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ration parmi tout ce qu'il y avait de plus grand et de plus estimable à la cour de Louis XIV.

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Jeanne-Marie Bouvier de la Mothe, c'est son premier nom, fille d'un gentilhomme du Gâtinois, et femme de M. Guyon, né aussi de parens nobles étant restée veuve à l'âge de vingt-deux ans, avec de la fortune, de la figure, beaucoup d'esprit et un caractère aimable, ne voulut jamais entendre à un second mariage, et tourna vers Dieu tous les sentimens de son coeur naturellement tendre. Peu après la mort de son époux, elle fit un voyage à Paris pour ses affaires. Elle y fit des connaissances, et particulièrement celle de M. d'Aranton, évêque de Genève, le quatrième successeur et l'imitateur fidèle de saint François de Sales. Ce prélat lui proposa de se retirer dans son diocèse, pour y travailler, avec quelques autres dames pieuses, à l'instruction des nouvelles catholiques. Elle prit en effet ce parti, après s'être dépouillée de ses biens en faveur de ses enfans, à la réserve d'une modique pension mais les distractions attachées à la charge de supérieure dont on voulut la revêtir, l'en détournèrent bientôt; trop tard néanmoins, puisqu'elle avait déjà goûté les leçons du père la Combe, qui était le directeur de cette communauté. Elle se retira chez les Ursulines de Tonon: après les avoir édifiées quelque temps par son goût pour l'oraison et pour la retraite, elle alla chez une de ses amies à Grenoble, puis à Verceil, dont l'évêque prévenu pour elle d'une estime singulière, l'avait souvent invitée à s'y rendre. Pendant les six années qu'emportèrent ces différens séjours, où elle fut presque toujours accompagnée du père la Combe, elle composa ses ouvrages divers sur la spiritualité. Enfin l'air épais de Verceil ne convenant point à sa complexion, et moins encore à sa constitution morale, les médecins lui conseillèrent de retourner en France; et elle revint à Paris.

Le bruit de ses ouvrages l'y avait précédée, et l'on y avait conçu des préventions si fâcheuses contre elle, qu'elle y fut arrêtée presque en arrivant, et

mise dans un monastère. L'archevêque l'interrogea et la fit interroger plusieurs fois par des gens habiles. On découvrit en elle autant de docilité que d'innocence. Les religieuses, d'un autre côté, rendant avec admiration témoignage à toutes ses vertus, madame de Maintenon s'intéressa pour elle auprès du roi et lui fit rendre une entière liberté. Ainsi l'humiliation même la mit dans une considération plus haute, et lui procura la plus puissante protection. Dès son premier séjour à Paris, elle avait eu la connaissance de la duchesse de Bethune, femme de beaucoup d'esprit et de grande piété, chez qui se rassemblait tout ce qu'il y avait de personnes recommandables par ces deux endroits, tant à la ville qu'à la cour ce fut là qu'elle se lia d'une manière étroite avec les ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, et sur-tout avec l'abbé de Fénélon alors précepteur des enfans de France. Fénélon cette ame si pure et si noble, applaudissait aux idées grandes que madame Guyon s'était formées de Dieu, et plus encore à son amour sans partage pour l'être infiniment aimable.

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On continua néanmoins à décrier sa doctrine, et l'on peignit sa personne même des couleurs les plus affreuses. On menaçait le royaume et l'église d'une secte nouvelle, égale en abominations et en infamies aux anciens gnostiques; et ceux qui répandaient principalement ces bruits, le faisaient avec toute la chaleur que pouvait donner l'espoir de tourner de ce côté-là la vigilance et l'activité des deux puissances dont ils étaient l'objet.

Madame Guyon, pour faire tomber, s'il était possible, ces clameurs scandaleuses, prit le parti, avec le conseil de M. de Fénélon, de soumettre sa manière d'oraison et tous ses écrits à l'oracle de l'église de France, le grand évêque de Meaux. Ce prélat accepta la commission, et la dame lui remit tous ses ouvrages, imprimés et manuscrits On peut juger quel fut l'étonnement de Bossuet, quand surtout en lisant la vie de cette femme, composée par elle-même, il y trouva les rêveries que nous avons Tome XII.

citées. Il ne douta pas un moment qu'elle ne fût dans l'illusion la plus pitoyable. Dans les conférences qu'elle eut ensuite avec lui, elle confessa qu'il était contraire à sa manière d'oraison de rien demander à Dieu sur quoi il lui défendit de s'approcher des sacremens; mais elle marqua tant d'humilité et de soumission, que cette défense n'eut pas son effet.

