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au prince de lui dire, que nonobstant toute sa bonne volonté, il y aurait tout à craindre pour cette religion, si son premier chef, instruit par des ignorans, venait à faire quelque loi fondée sur des informations fausses ; qu'il était impossible aux Européens de bien pénétrer le sens des livres et l'esprit des cérémonies de la Chine; que pour cela, il voulait revoir les informations qu'on enverrait en Europe, afin de corriger les erreurs qui pourraient s'y trouver. Là dessus, le patriarche qui croyait l'évêque de Conon très-habile dans les sciences chinoises, le proposa comme plus capable que personne de se concerter avec sa majesté, qui l'agréa. L'évêque de Pékin et la plupart des missionnaires, qui connaissaient la capacité chinoise de M. Maigrot, furent effrayés quand ils apprirent cette résolution. Leurs alarmes ne se trouvèrent que trop fondées.

M. Maigrot ayant paru devant le monarque, on lui demanda l'explication de quatre caractères gravés au-dessus du trône: il n'en put lire que deux, qui étaient des plus ordinaires, et il n'en put expliquer aucun ; il lui fallut même un interprète pour expliquer un écrit chinois qu'il avait à présenter. L'empereur marqua une étrange surprise de voir un homme dont on lui avait tant vanté la capacité, ne pouvoir s'expliquer lui-même, et rester muet le livre à la main. Tout ce que le vicaire eut à répliquer c'est que si le seigneur légat l'avait dit si capable, il le connaissait peu: il convint de plus qu'il n'avait jamais lu le traité du père Ricci sur les cérémonies chinoises, quoique dans son fameux mandement, où il en donnait une idée affreuse, il eût voulu paraître le réfuter pied à pied. L'empereur daigna cependant tenter de le faire convaincre que Tien, autant que Tienchu, signifie le Dieu du ciel : mais deux heures d'instruction ne servirent qu'à convaincre le prince qu'il est certain genre de préventions dont l'on ne revient jamais.

Dès que le vicaire apostolique eut été congédié, l'empereur fit expédier deux rescrits, l'un pour cet évêque, et l'autre pour le légat. Dans le premier,

selon l'usage de la Chine, où le souverain se fait un devoir de motiver tous ses ordres, le prince rappelait à l'évêque, outre son ignorance, son peu de sincérité au sujet d'une demande à laquelle il avait répondu qu'il ne savait pas si les chrétiens dont il avait la conduite, pratiquaient les cérémonies accoutumées. D'où il est clair, concluait le prince, que vous usez de déguisement avec moi-même. Ainsi vous êtes moins venu à la Chine pour y prêcher la loi chrétienne, que pour y brouiller. Jusqu'ici les Chinois ont embrassé le christianisme, parce qu'ils voyaient que tous les prédicateurs pensaient et parlaient de la même manière. A présent qu'il en est parmi vous qui par caprice, ou par le seul désir de l'emporter sur les autres, les accusent témérairement de mal expliquer nos cérémonies, c'est chercher, non pas à étendre votre religion, mais à la ruiner, et m'obliger à vous chasser de mon empire.

Le second rescrit, motivé à peu près de la même manière, ordonnait au legat de penser à son retour en Europe. Il lui fut signifié le 21 d'Août ; et la manière peu mesurée dont il répondit, lui attira un commandement précis de sortir de Pékin le 28. Au resté, ce commandement n'avança point son départ, qu'il avait déjà fixé à ce jour-là: mais il partit sans avoir fait la moindre démarche qui tendit à regagner les bonnes grâces de l'empereur. Ce prince en fut si offensé, qu'il fit aussitôt revenir des présens magnifiques qu'il avait destinés pour le pape, et qu'il avait déjà fait transporter à Canton. Il ne prétendait néanmoins mortifier que le légat. Par toute la terre, dit-il à cette occasion, il est des ministres qui se croient en quelque sorte souverains, et qui aiment mieux suivre leur propre sens que celui de leur maître.

Un nouvel incident acheva de gâter les affaires. M. Maigrot, qui était resté à Pékin, écrivait souvent à un missionnaire de sa confidence, nommé Guetti. L'empereur en eut vent, et voulut voir les lettres, comme des pièces qui pourraient lui donner des lumières sur les desseins du légat. Guetti eut d'abord le courage de les déchirer; mais ensuite il perdit la

tête, et dès le commencement de l'interrogatoire qu'on lui fit subir, il éventa tout le mystère; il se coupa même dans ses réponses. Il déclara d'une part, que le pape avait envoyé le légat, afin de réduire les Jésuites qui désobéissaient à ses ordres, en tolérant les cérémonies et l'usage du Tien ; et de l'autre, que M. Maigrot était chargé d'étudier à fond les livres chinois, et d'envoyer ses extraits à Rome, afin d'ordonner là dessus. Cette contradiction, toute palpable qu'elle était, ne fut pas le trait le plus honteux qui lui échappa. Il ne put cacher la jalousie qu'il voulut bien prêter aux religieux des ordres divers, qui tous, dit-il, se plaignaient en Europe de ce que celui des Jésuites se faisait appeler la Compagnie de Jesus. Enfin il nomma les deux gradués chinois qui avaient instruit M. Maigrot dans les sciences du pays. On les fit comparaître : ils protestèrent que le vicaire apostolique n'avait jamais voulu les écouter sur les matières qui étaient en contestation; et Guetti, bien corrigé de sa première bravoure, confirma leur déposition. On interrogea de même le piémontais Appiani, interprète du legat, et quelques autres personnes de sa suite. M. Maigrot fut cité à son tour; ne pouvant nier des faits déja si bien prouvés, il s'efforça de les adoucir. L'empereur ne voulut pas qu'on le pressât trop, parce que, suivant les lois de l'empire, il n'aurait pu s'empêcher de le condamner à mort.

