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Ses féroces compatriotes la tourmentèrent depuis midi jusqu'au soleil couché. Ils observèrent toutes leurs barbares pratiques, lui arrachèrent la chevelure, lui couvrirent le crâne sanglant de cendre chaude, la détachèrent du poteau, et lui ordonnèrent de courir. L'humble martyre, au contraire, se mit à genoux pour prier. Ils lui déchargèrent plusieurs coups de bâtons sur la tête, sans qu'elle interrompit sa prière. L'un d'entre eux enfin prit un grand couteau, et le lui enfonça dans le ventre: mais le couteau se rompit au grand étonnement de la multitude. Un autre arracha le poteau où elle avait été attachée, et lui en porta un coup mortel sur la tête. Comme elle respirait encore ils mirent le feu à un gros tas de bois sec, et y jettèrent son corps, qui fut entièrement

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consumé.

Elle avait un enfant de deux ans qui avait été pris avec elle son extrême jeunesse ne put lui sauver la vie. Le bûcher étant tout en feu, le petit innocent, près d'y être jeté, appela par trois fois sa mère déja morte, et tendit ses mains vers le ciel où il semblait l'apercevoir, comme pour la presser de venir à lui. Toute la férocité sauvage ne put tenir contre un spectacle aussi attendrissant, qu'il leur parut mervilleux. L'enfant fut soustrait aux flammes, mais non pas au martyre. Sa mère en avait demandé la grâce pour lui, et qu'il lui fût réuni au plutôt, de peur qu'en lui survivant il ne fût élevé dans l'idolâtrie ou dans le libertinage. Il prit donc un accès nouveau de férocité à l'un des barbares, qui saisit l'enfant par un pied, et après l'avoir fait pirouetter quelques instans par les airs, lui fracassa la tête contre un mur. Beaucoup d'autres chrétiens iroquois, à la vue de plusieurs témoins irréprochables qui en ont déposé, marquèrent la même constance à confesser Jesus-Christ, sans compter ceux qui furent immolés en bien plus grand nombre dans l'obscurité de leurs cabanes, et qui n'eurent, outre leurs bourreaux, que l'oeil de Dieu pour témoin.

Tels sont les fruits du salut que la semence évan

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gélique a produit dans la terre sauvage, de toutes la plus ingrate. Et quel triomphe pour la grâce de Jesus Christ qui les faisait éclore! quelle force visiblement sur-humaine en des sauvages à peine chrétiens, et, qui avant d'être chrétiens, différaient à peine des brutes! Dans leurs pasteurs même, et jusque dans les jours calmes où ils n'avaient à vaincre que les dégoûts et les répugnances naturelles, quelle autre vertu que celle d'en haut put les élever à ce point au dessus de la nature? Un missionnaire arrivé nouvellement d'Europe où il avait passé son premier âge dans le sein du goût et de l'urbanité était souvent transplanté à trois ou quatre cents lieues de toute habitation sociale, parmi des sauvages à qui la grâce du baptême n'avait pas ôté la rudesse et la grossiéreté qu'ils tenaient du naturel, ou d'une longue habitude. La manière seule de prendre leur réfection faisait bondir le coeur à un Européen qui commençait à manger avec eux (1). Ils remplissent de viande et d'eau une grande chaudière, et après quelques bouillons où reste l'écume, ils retirent la viande moins cuite qu'échaudée, et la distribuent sur des écorces qui leur tiennent lieu de plats et d'assiettes. Chacun mord dans sa part, sans couteau ni fourchette, avec la sale gloutonnerie d'un animal carnacier. Il n'est pas à dire qu'on peut se borner à manger du pain, dont il n'est pas question parmi eux. Quand le gibier manque, ils ont recours à la pêche, et au poisson de toute espèce. Il est des missionnaires qui, à leur arrivée dans ces peuplades, ne trouvèrent pour nourriture que des grenouilles ainsi échaudées, sans qu'on en eût retranché aucune partie, sans même qu'on les eût écorchées. Au seul aspect de ces petits cadavres entassés et refrognés d'une manière hideuse, quel que soit le courage d'un ministre évangélique, il marque peu d'appétit sans doute, et ne peut guère se presser de manger. L'humeur bourrue du sauvage, autant que sa naïveté naturelle, le rend in

(1) Lettr. Edifi. t. vi, p. 159, etc.

capable de rien taire. Ils ne manquent pas de lui demander pouquoi il ne mange point. En vain se retrancherait il sur sa répugnance. Eh quoi, Ro benoire (c'est le nom qu'ils donnent aux Jésuites, et ils y attachent l'idée d'une vertu capable de tout) eh quoi, Robenoire, lui diraient-ils, et ils l'ont dit quelquefois, tu delibères pour vaincre ton goût ! Cela est-il donc si difficile a un patriarche qui sait parfaitement la prière, c'est-à-dire, qui observe en perfection les maximes de l'évangile? Nous nous vainquons bien nous autres, pour croire ce que nous ne voyons pas. Alors il n'y a plus à balancer, et toutes les excuses tourneraient en scandales.