Cependant elle demanda que M. de Noailles alors évêque de Châlons, en grande réputation de piété, et M. Tronson, supérieur général de SaintSulpice, fussent associés à M. de Meaux pour la décision des points sur lesquels on l'accusait d'erreur. Madame de Maintenon leur fit encore joindre M. de Fénélon. Les amis de madame Guyon lui avaient apparemment fait entendre depuis qu'elle avait choisi M. de Meaux pour juge, qu'il était de la prudence de ne pas s'en rapporter uniquement en cette matière à un prélat qui s'était déclaré plus d'une fois en pleine Sorbonne contre le pur amour, qu'il traitait de chimère, persuadé qu'il entre de l'intérêt propre dans tous les actes du coeur humain, M. de Meaux lui-même, dès les premières conférences qui, pour ce nouvel examen, se tinrent à Issy près de Paris, avoua qu'il connaissait peu les ouvrages de's mystiques, les circonstances l'ayant toujours tourné vers le dogme et la controverse ; c'est pourquoi il pria M. de Fénélon, très-versé dans ce genre d'étude, d'en faire des extraits, et de les communiquer à la commission. Le pieux abbé le fit volontiers, non pour défendre les écrits de madame Guyon, dont il ne prisait que la piété personnelle, mais par zèle pour la vraie spiritualité, à laquelle il craignait que l'on ne donnât atteinte.

Les examinateurs posèrent d'abord les principes propres à éclaircir la matière, à faire discerner la vraie spiritualité de la fausse, et à préserver des illusions qui sont à craindre dans la pratique de la vie contemplative; ils examinèrent ensuite les écrits de l'accusée, où ils trouvèrent sans doute bien des choses à reprendre: mais elle satisfit à toutes les

plaintes, par des explications catholiques des passages même les plus repréhensibles, et sur-tout par une candeur et une soumission qui ne laissait pas douter de sa foi sincere. Ils prononcèrent donc que si elle avait péché dans les termes, elle était irréprochable dans sa croyance, et bien éloignée surtout des abominations reprochées a Molinos et à ses disciples. Ils voulurent ensuite réduire toutes ces matières abstraites et difficiles, à quelques articles précis qui pussent confondre l'erreur, sans porter préjudice aux vrais principes de la vie contemplative; mais ce ne fut pas sans beaucoup de peine et de contestation, tant sur le fond des choses que sur la manière de les énoncer, qu'ils parvinrent enfin à les dresser au nombre de trente-quatre.

Ils portent en substance, que tout fidèle, en tout état, est obligé de retenir l'exercice des vertus théologales, et d'en produire des actes; d'avoir la foi explicite des vérités principales du christianisme; de vouloir et de demander expressément son salut éternel, la rémission de ses péchés, la grâce de n'en plus commettre, la force contre les tentations, la persévérance dans le bien, et l'avancement dans les voies de la perfection, qui peut toujours croître; qu'il n'est jamais permis d'être indifférent pour le salut, ni pour ce qui y a rapport; que les actes ci-dessus mentionnés ne dérogent point à la plus haute perfection, et que pour les produire, il n'est pas besoin d'attendre une inspiration particulière la foi jointe au secours ordinaire de la grâce suffisant pour cela ; que dans l'oraison la plus sublime, ces actes sont à la vérité compris dans la charité, mais en tant qu'elle anime toutes les vertus, qu'elle en facilite l'exercice, et non qu'elle les rende inutiles; que les réflexions sur soi-même, sur les opérations intérieures, sur les dons du ciel, et sur l'usage qu'on en fait, ayant été pratiquées par les apôtres et les plus grands saints, doivent l'être par tous les chrétiens même les plus parfaits; que les mortifications extérieures conviennent de même aux fidèles, à quelque état de perfection qu'ils soient parvenus,

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et que souvent encore elles sont nécessaires ; que l'oraison perpétuelle ne consiste pas dans un acte unique et persévérant sans interruption, mais dans une disposition habituelle à faire tout ce qui plaît à Dieu, et à ne rien faire qui lui déplais; qu'il n'y a point d'autres traditions d'une autorité certaine que celles qui sont reconnues par toute l'église ; qu'il ne faut pas rejeter l'oraison de simple présence de Dieu, de quiétude ou repos en Dieu, ni les autres oraisons extraordinaires, même passives, qui sont approuvées par les meilleurs maîtres de la vie intérieure ; mais que sans elles on peut devenir un très-grand saint, et qu'on ne doit pas attacher l'état de perfection à un tel genre d'oraison plutôt qu'à un autre, bien moins encore le don de prophétie, ou le privilége de l'apostolat, à un certain degré d'oraison et de perfection; que c'est un égarement dangereux d'exclure de la contemplation les mystères de Jesus-Christ et les vérités communes de la foi ; enfin, que les voies extraordinaires sont très-rares et toujours sujettes à l'examen des supérieurs ecclésiastiques, avec d'autant plus de raison, que les illusions y sont fort à craindre.

Il y avait près de huit mois que duraît cette discussion, et tout le monde en attendait l'issue avec autant d'impatience que de curiosité. Enfin le jugement et les trente-quatre articles furent signés par les commissaires, sans excepter M. de Fénélon, le 10 de Mars 1695. Il avait été nommé à l'archevêché de Cambrai au mois de Février précédent; et M. Bossuet le voulut sacrer, pour marquer au public que la diversité d'opinions qui s'était rencontrée entre eux n'avait point altéré leur union.

Durant le cours des conférences, madame Guyon s'était retiréé volontairement pour six moix à Meaux dans le couvent de la Visitation, où elle n'avait commerce qu'avec deux religieuses d'une sagesse éprouvee, et avec le confesseur que l'évêque lui-même lui avait donné. Le prélat d'ailleurs la visitait souvent dans l'intervalle des conférences, lui écrivait quand il était absent, et recevait assidument ses réponses:

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