque plus qu'une chose après tant de belles paroles de bons exemples.

et qui un jour trouvera plus à récompenser dans le dernier des piocheurs que dans le plus fameux des rois. Ce sera surtout quand les enfants des capitalistes et des financiers, à l'exemple de saint Bernard et de ses compagnons, viendront, dans un esprit de foi et de dévouement, se transformer en hommes nouveaux sous le froc bénédictin, dans quelque solitude mystérieuse; en sortiront, tenant d'une main la bêche et de l'autre le Psautier, pour se mêler aux laboureurs, aux faucheurs, aux moissonneurs, et leur apprendre par leur exemple à louer et à bénir Dieu dans la joie de leur cœur. Alors il n'y aura plus d'envie et de découragement en bas, parce qu'il n'y aura plus de mépris et de dédain en haut: malgré la diversité du rang et de la fortune, tous seront égaux par la charité, tous ne feront qu'un peuple de travailleurs et de frères en Jésus-Christ.

Il faut rendre à l'agriculture son attrait et sa moralité, en restituant aux agriculteurs leurs dimanches et leurs fêtes, avec ces innocents plaisirs qui font le bonheur de la vie des champs; en rehaussant le culte extérieur et la pompe des grandes solennités chrétiennes, dans lesquelles l'agriculteur, transporté d'enthousiasme par le chant des hymnes et la mélodie de la musique sacrée, enveloppé d'un nuage d'encens, oubliait sur le sein de Dieu ses peines et ses fatigues; en le ramenant à la communion au corps et au sang de JésusChrist mort pour ses frères, source intarissable d'humilité, seule capable de lui faire accepter sa position avec résignation, de lui faire estimer les choses du monde leur juste prix, et d'attiédir par la jouissance de l'infini l'ardeur avec laquelle l'homme se prend à tout ce qui passe (1).

Voyons ce qu'était l'agriculture dans les premiers siècles

(1) Cibrario, Economie politique du moyen-âge, 1 vol in-8°.

du christianisme? Une fête continuelle; de quelque côté que vous vous tourniez, dit saint Jérôme (1), vous entendez les échos des montagnes et des vallons redire les mâles accents de nos cultivateurs : le laboureur, en guidant sa charrue, chante alleluia; le moissonneur qui sue se distrait en entonnant un psaume; le vigneron qui taille sa vigne répète quelques couplets davidiques; on sort de l'église pour venir aux champs, on quitte les champs pour venir à l'église; on sème dans l'espérance, on arrose dans la joie, on récolte dans le bonheur; le chaud et le froid, la pluie et le soleil, tous les temps sont bons pour celui qui a des péchés à expier et qui voit au bout de sa bêche et de son râteau une couronne immortelle !

Pour renouveler cette ère patriarchale, il faudrait une sorte de croisade agricole; or, il n'y a qu'un ordre religieux qui puisse la prêcher, non par ses discours, mais par ses exemples. Le peuple ruricole ne se replacera franchement sous l'influence du christianisme que lorsqu'il aura vu de ses propres yeux, dans la main-d'œuvre des moines, tout ce qu'il y a de ressources infinies dans la religion, non-seulement pour sanctifier ses peines, mais pour les soulager, les charmer, les changer en plaisirs. A l'époque de la fondation de Câteaux et de Morimond, époque de transition, c'est-à-dire de douloureux déchirements, d'agitations, d'inquiétudes vagues, où le monde oscillait sur lui-même pour retrouver son centre de gravité, la propriété étant moins morcelée, les guerres, les pillages, les brigandages de toute sorte beaucoup plus fréquents qu'aujourd'hui; une foule innombrable de pauvres pullulaient au sein des sociétés européennes. En face de ce peuple affamé, qu'a fait la religion? Lui a-t-elle crié, comme les communistes et les socialistes du XIXe siècle : Tout est à tous;

(1) Epist. ad Marcell., ut commigret Bethleem.

la propriété c'est le vol; prenez et jouissez à votre tour! Non; le remède eût été pire que le mal; mais elle a crié aux riches : Partagez avec les pauvres, soulagez votre frère souffrant, comme si c'était Dieu lui-même; il n'y a qu'un seul mendiant sur la terre, c'est le Christ, qui mendie dans la personne de tous les indigents.

