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Les réformateurs du seizième siècle sapèrent à la fois les fondemens de l'ordre religieux et de l'ordre social. Ils établirent l'anarchie en principe dans l'Église et dans l'État, en attribuant la souveraineté au peuple, et à chaque particulier le droit de juger de la foi. Aussi la dernière conséquence et le résultat nécessaire de leurs maximes a-t-il été la destruction la plus complète de la religion, et le plus effroyable bouleversement de la société. Mais cette révolution, inouïe dans l'histoire de l'homme, ne s'est pas opérée en un jour; et il est d'autant plus utile d'en suivre les progrès, et d'en marquer, pour ainsi dire, tous les pas, que, parmi ceux même qui en ont été les victimes, un grand nombre s'obstine encore à en méconnoître la cause.

L'homme, borné dans ses facultés, insatiable dans ses désirs, tourmenté également par sa curiosité et par son impuissance, a besoin tout ensemble et d'une lumière qui l'éclaire, et d'une autorité qui réprime son excessive avidité de connoître. Il trouvoit l'une et l'autre dans la religion chrétienne, qui, nourrissant ses pensées des vérités les plus hautes, sans les livrer à la discrétion de sa raison débile, concilie avec une profonde sagesse deux choses en apparence inconciliables. Religion divine, qui dissipe les ténèbres dé l'esprit en abaissant l'orgueil du cœur ; qui ôte l'incertitude et le doute, sans détruire entièrement l'ignorance; qui révèle ses mystères à l'amour en les voilant à l'intelligence; qui, même après avoir tout donné, laisse encore un désir immense qu'elle satisfait et renouvelle sans cesse !

Long-temps avant Luther, un bruit sourd de révolte s'étoit fait entendre dans le nord de l'Europe, et avoit retenti dans toute la chrétienté. Je ne sais quelle inquiétude séditieuse agitoit en secret les esprits, las de toute espèce de joug, et disposés à briser le frein d'une autorité gênante dont ils s'exagéroient les abus pour s'y soustraire avec moins de remords. Un moine fougueux élève la voix: il s'adresse à toutes les passions, et toutes les passions lui répondent. Son orgueil trouve des auxiliaires dans l'avarice des princes, dans la licence des particuliers. En vain Rome fait gronder ses foudres : la nouvelle doctrine se propage, et le schisme

est consommé.

Que des écrivains qui se croient profonds parce qu'ils sont subtils, s'imaginent voir la cause de ce grand événement dans l'obscure rivalité de deux ordres religieux, ou dans la cupidité d'un pape; laissonsles s'applaudir de leur sagacité. Mais l'homme qui observe, aperçoit dans le cœur humain, et dans la disposition générale des esprits à cette époque, une cause bien autrement puissante, et qui seule explique la facilité avec laquelle la Réforme se répandit. Tout étoit mûr pour une révolution; et si Luther ne l'eût pas faite, un autre l'eût faite à sa place.

Le schisme d'Occident avoit singulièrement ébranlé l'autorité du Saint-Siége, en diminuant le respect des peuples pour les souverains pontifes. Aussi est-ce à la suite de ces grands déchiremens qu'on vit s'élever, en Angleterre et en Allemagne, ces fanatiques apôtres de l'indépendance, Wiclef et Jean Hus, qui, en brisant

violemment les liens de l'unité, préparèrent les voies à la Réforme.

Sans doute la providence divine, en livrant l'homme à son propre sens, voulut tout à la fois lui infliger un grand châtiment et lui donner une grande leçon. Le principe de l'examen particulier, fondement de la religion nouvelle, assujettissoit en quelque sorte l'esprit de Dieu à la raison de l'homme; et dès ce moment l'homme ne vit plus qu'obscurité et ténèbres dans la parole de Dieu (1). Chacun l'interprète à son gré : l'un y découvre avec évidence le dogme de la présence réelle; l'autre n'y veut reconnoître qu'une présence mystique et figurée. Après avoir attaqué JésusChrist dans le sacrement, on l'attaque dans sa nature même, on le dégrade de sa divinité; et le protestantisme va se perdre dans la philosophie, comme ces fleuves qui, disparoissant tout-à-coup, se précipitent dans des abîmes inconnus.

