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Jardins répondit d'une manière digne de son talent: il vengea en beaux vers l'honneur du jardin potager; et se piqua sur-tout de relever la noblesse et la dignité de l'expression, ces mêmes objets pour lesquels on lui supposoit un injurieux dédain. Il disoit, dans une nouvelle édition de son poëme :

par

Que la grappe pendante,

La pèche veloutée et la poire fondante,
Tapissant de nos murs l'insipide blancheur,
D'un suc délicieux nous offrent la fraîcheur.

Que sur l'oignon du Nil, et sur la verte oseille,

En globes de rubis descende la groseille:

Que l'arbre offre à vos mains la pomme au teint vermeil,

Et l'abricot doré par les feux du soleil.

A côté de vos fleurs aimez à voir éclore

Et le chou panaché que la pourpre colore,
Et les navets sucrés que Ferneuse a nourris,
Pour qui mon dur censeur m'accusa de mépris.

Les Jardins paroissoient sous les auspices du PRINCE si heureusement caractérisé par l'épithète du poëte dont la reconnoissance éclatoit en ces termes :

Et toi, d'un prince aimable ô l'asile fidéle,
Dont le nom trop modeste est indigne de toi('),
Lieu charmant! offre-lui tout ce que je lui doi,
Un fortuné loisir, une douce retraite.

Bienfaiteur de mes vers, ainsi que du poëte (2),

(1) Le joli jardin de Bagatelle.

(2) Monseigneur le comte d'Artois lui avoit donné l'ab

C'est lui qui, dans ce choix d'écrivains enchanteurs,
Dans ce jardin paré de poétiques fleurs,

Daigne accueillir ma muse. Ainsi, du sein de l'herbe,
La violette croît auprès du lis superbe.

Compagnon inconnu de ces hommes fameux,

Ah! si ma foible voix pouvoit chanter comme eux,
Je peindrois tes jardins, le dieu qui les habite,
Les arts et l'amitié qu'il y mène à sa suite.

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Beau lieu, fais son bonheur ! et moi, si quelque jour,
Grace à lui, j'embellis un champêtre séjour,

De mon illustre appui j'y placerai l'image(');

De mes premières fleurs je lui promets l'hommage;

Pour elle, je cultive et j'enlace en festons

Le myrte et le laurier, tous deux chers aux Bourbons; Et si l'ombre, la paix, la liberté m'inspire,

A l'auteur de ces dons je consacre ma lyre.

C'étoit alors l'hommage du talent à la puissance; quinze ans après, tout avoit changé pour le prince qui inspiroit de si nobles sentiments et de si beaux vers: tout, excepté le cœur et le langage de son poëte, qui lui répétoit en 1796:

Grand prince, tendre ami, chevalier magnanime,
Modèle de la grace, exemple de l'honneur!

Tu t'en souviens peut-être : aux jours de mon bonheur,
Je chantai tes bienfaits; et quand la tyrannie
Nous faisoit de son joug subir l'ignominie,
J'en atteste le ciel, dans ces moments d'effroi,

baye de Saint-Severin : bénéfice simple, qui n'exigeoit point l'engagement dans les ordres sacrés.

(1) Géorg. III, v. 16.

In medio mihi Cæsar erit.

Je m'oubliois moi-même, et volois près de toi.
Oui ; d'autres lieux en vain bénissoient ta présence:
Le doux ressouvenir ne connoît point l'absence.
Au milieu de l'exil et de l'adversité,
Toujours tu fus présent à ma fidélité.
Malheur et Pitié ('), eh. IV.

Écoutez-le encore s'écrier dans ce même poëme des Jardins, et avec cet enthousiasme si heureusement ranimé depuis dans tous les cœurs français, à la naissance du miraculeux héritier du sceptre de nos rois :

Il est né, l'héritier du sceptre de nos rois (2)!

Il est né! Dans nos murs, dans nos champs, sur les ondes,
Nos foudres triomphants l'annoncent aux deux mondes.
Pour parer son berceau, c'est trop peu que des fleurs:
Apportez les lauriers, les palmes des vainqueurs.
Qu'à ses premiers regards brillent des jours de gloire;
Qu'il entende, en naissant, l'hymne de la victoire:
C'est la fête qu'on doit au pur sang des Bourbons.

Suivoit un éloge aussi vrai que touchant de la reine MARIE-ANTOINETTE, de cette princesse dont la France ne connoissoit, n'admiroit encore que les qualités aimables; mais en qui des infortunes inouies devoient révéler bientôt

(1) Tel étoit le titre primitif de l'ouvrage; mais la censure en exigea alors la suppression. Nous le rétablissons dans cette édition.

(2) Le premier DAUPHIN, fils de Louis XVI, né à la fin de 1781.

des vertus jusqu'alors sans exemple. Elle inspira le chantre du malheur, comme elle avoit inspiré le peintre des graces; et le poëte auquel on disputoit la sensibilité, en trouva une source inépuisable dans son ame, pour décrire les souffrances, la résignation, et la mort de la digne épouse du roi-martyr(').

L'époque du poëme des Jardins fut pour Delille celle de la gloire, de la fortune, et de tous les genres de succès. Recherché avec empressement de tout ce qu'il y avoit de plus distingué par les talents, le rang, et la naissance, il apportoit dans leur société, dit une femme de beaucoup d'esprit (1), une gaieté si vraie, si jeune, si naïve, et pourtant si ingénieuse, que l'homme supérieur et le grand poëte se retrouvoient à chaque instant, et comme malgré lui, dans l'homme aimable. Delille avoit puisé ces premières leçons de politesse et d'amabilité dans la maison de la célèbre madame Geoffrin, qui accueillit sa jeunesse avec une extrême bonté, et qui offrit au talent, alors malheureux, des secours qu'il n'accepta point,

(') Plus d'une fois on surprit Delille fondant en larmes, lorsqu'il retraçoit en si beaux vers ces lamentables souvenirs.

(2) Madame du Molé.

T. I. POÉS. Fug.

mais dont il a noblement consigné le souvenir dans les vers suivants :

Aux offres de ta bienfaisance

Ma fière pauvreté ne consentit jamais:
Mais en refusant tes bienfaits,

J'ai gardé ma reconnoissance (').

L'un des plus honorables amis que sa brillante réputation et ses qualités personnelles aient acquis et conservés à Delille, fut le comte de Choiseul-Gouffier. Peu de grands seigneurs ont su réunir et concilier au même degré la

politesse de l'homme de cour, les graces et l'esprit de l'homme du monde, avec l'amour éclairé des arts, et les connoissances variées du savant de profession. Un autre Choiseul avoit illustré son ministère par la protection et les encouragements accordés aux lettres, et par sa constante bienveillance pour l'abbé Barthélemy; M. de Choiseul-Gouffier voulut, à son exemple, honorer son ambassade à Constantinople en la rendant utile aux sciences et aux lettres; elle le fut sur-tout à la poésie. Delille y alla chercher ces belles inspirations que l'on retrouve à chaque page du poëme de l'Imagination. Trop voisin des beaux climats de la Grèce pour ne pas visiter des lieux si chers aux Muses, il s'embarqua sur un bâtiment qui relâcha (') La Conversation, ch. 111, à la fin.

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