Elle a dit ensuite à quelques hommes d'élite : Faites-vous pauvres à l'exemple du Sauveur; par esprit d'expiation et de dévouement, imposez-vous mille privations, et avec ces mille privations que l'amour de Dieu et du prochain, que l'espoir d'un éternel bonheur vous rendront bien douces, formez un patrimoine à tous les malheureux qui n'en ont point. Votre pauvreté volontaire ôtera à la pauvreté forcée la flétrissure et le mépris, plus insupportables que la pauvreté elle-même.

C'est ce qui a été réalisé dans la plupart des ordres religieux du moyen-âge; plus de mille pauvres trouvaient chaque jour un abri et du pain dans la zone de Cîteaux; plus de quinze cents dans celle de Clairvaux, et environ cinq à six cents à l'entour de Morimond. Dans les temps de famine, ce nombre s'élevait pour chacune de ces maisons jusqu'à deux ou trois mille. Or, il y avait environ deux mille monastères cisterciens en Europe; ce qui formait un total de trois ou quatre millions de pauvres nourris par un seul ordre. Cela vous étonne peutêtre; eh bien! voici ce qui se passe à cette heure dans un couvent de l'ordre de Cîteaux fondé dans le canton de Leicester, en Angleterre, il y a treize ans :

Quarante cénobites cisterciens, nonobstant le temps considérable qu'ils consacrent aux exercices religieux, ont à eux seuls et en peu de temps défriché 280 acres de très-mauvaises terres, qu'ils cultivent de leurs propres mains, s'occupant aussi très-activement de l'élève du bétail et des chevaux. Pendant l'année dernière, ils ont distribué des aliments à 32,000

personnes, et ils en ont hébergé plus de 7,000. En 1847, pendant la grande cherté des vivres, 36,000 individus ont reçu d'eux des secours en nature, et 12,000 ont trouvé une cordiale hospitalité dans le couvent et ses dépendances.

Il faut ajouter que ces respectables moines exercent la charité envers tous, sans distinction de religion, et que l'immense majorité des personnes auxquelles ils prodiguent leurs secours appartiennent aux cultes dissidents (1).

Lorsque la Réforme eut accompli son œuvre, la GrandeBretagne fut aussitôt sillonnée de toutes parts par des bandes déguenillées, portant des drapeaux sur lesquels étaient écrits ces mots: Du pain ou la mort! La guerre des pauvres paysans ensanglanta l'Alsace et l'Allemagne. La pauvreté, résignée jusqu'alors, parce qu'elle avait été soulagée et glorifiée par le catholicisme, fut remplacée par un monstrueux pauperisme; or, le paupérisme coûte chaque année à l'Angleterre, sans compter les aumônes particulières, deux cents millions de francs, et de sourdes commotions, présages d'effroyables catastrophes. Le paupérisme vaut à la France une révolution tous les dix ans ; le paupérisme a conduit l'Allemagne, de crise en crise, jusqu'aux convulsions de l'agonie. Ni nos agents de police, ni nos gendarmes, ni toutes les armées de l'Europe ne suffiront à comprimer le paupérisme, tandis que, pour contenir la pauvreté, il ne fallait qu'un moine montrant au pauvre le ciel d'une main et lui donnant l'aumône de l'autre.

Les ouvriers, au commencement du XIIe siècle, étaient

(1) Voir le compte-rendu par le journal l'Univers, mai 1849. Il s'agit trèsprobablement de l'abbaye du Mont-St-Bernard, filiation de Meilleraie de Bretagne, fondée en 1834 par lord Philips et lord Scherwsbury. — Ces merveilles de charité se renouvellent chaque jour en France dans nos treize maisons de trappistes Nous engageons les économistes qui veulent étudier consciencieusement la grande question de la pauvreté et de la bienfaisance à aller passer un mois à la Trappe.

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