Sur ces procédures, le prince rendit un arrêt qui bannissait, avec M. Maigrot, les sieurs Mezza-Falcé et Guetti, comme des factieux capables de mettre la division et de causer des troubles dans la Chine. Il était en même temps ordonné à tous les Européens qui voudraient rester dans l'empire, de venir incessamment prendre des lettres patentes de l'empereur, qui examinerait leurs sentimens ; faute de quoi, ils seraient chassés par les gouverneurs des provinces. Cet arrêt fut signifié aux Jésuites eux-mêmes, sans que leurs remontrances ni toutes leurs instances pussent y rien faire changer. L'empereur se plaignit même de ce qu'ils lui avaient caché la conduite que

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le vicaire apostolique avait tenue dans le Fokien, et qui n'était venue à sa connaissance que par l'indiscrétion de Guetti. Cependant le légat était horriblement irrité contre eux : cette colère avait éclaté au moment qu'on lui avait signifié l'ordre de sortir de Pékin. Il s'était alors emporté, jusqu'à dire que tous les démons de l'enfer ne sauraient faire pis que les Jésuites; et quand il fut à Nankin, il leur écrivit en date du 18 Janvier 1707, une lettre qui assurément n'en fait pas des anges, et qui ne tient pas non plus du langage angélique. Mais avec du zèle et de la piété, en combien d'écarts ne donne-t-on pas, quand l'une est trop crédule, et l'autre précipité ? Pour remplir avec succès la charge de légat à la Chine, sur-tout dans ces conjonctures, il ne fallait pas moins de sang froid, ou plutôt de sens exquis et d'habileté, que de vertu.

M. de Tournon étant arrivé à Nankin, donna un mandement qui interdisait aux chrétiens de la Chine la pratique des cérémonies en l'honneur de Confucius et de leurs ancêtres, avec défense d'user du mot Kim-tien pour signifier le vrai Dieu. Il était naturel de publier en cette occasion le décret du saint siége le légat n'en fit cependant aucune mention; ce qui donna tout lieu de croire que ce fut parce que ce décret n'était que conditionnel, c'est-à-dire qu'il ne proscrivait les cérémonies que supposé qu'elles fussent, comme on l'avait accusé, supersti tieuses et idolâtriques. Les partisans du légat répandirent en Europe, qu'il avait usé de cette réserve, de peur d'irriter davantage le monarque chinois: mais le mandement du legat était beaucoup plus opposé que le décret de Rome aux déclarations de ce prince, et par conséquent plus capable de l'irriter. En effet, l'empereur se tint pour outragé par cette publication, et sitôt qu'il en eut nouvelle, il dépêcha un de ses officiers à la poursuite du légat, qui déjà était à deux cents lieues de distance, pour le faire conduire à Macao, et l'y mettre sous la garde des Portugais, avec défense de le laisser partir. Le mandement n'intrigua pas moins les missionTome XII.

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naires, qu'il n'avait offensé la cour. Evêques, prêtres, et religieux des ordres divers, tous persuadés, à un très-petit nombre près, qu'il allait entraîner la ruine entière de l'évangile à la Chine, et que le légat s'était laissé surprendre, interjettèrent appel au saint siége, tant de l'exécution du mandement, que de l'excommunication dont ils y étaient menacés: mais soit que le souverain pontife crût devoir soutenir l'honneur de sa légation, avec les démarches de son légat, soit qu'il eût véritablement donné au légat quelque instruction secrète d'après laquelle il avait agi, soit bien plutôt qu'il eût jugé depuis ne pouvoir mieux faire dans les circonstances, que de supprimer des usages qui occasionnaient tant de division et tant de scandales, il approuva le mandement, sans avoir égard à l'appel, en déclarant néanmoins qu'il ne prétendait rien ajouter au décret du 20 Novembre 1704, portant que le saint siége ne prononçait point sur la vérité des exposés. Il fit écrire ensuite aux généraux des Dominicains, des Franciscains, des Augustins et des Jésuites, qu'ils eussent à intimer à leurs religieux de la Chine, que son intention était qu'ils obéissent à l'ordonnance du cardinal de Tournon. On venait de lui donner la pourpre ; c'était la récompense de ses bonnes intentions, et la suite assez naturelle de l'approbation de son mandement. Rome, après tout, ne pouvait pas sagement procéder d'une autre manière; il ne lui était pas possible de juger la chose au fond. C'était une question purement historique sur un fait qui se passait à l'autre bout du monde, et qui tenait à une langue inintelligible en Europe; aussi Rome n'eut-elle pas grand égard à l'espèce d'autorisation que lui envoyèrent signée de leur main, et datée du 8 Mai 1700, le père Alexandre, le sieur Dupin et quelques autres docteurs de Paris, qui prononçaient magistralement que le saint siége pouvait condamner en toute sûreté, et d'une manière absolue, les cérémonies chinoises > comme fausses, erronées, favorisant l'idolâtrie, etc. Il est vrai que l'autorité de ces docteurs, très-connus à Rome par le catalogue des livres défendus, n'y

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