Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

elle demeura trois ans dans celle-ci, qu'elle nomma l'abîme des ruisseaux. Tout son contour annonçait en effet un abîme, et un lieu sinistre Ce n'était que rochers et cavernes, d'où sortaient quantité d'animaux sauvages, de gros serpens, des lézards monstrueux, qui imprimaient la terreur aux gens du voisinage, et leur en interdisaient les approches : mais quand on avait franchi ces rochers plus en gravissant qu'en marchant, on trouvait un petit vallon émaillé de fleurs et de verdure, et entrecoupé de ruisseaux que formaient différentes fontaines ; on y trouvait aussi plusieurs sortes de fruits trèsbons, et quantité de miel sauvage qui était excellent. Tout l'inconvénient de cette solitude se réduisait aux reptiles venimeux dont elle fourmillait : mais la solitaire savait ce que le Seigneur avait promis, contre ces dangers, à ceux qui ne s'y exposaient que par ses ordres, et la fermeté de son courage égalait la vivacité de sa foi. Du reste, elle n'irritait point ces monstres, qui de leur côté la laissaient fort tranquille, aussi bien qu'un écureuil et quelques autres petits animaux qu'elle avait apprivoisés ; d'où elle tirait un sujet nouveau de célébrer les bienfaits du Créateur, pourvoyeur libéral et nourricier universel de toutes ses créatures.

Elle trouva, comme au voisinage de son premier asile, un monastère de religieux; mais à une distance plus considérable. Elle avait trois lieues et demie à faire pour s'y rendre, et toujours par les bois, au moins en sortant de son précipice, qui était au centre d'une forêt immense et d'une épaisseur extraordinaire. Ce qui eût rebuté tout pénitent même, fut ce qui détermina, pour le choix d'un confesseur, l'ange terrestre, ou la céleste mortelle, qui ne voyait point de plus grand danger en ce monde que d'y être connue. Elle s'adressa au supérieur de ce monastère, qui la reçut avec charité, la crut une pauvre fille de la campagne, et ne lui fit point de questions étrangères à son ministère. Pour la messe, il y avait encore à une lieue et demie de l'autre côté du bois, un hermitage de saint Antoine Tome XII.

B

où elle allait quelquefois l'entendre: mais soit pour l'hermitage, soit pour le monastère, il y avait tant de chemins ou de faux-fuyans par les gorges et les défilés dans un pays couvert et montueux, qu'on ne pouvait pas savoir d'où venait une personne, ni où elle allait.

Là, notre solitaire reprit paisiblement ses premiers exercices, s'arrangea deux cellules dans le creux de deux rochers voisins, et forma entre deux une petite chapelle, qu'elle se plaisait à orner de verdure et de fleurs champêtres. Ces trois grottes étaient exposées au soleil levant : il y faisait moins froid que dans sa première habitation, et l'air y était moins épais, comme étant moins couverte, et un peu plus éloignée des bois qui les environnaient. L'oraison, la contemplation, les ravissemens et les extases furent encore plus sublimes qu'auparavant; et cependant elle s'astreignit toujours à son réglément de vie et à ses exercices accoutumés, s'attachant aux routes battues, et se refusant aux voies extraordinaires autant que l'esprit de Dieu lui en laissait la liberté. Ainsi avançait-elle à pas de géant dans la carrière des vertus, quand sa dix-neuvième lettre au père de Bray demeurant sans réponse, elle ne douta point que la mort de ce charitable directeur n'en fût la cause. Elle lui marquait par cette lettre du 17 Septembre 1699, qu'elle se sentait un désir extraordinaire d'aller à Rome dans le cours de l'année suivante, afin de recueillir avec plus d'abondance les grâces du jubilé : elle soumettait néanmoins son projet à la décision de celui qu'elle regardait comme l'organe du ciel à son égard. Quand elle fut persuadée que ce père était mort, elle se crut libre de partir, et partit en effet pour Rome: mais on ne sait plus rien d'elle depuis cette époque; on a conjecturé qu'elle était morte en route. En conséquence, et vraisemblablement à la réquisition de son illustre famille, on a fait bien des recherches par ordre même des premiers magistrats, afin de découvrir sa sépulture, et de rendre au moins à ses restes précieux la vénération qu'ils méritaient. Jus

qu'ici l'on n'a rien découvert, et il y a peu d'apparence qu'on soit jamais plus heureux. Le ciel aura sans doute voulu remplir dans toute leur étendue les voeux d'une mortelle dont le monde n'était pas digne, en la lui tenant à jamais inconnue.

Combien d'autres prodiges de la grâce n'aurionsnous pas encore à rapporter, si notre plan comportait le détail de tous ceux qui s'operent, et qui ne s'opèrent que dans le sein de la véritable église de Jesus-Christ! Les pures lumières qui depuis la divine assemblée de Trente ne cessaient point de se répandre dans les ordres divers du peuple chrétien, éclataient dans les arrêts même des tribunaux séculiers. Ainsi doit-on regarder la réformation d'an abus négligé jusque là, c'est-à-dire, l'arrêt à jamais recommandable par lequel le premier parlement de France, sensible enfin aux gémissemens de la pu deur, abolit, le 28 Février 1677, les honteuses épreuves du congrès, introduites, a-t-on fort bien dit, par l'effronterie des femmes, et autorisées par la simplicité des hommes.