Et qu'on ne dise pas que la Réforme subsiste encore dans une partie de l'Europe : il est vrai, j'aperçois encore son cadavre; je vois un corps sans mouvement et

(1) Gourville rapporte dans ses Mémoires, que, pressant un jour l'électeur de Hanovre de se faire catholique pour l'intérêt de sa famille, ce prince lui avoua que, persuadé comme il l'étoit qu'on pouvoit se sauver dans toutes les communions chretiennes, il quitteroit sans répugnance celle où il avoit été élevé, si, d'ailleurs, il n'étoit pas trop vieux pour changer de religion. «Car enfin, ajouta-t-il, quand » Jésus-Christ a dit: Ceci est mon corps, on ne sait pas trop dans quel sens il l'a dit, ni comment on doit entendre ces paroles. Remarquez que ce prince étoit luthérien, qu'il croyoit par conséquent à la divinité de Jésus-Christ. Voilà donc, seion lui, un Dieu qui parle, et qui ne sait pas parler de manière à se faire entendre. O délire de la raison humaine !

sans vie, qui se dissout et se consume tous les jours; mais l'âme, mais la doctrine de la Réforme, où existet-elle? où est-elle crue, prêchée, enseignée? qui aujourd'hui, parmi les ministres réformés, oseroit soutenir les opinions de Luther ou les dogmes de Calvin? On connoît assez leur extrême tolérance: loin de s'en cacher, ils s'en font gloire; ils s'applaudissent d'avoir secoué les antiques préjugés qui les divisoient et de là ce repos léthargique, ce silence de mort, dont on voudroit faire honneur à leur modération, et qui prouve seulement le peu d'importance qu'ils attachent à la vérité. Ne craignez pas qu'ils disputent de la foi que leur importe la croyance? leur religion, c'est la morale, la morale seule. Et cependant ils sont chrétiens, du moins ils le prétendent; et ils ont pour Jésus-Christ plus que du respect (1). Voyez l'Angleterre éternellement ballottée entre le fanatisme de ses sectes sans

(1) Expression des ministres de Genève dans leur déclaration en réponse à l'article Genève de l'Encyclopédie, par M. d'Alembert. C'est à ce sujet que Jean-Jacques écrivoit d'eux : « Ils ne savent plus » ce qu'ils croient, ni ce qu'ils veulent, ni ce qu'ils disent. On >> leur demande si Jésus-Christ est Dieu, ils n'osent répondre; on » leur demande quels mystères ils admettent, ils n'osent répondre. » Sur quoi donc répondront-ils ?... Un philosophe jette sur eux un » coup d'œil rapide; il les pénètre, il les voit Ariens, Sociniens; ille » dit... Aussitôt, alarmés, effrayés, ils s'assemblent, ils discutent, ils » s'agitent, ils ne savent à quel saint se vouer; et après force consul»tations, délibérations, conférences, le tout aboutit à un amphigouri où l'on ne dit ni oui ni non, et auquel il est aussi peu pos »sible de rien comprendre qu'aux deux plaidoyers de Rabelais. ( Lettres écrites de la Montagne.) Les ministres de Genève se sont corrigés depuis; ils ont appris à ètre plus clairs; et personne, par exemple, ne reprochera à M. le pasteur Vernes d'enseigner le déisme avec trop d'obscurité dans son Catéchisme à l'usage des jeunes gens de toutes les communions chrétiennes.

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nombre et l'irréligion de ses philosophes, plus funeste que le fanatisme même. C'est au milieu de l'Allemagne protestante, c'est dans le sein même de ses universités, qu'ont pris naissance et que se perpétuent ces associations ténébreuses, plus redoutables avec des secrets qu'avec des armées, puissant moyen de bouleversement dans des mains criminelles, conception profonde du génie de la destruction, et dont il a pu espérer recueillir le fruit. La Réforme s'est maintenue quelque temps par sa haine contre la religion catholique; c'étoit là son unique ressort, son principe de vie : ce ressort s'est usé de lui-même. L'indifférence religieuse ronge en silence la racine du protestantisme. Déjà l'on professe publiquement le déisme dans les écoles destinées à l'enseignement de la théologie : bientôt l'on n'y parlera de Dieu que pour prouver qu'il n'existe pas.

Si l'on veut assigner l'époque où la philosophie moderne commença de s'introduire en France, il faut remonter à un écrivain protestant, à Bayle, esprit délié et paradoxal, érudit plutôt que savant, subtil dialecticien plutôt que raisonneur profond. Il soutint tour-àtour toutes les opinions, se joua de toutes les vérités, fournit des sophismes à toutes les erreurs. Habile seulement à détruire, et digne par cela même d'être le père d'une secte éminemment destructive, sa raison sans cesse vacillante ne sait se fixer que dans le doute, dont il fut le plus adroit comme le plus infatigable apôtre. Toutefois l'opinion publique, alors généralement saine, lui prescrivit des ménagemens qui, sans rien diminuer du danger de ses ouvrages, en cou

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