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RÉFLEXIONS

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L'ÉTAT DE L'ÉGLISE EN FRANCE

PENDANT LE DIX-HUITIÈME SIÈCLE,

ET SUR SA SITUATION ACTUELLE.

Porta inferi non prævalebunt adversùs eam.
S. Matth. XVI, 8.

C'EST pour le chrétien un merveilleux et consolant spectacle que celui des développemens de l'Église, de ses épreuves et de ses combats, depuis son origine jusqu'à nos jours. Si on l'observe à sa naissance, ce n'est d'abord qu'un point que l'œil aperçoit à peine : peu à peu ce point s'étend; on en voit sortir, comme d'un centre fécond, des rayons qui se prolongent à l'orient et à l'occident, au septentrion et au midi; et naguère presque imperceptible, il embrasse maintenant le monde entier dans sa vaste circonférence.

Des progrès si rapides deviennent bien plus surprenans encore, quand on considère les obstacles qu'il a fallu vaincre, et les moyens par lesquels ils ont été vaincus. Douze pauvres pêcheurs, sans protection, sans appui, forts de leur seule foiblesse, s'avancent, une croix à la main, dans l'univers, pour y consommer la plus étonnante révolution dont l'histoire ait TOME 6.

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conservé le souvenir. Ils annoncent un Dieu invisible, une religion de souffrances, à des hommes qui ne connoissoient que ce qui frappe les yeux, qui n'aimoient que ce qui flatte les sens. Ils prêchent l'humilité à l'orgueil, le désintéressement à l'avarice, la continence à la volupté; et au nom de qui? au nom d'un homme crucifié à Jérusalem. A cette doctrine inouïe, la raison se révolte, les passions frémissent; elles s'arment pour repousser, pour anéantir cette religion nouvelle. Vains efforts! l'Église croît sous le glaive; elle se propage par les persécutions; et, après avoir opposé à trois siècles d'outrages et de supplices, trois siècles de patience et de résignation, tranquille enfin, elle essuie ses plaies, et se venge de ses bourreaux en les recevant dans son sein, et en leur prodiguant ses bienfaits.

Cependant elle ne devoit pas jouir long-temps d'une paix si tardive et si chèrement payée. Son état ici-bas est un état d'épreuve : elle le sait; mais elle sait aussi qu'elle ne succombera jamais. Si des combats lui sont annoncés, la victoire lui est promise; et le passé à cet égard lui répond de l'avenir. Fille du ciel et rebut de la terre, comme son divin fondateur, il n'est pas un seul instant de sa durée où Dieu ne manifeste d'une manière sensible sa protection sur elle, et où l'on n'aperçoive la main toute-puissante qui la défend contre les attaques de ses ennemis, la protége contre la foiblesse de ses propres enfans, et la porte, comme en triomphe, à travers les siècles, dans le sein de cette éternité qui doit être son partage.

A peine le paganisme, précipité du trône par Constantin, l'eut-il laissée respirer quelques instans, qu'en proie à de nouvelles épreuves et à des souffrances nouvelles, elle vit son sein déchiré par des divisions intestines plus dangereuses peut-être, et quelquefois non moins sanglantes que les persécutions des empereurs. Ses dogmes avoient été, du vivant même des apôtres, attaqués par l'orgueil. Cérinthe, Ebion, Ménandre, en niant la divinité de Jésus-Christ, sans pouvoir nier ses œuvres miraculeuses invinciblement attestées, avoient affermi plutôt qu'ébranlé cette vérité fondamentale du christianisme. Un homme qui joignoit à un caractère ardent et sombre un esprit singulièrement astucieux et une profonde hypocrisie, en renouvelant pour le fond les erreurs des anciens hérésiarques, sut leur donner une forme moins révoltante, en les enveloppant dans les nuages d'une métaphysique subtile. Arius (car c'est de lui que je veux parler) trouva de nombreux disciples. La secte dont il étoit chef, condamnée par le premier concile œcuménique, ne laissa pas de s'étendre, particulièrement chez les Barbares, moins instruits que les autres chrétiens, et dès lors plus aisés à séduire. Elle s'éteignit enfin, comme toutes les sectes, après avoir fait une foule de martyrs; mais l'esprit d'hérésie ne s'éteignit point avec elle. Chaque siècle eut les siennes, selon la prédiction de saint Paul. L'ignorance, la présomption enfantèrent une multitude de systèmes bizarres, d'opinions pernicieuses; et la doctrine de l'Église fut successivement attaquée dans tous ses points.

Ce seroit un intéressant ouvrage que celui où l'on montreroit, autant qu'il est permis à l'homme de le faire, quelles ont été les vues de la Providence dans ces persécutions contre la foi. On y verroit chaque erreur produire le développement d'une vérité chaque crime enfanter une vertu : car plus les mœurs étoient outragées par quelques sectaires, plus l'Église veilloit sur celles de ses enfans; et les incroyables austérités des premiers solitaires furent, en quelque sorte, comme l'effet et l'expiation des infâmes désordres des Gnostiques, et de la licence monstrueuse des païens. Quand quelques hommes accordoient tout aux sens, il falloit que d'autres leur refusassent tout : quand la volupté avoit des autels, il falloit que la chasteté eût des martyrs.

Ainsi, dans la profondeur de ses conseils, Dieu sait tirer le bien du mal, et faire servir à ses desseins les passions et les vices mêmes des hommes. Qu'on se représente ce qui auroit lieu si le christianisme n'eût rencontré à son origine que des cœurs soumis, des esprits dociles. Toutes ses vérités, tous ses dogmes, reçus sans contestation, transmis sans examen, nous seroient parvenus dépouillés d'une partie de leurs preuves, et dans une sorte de nudité, dont l'infaillible effet seroit d'exciter les dédains de l'orgueil et peut-être la défiance de la raison. Quelle autorité, au contraire, la religion n'acquiert-elle pas de tant d'attaques également vaines et furieuses? Toutes les forces humaines se sont essayées contre elle, et elle a triomphé de toutes les forces humaines. Avec quelle confiance et quelle ma

jesté elle se présente couverte encore des nobles cicatrices qui attestent ses combats et ses victoires! Si elle n'eût point éprouvé de résistance, comment apercevroit-on l'action puissante de la divinité si visiblement empreinte dans son établissement? Le dévouement des martyrs, le courage des confesseurs, tous ces grands et mémorables sacrifices qu'elle exigeoit des premiers fidèles, et qu'elle seule pouvoit obtenir, n'accuseroient pas aujourd'hui notre lâcheté, on ne soutiendroient pas notre foiblesse. La curiosité présomptueuse des hérétiques, en s'efforçant de pénétrer des mystères impénétrables, a donné occasion de fixer avec précision la foi sur les points contestés. La liaison des dogmes entre eux, leur enchaînement nécessaire, leur dépendance mutuelle, en un mot l'esprit et l'ensemble de la doctrine chrétienne, mieux connus, ont été plus admirés. Disons donc avec l'apôtre : Il faut qu'il y ait des hérésies, il faut que le flambeau de la vérité soit sans cesse agité par les passions, afin de répandre une lumière plus vive. Semblable à un chêne antique et majestueux, la religion s'élève vers le ciel au milieu des tempêtes.

L'histoire de l'Église, considérée sous ce point de vue, offriroit à la méditation un sujet presque entièrement neuf. En attendant qu'il se trouve un écrivain qui veuille ou puisse l'embrasser dans toute son étendue, qu'on nous permette de présenter quelques réflexions sur l'état de l'Église en France pendant le siècle qui vient de finir, et sur sa situation actuelle.

A

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