A cette abondance dégoûtante, succède souvent une disette extrême parmi des peuples errans sans cesse, qui d'ailleurs ne savent pas ce que c'est que de pourvoir au lendemain (1). Après une course de longue haleine, où le pasteur et les ouailles avaient pensé périr de faim, de froid et de fatigue, ces bons sauvages, de retour à leur peuplade, entreprirent de régaler leur missionnaire, qui était le père Râle, pour le remettre de ce long jeûne. Voici en quoi consistait le repas, qui dans les circonstances était pour eux un riche festin. Ils lui servirent, en pre-mier lieu, une bouillie de blé d'Inde. Pour le second service, ils lui donnèrent une galette de la même farine, avec des glands rôtis, et un petit morceau d'ours. Enfin, le troisième service, qui tenait lieu de dessert, consistait en un épi du même blé, grillé ou séché devant le feu, avec une poignée de grains de même espèce cuits sous la cendre. Cependant le missionnaire se récriant sur la splendeur de ce festin: Ah! notre père, lui dirent ils, il y a deux jours que tu n'as rien mangé du tout ; il était bien juste de te régaler. Que ne sommes-nous en état de recommencer bientôt !

Il y avait sans doute un autre aliment, et souvent de vraies délices, pour l'esprit qui animait ces hommes apostoliques (2). Leur charité et leur désin

(1) Ibid. p. 222. (3) Ibid. p. 199.

téressement faisaient quelquefois les impressions les plus inespérées sur le coeur de ces barbares. Pour en citer un exemple qui nous épargnera des redites, et qui trouve ici naturellement place, nous anticiperons de quelques années, ainsi que nous l'avons fait dans l'article supérieur, sur le cours des temps. Un des capitaines les plus renommés dans la nation chrétienne des Abnakiş, ayant été tué par les Anglais, dont les colonies ne sont pas éloignées de cette mission, des Amalingans idolâtres qui s'établissaient dans le voisinage de ces néophytes, et qui voulaient vivre en paix avec eux, leur envoyèrent des députés pour prendre part à leur deuil. Le père Råle, instituteur à jamais mémorable de cette fervente mission, saisit l'occasion qui se présentait, pour jeter dans le coeur des Amalingans les premières semences de l'évangile. Déjà les ministres de la religion anglicane avaient tenté de la faire embrasser à ces pauvres sauvages; mais avec toute leur ignorance, que le ciel éclaira sans doute, ils ne reçurent la proposition qu'avec une indifférence qui tenait du mépris. Il en fut bien autrement de l'invitation que leur fit le missionnaire catholique. Après la première ouverture, faite avec une éloquence et une onction tout apostolique, ils s'entretinrent quelques momens entre eux; puis leur orateur, au nom d'eux tous, donna cette réponse: Mon père, je suis ravi de t'entendre. Ta voix a pénétré dans mon coeur, comme la rosée du matin ; mais ce cœur n'est pas encore ouvert, et je ne puis te faire connaître à présent ce qu'il renferme, ni de quel côté il se tournera. Il faut que j'attende les capitaines et les sages de notre nation, qui sont absens jusqu'à l'automne prochaine. C'est alors que je t'ouvrirai mon cœur.

Au terme donné, le missionnaire ne manqua point de demander la réponse. Il commit pour cela un Abnakis plein d'intelligence, qui allait chercher du blé chez les Amalingans pour ensemencer ses terres. Voici les paroles qu'il lui rapporta: Nous sommes pénétrés de reconnaissance pour un père qui s'oc

cupe de nous sans cesse, et de notre côté, nous n'avons pas cessé de penser à lui. Nous ne pouvons oublier ses paroles, tandis que nous avons un coeur. Elles y sont gravées si profondément, que rien ne les en peut effacer. Notre père nous convainc qu'il nous aime; il veut notre bonheur, et nous voulons faire tout ce qu'il souhaite de nous. Nous voulons adorer le grand Génie (c'est ainsi qu'ils nomment le vrai Dieu); nous agréons la prière qu'il nous propose, et nous sommes tous résolus à l'embrasser. Déjà nous serions allés trouver notre père dans son village, s'il y avait des vivres suffisans pour y subsister tandis qu'il nous instruirait: mais ce qui nous afflige doublement, c'est que la faim soit dans la cabane de notre père, et que nous ne puissions pas y aller prendre ses leçons. Si notre père pouvait venir passer quelque temps chez nous, il n'aurait pas faim, et il nous instruirait.

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Comme la disette qui affligeait en effet les Abnakis, les eut obligés à s'éloigner pour quelque temps de leur bourgade, afin de chercher à vivre jusqu'à la récolte du maïs, le missionnaire, dans cet intervalle, se rendit aux invitations des Amalingans. Ils étaient à observer les chemins par où il arriverait : ils l'aperçurent à une lieue de distance et aussitôt ils commencèrent à le saluer par la décharge de tous leurs fusils, qu'ils réitérèrent de moment en moment jusqu'à ce qu'il fût au milieu d'eux. Assuré de leurs dispositions par cet accueil il fit sur le champ planter une croix. Quelques sauvages chrétiens qui l'accompagnaient, construisirent en même temps une chapelle avec des perches et de grandes écorces en la manière que se font leurs cabanes, et ils y dressèrent un autel. Pendant ce travail, le missionnaire parcourut les cabanes pour inviter les prosélytes aux instructions. Sitôt qu'elles commencèrent, ils s'y rendirent avec un empressement, que la continuité ne parut que redoubler. Ils les prenaient trois fois le jour dans la chapelle, le matin après la messe, à midi, et le soir après la prière. Pendant le reste de la journée, le

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