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INTRODUCTION.

De la mission providentielle des divers Ordres religieux du Catholicisme, et de l'ordre de Citeaux en particulier; du besoin, pour les sociétés chrétiennes au XIXe siècle, d'un nouvel institut monastique agricole et professionnel; l'Eglise catholique seule peut le donner au monde.

Cent fois dans mon enfance j'avais gravi le mont escarpé sur lequel s'élevait autrefois le château de Choiseul; arrivé à son sommet, je me contentais de contempler autour de moi cette magnifique plaine si bien cultivée, semée de tant de beaux villages, sillonnée par la Meuse aux rives ombragées, et si riche pour moi en délicieux souvenirs. Quelquefois, à la vue de ces ossements poudreux qui roulaient sous mes pieds, de ces débris de pierres polies et de tuiles vernissées qui jonchaient le sol, seuls restes de l'un des plus hauts et des plus puissants manoirs de la France, songeant à la vanité et à la caducité des choses de ce monde, je me trouvais jeté dans une vague et sombre mélancolie.

Un jour, dans l'une de ces promenades rêveuses et solitaires, je me rappelai ces belles paroles de Cicéron: Nescire quid antea quam natus sis acciderit, id est semper esse puerum ; Ignorer ce qui est arrivé sur la terre avant sa naissance, c'est être enfant toute sa vie (1), et je fus emporté par toutes les

(1) C'était la devise du savant Anglais Usserius.

puissances de mon ame vers ce passé dont je foulais les ruines, et je m'y enfonçai avec une incroyable ardeur pour lui ravir ses secrets.

Je me vis bientôt au milieu de ce vieux Bassigny (pagus Bassiniacus, Bassigniacensis), l'un des plus vastes pagi galloromains du nord-est, s'étendant de la Meurthe à la Marne et de la Saône à la Meuse (1). Il m'apparaissait successivement occupé par les Lingons, les légions romaines et les hordes barbares; gouverné par un patrice et un duc sous les rois de la première race, puis par un comte sous ceux de la seconde (2). Après le règne de Charles-le-Chauve, lorsque les fiefs devinrent inamovibles et héréditaires, le comté du Bassigny était morcelé en vicomtés et en baronnies que se partageaient les enfants du comte.

Au nombre des principaux barons, descendants ou alliés des comtes, étaient les sires de Choiseul, d'Aigremont, de Meuse, de Reynel, de Saint-Blin, de Bourbonne, de Bourmont, de Grancey, de Clémont (3). Chacun d'eux avait à l'entour de son castel, dans les villages environnants, ses chevaliers, ses écuyers et une longue série de feudataires formant, sous la haute direction du comte, une hiérarchie féodale complète. Le siége du comté avait été fixé à Clémont, à la fin du XIe siècle (4). Simon de Clémont prenait le titre de comte du Bassigny, que ses fils conservaient jusqu'à l'asservissement de la contrée par les princes de la maison de Champagne.

Dès le commencement du XIIe siècle, en face de cette colossale organisation de la force et du despotisme, je voyais avec admiration surgir une nouvelle puissance fondée sur la charité

(1) Voir les Pièces justificatives.

(2) Mathieu, Hist. des Evêques de Langres, in-8°, p. 30.

(3) On trouvera la filiation généalogique de ces maisons dans Le Laboureur, Duchesne, Gasp. Jongelin (Fondat. de Morim.), et le Nobiliaire de France. (4) Jac. Vignier, Chronic. ling., p. 74.

et la liberté, qui balançait l'ancienne et finissait par la dominer et l'absorber : c'était l'abbaye de Morimond, de l'ordre de Citeaux. Cet institut se développait avec tant de rapidité et dans de si vastes proportions, exerçait une si grande influence sur tout ce qui l'environnait, qu'il devenait l'ame et le mobile de tout le pays. Il m'était dès-lors impossible de faire un pas sans le rencontrer sur ma route, et je fus forcé de faire marcher de front l'histoire féodale et l'histoire monastique du Bassigny. Je descendis donc des hauteurs du château de Choiseul dans l'obscur et fangeux vallon de Morimond.

de

Je n'y trouvai que des décombres et, au milieu de ces décombres, quelques vieux serviteurs des moines, qui ne purent que me citer les noms des deux derniers abbés et me montrer, les larmes aux yeux, l'emplacement de l'église, du cloître, la bibliothèque, de l'infirmerie; mais voilà tout. Nul souvenir moral, nul document authentique ne survivait; personne sur les lieux mêmes ne savait les annales de cette antique maison; personne ne s'intéressait à la vie passée, aux études, aux travaux, aux chants pieux de ces cénobites éteints; il n'y avait pas cinquante ans qu'ils avaient disparu du sol, et, dans ce siècle d'oubli, l'oubli pesait déjà froidement sur leur mémoire, comme les pierres sépulcrales sur leurs cendres.