Le 17 Février de l'année suivante, le père Capisucci, dominicain, maître du sacré palais, censura, et défendit de lire, débiter ou garder un petit livre imprimé sous ce titre : Office de l'Immaculée Conception, approuvé par le pape Paul V, qui accorda cent jours d'indulgence à ceux qui le réciteraient dévotement. Cette censure, qui donnait atteinte, au moins indirectement, à la conception immaculée de Marie, et par conséquent à la persuasion commune de l'église, mit en rumeur toute l'Europe catholique. Bayle dit lui-même (1), tout aguerri qu'il était contre les scandales, qu'elle scandalisa une infinité de personnes, et qu'en France il n'y eut que les jansénistes qui en furent édifiés. Ils l'honorèrent en effet de magnifiques éloges, sans se souvenir qu'ils n'avaient rien omis, depuis cinquante ans, pour faire mépriser tout ce qui pouvait sortir du tribunal de l'inquisition. L'empereur adressa di

(1) Bayle, Diction. art. Innocent XI.

Ba

rectement ses plaintes, sur le même sujet, au souverain pontife.

Innocent, sur la parole du dominicain, répondit qu'on avait défendu l'office en question, parce qu'on y attachait une indulgence apocryphe, et qu'on assurait faussement qu'il avait été approuvé par Paul V; mais que la défense ne tombait pas sur l'office même, qui depuis long-temps se récitait dans l'église avec la permission du saint siége. Il ajoutait qu'on n'avait nullement prétendu affaiblir le culte de la mère de Dieu, mais plutôt l'augmenter autant qu'il serait possible. Cette explication était assurément nécessaire : car, à s'en tenir aux termes de la censure, elle tombait à plomb sur l'office, dont elle interdisait la lecture, et non pas sur la publication de l'indulgence, dont elle ne faisait aucune mention. Le pontife parut enfin douter de la droiture du dominicain, et pensa qu'il fallait rassurer autrement la piété des fidèles. A cette fin, il ordonna que dans les nouvelles éditions qui se feraient de l'office ainsi rendu suspect, on ajouterait dans l'oraison un mot qui marquait bien ce qu'il pensait lui-même de la conception de Marie, c'est-à-dire, qu'aux termes de conception sainte, on ajouterait celui d'immaculée. Ainsi la joie de ceux qui avaient intrigué pour faire supprimer cet office, se convertit bientôt en des clameurs chagrines qu'ils firent exprimer en ces termes par un auteur célèbre: Quels biens Innocent XI n'eût-il pas procurés à la religion, s'il ne se fût pas laissé obséder par les ennemis de la France (1)? Quelle espérance n'en donna-t-il point, lorsqu'il abolit l'office de la conception? La belle espérance en effet, si le sentiment le plus honorable pour la conception de la Vierge est celui de toutes les universités, de toutes les écoles, à une seule près, et de presque tous les docteurs catholiques! si les papes et les évêques empêchent, sous peine d'anathème de prêcher et d'enseigner le sentiment contraire ! La prédilection funeste des auteurs de la nouvelle

(1) Valesiana, p. 45 et 46.

doctrine pour les pères de l'Oratoire, avait enfin produit son effet. En vain les supérieurs qui l'avaient prévu s'étaient élevés des premiers contre ces nouveautés scandaleuses. Dès le 29 de Juin 1657, le père Bourgoin, supérieur général, avait donné une lettre circulaire pour obliger tous les pères de la congrégation à signer la bulle d'Alexandre VII, et le formulaire du clergé de France. Il y marquait qu'on ne pouvait refuser de le faire, sans mériter de perdre la qualité de catholique, de chrétien, d'enfant de l'église, et par conséquent de l'Oratoire. Tout ce que cette lettre produisit, selon l'historien des jansénistes (1), ce fut de bouleverser la congrégation, d'où les sujets les plus estimables, au dire du même auteur, sortirent, ou furent retranchés. On voit par ces paroles, quels fruits y avait déjà produits la malheureuse amitié de l'abbé de Saint-Cyran et de ses premiers coopérateurs. C'est toutefois une imposture que de faire passer pour jansénistes les meilleurs sujets qu'eût alors cette congrégation.

Le père Thomassin, l'un de ses plus dignes sujets sans contredit, ne doit pas se compter parmi les sectateurs des nouveautés proscrites. Il est vrai qu'étant encore jeune, et n'ayant étudié saint Augustin que dans les compilations infidèles du parti il avait donné dans les nouvelles opinions: mais s'il put commettre une légèreté pardonnable à son âge, il n'eut point l'orgueil et l'opiniâtreté qui convertit l'erreur en hérésie formelle. Non moins recommandable par sa candeur et sa piété, que par son savoir, dès qu'il eut reconnu par la lecture des œuvres mêmes de saint Augustin, combien Jansénius imposait à ce saint docteur, ainsi qu'à l'église qui en avait confirmé la doctrine sur la grâce, nul respect humain ne put l'empêcher d'en faire une confession pour le moins aussi éclatante que l'avaient été les préventions de sa jeunesse. Il alla trouver chacun de ceux qu'il craignait d'avoir engagés dans

(1) Hist. du Jans. an. 1657.

« ZurückWeiter »