Il me sembla qu'un grand établissement monastique qui avait ses racines au commencement du XIIe siècle, et qui, après avoir traversé les phases diverses de notre civilisation politique et religieuse, était venu expirer définitivement en 1789 avec l'ancienne société française, méritait de trouver l'historien qui lui manquait, et que j'allais raconter, dans l'histoire d'un seul couvent cistercien, les œuvres et les destinées de tout l'ordre de Citeaux en Europe.

Les philosophes du XVIIIe siècle, qui ont regardé les obser vances érémitiques comme une superfétation propre au chris

tianisme, ne connaissaient pas l'homme. Le monachisme est un élément essentiel de la vie religieuse de l'humanité; il n'a jamais existé et il n'existe à cette heure aucune religion sans moines (1). Le besoin d'expiations insolites et de hautes méditations dans la solitude ressort de la nature même des religions. et des tendances de l'esprit humain. Dans toute religion, comme dans toute science et dans tout art, il y a deux parties distinctes une partie élémentaire, à laquelle s'attachent les esprits vulgaires : c'est la voie spacieuse, la route battue dans laquelle marche la grande masse des croyants; une partie transcendante, qui exige beaucoup plus d'efforts et de sacrifices, réservée aux ames généreuses qui veulent s'élever par la comtemplation et l'extase dans les plus sublimes régions du mysticisme. Il faut des héros dans une armée et des moines dans une religion.

Les sophistes impies de nos jours se sont efforcés de retrouver dans les cultes idolâtriques une ombre défigurée de l'ascétisme chrétien, et de ravaler nos pieux et charitables cénobites au rang et même souvent au-dessous des solitaires farouches et misanthropes du paganisme. Ils sont allés sous les grottes et dans les laures de la Thébaïde insulter aux larmes et aux gémissements des anachorètes. Selon eux, une imagination exaltée, un mysticisme effréné, des rigueurs impitoyables, une imbécille quiétude caractérisent les moines d'orient, ces faquirs du christianisme. Ici, ils retrouvent les bacchanales et les pantomimes des prêtres de Cybèle dans les courses vagabondes et les momeries des franciscains. Là, les dominicains, qui voient le monde entier dans le capuchon de la Vierge, sont une imitation

(1) Nous renvoyons ceux qui contesteraient notre proposition au savant vrage du P. Brunet, lazariste, Parallèle des Religions, 3 tomes en 5 v in-4o, que nous avons eu le bonheur de trouver à la bibliothèque de S.-Sulpice, à Paris. On ne peut nous objecter le protestantisme, qui a cessé d'être une religion en cessant d'avoir un sacrifice.

des sectes brahmaniques qui l'ont vu dans la bouche de Chrisna ou dans la fleur du lotos. Lorsqu'on a lu, disent-ils, les légendes des Bhikchus et des Bhikchunis du boudhisme, les prodigieuses austérités des premiers cénobites cisterciens n'ont plus rien qui étonne. Les pieuses escroqueries et l'immoralité raffinée des bonzes leur rappellent la Compagnie de Jésus. Que tous nos moines, s'écrie l'un d'eux, sont petits et prosaïques, en présence des druides errant dans les forêts et des brachmanes tombant dans les bras des bayadères (1).

Un pareil langage accuse ou la plus profonde ignorance, ou les plus misérables et les plus injustes préventions. La vie monastique sérieuse, dans une religion quelconque, n'est et ne peut être que la pratique de cette religion dans sa plus haute perfection. Or, tout culte qui ne grandit pas l'homme jusqu'à Dieu le dégrade et le fait descendre jusqu'à la brute; plus une ame tend à s'élever à l'aide d'une religion fausse, plus elle s'enfonce dans un abîme de mensonge, d'absurdités et d'ignominie, et, lorsqu'après bien des efforts, de laborieuses études, de profondes réflexions, elle se croit arrivée au sommet de la science et de la vertu, elle est aux antipodes de l'une et de l'autre, c'est-à-dire à la plus grande distance possible du vrai et du bien, à l'extrême limite de l'erreur et du vice.

C'est ce qui nous explique pourquoi la vie érémitique, en dehors du catholicisme, a été si stérile en œuvres morales et scientifiques et si meurtrière pour la civilisation. Qu'ont apporté au monde les sombres élucubrations des druides au fond des forêts (2)? La plus atroce barbarie et l'adoration du gui sacré.

(1) Ces citations sont tirées du livre intitulé: Monopole universitaire. Nous aurions pu en emprunter encore beaucoup d'autres aux ouvrages de MM. Michelet, Edg. Quinet, Lerminier, Eug. Sue, etc.

(2) Dom Jacq. Martin, Traité de la religion des Gaulois, t. 1, p. 40; E. Davies, The celtic Mythol. of Druid., in-8o, p. 50; Karl. Barth., Ueber die Druid·

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