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sommes par 76° 37' de Lat. et 18° 33' de Long. O.- Nous atterrissons ainsi deux degrés plus au nord qu'aucune autre expédition. Il est juste d'observer que la plupart de nos devanciers ne s'étaient pas proposé d'atteindre la côte à une latitude élevée, que plusieurs, les Danois et le professeur Nathorst notamment, devaient, au contraire, se rendre dans des fjords situés au sud du 74° de Lat. N.; mais il n'en est pas moins vrai que, pour arriver où nous étions parvenus, nous avions traversé la banquise aux abords du 76° de Lat. N.; et que, par nos sondages, nous avions déterminé une section bathymétrique à travers une zone de la mer du Grönland réputée inaccessible. Cet itinéraire et cet atterrissage présentent donc un réel intérêt scientifique qui est la récompense de nos efforts.

Le 27, après une longue série d'observations océanographiques, nous appareillons pour nous rapprocher de terre. Nous contournons peu à peu le champ de glace que nous avions abordé par le sud la nuit précédente et, inclinant insensiblement notre route au nord, nous arrivons à un ilot, l'ilot Maroussia, situé un peu au sud du cap Bismarck. Sur ce rocher qui, à petite distance, paraissait absolument dénudé, nous découvrons, dès nos premiers pas, une flore d'une étonnante vitalité, et la boîte de naturaliste de Koefoed ne tarde pas à se remplir de spécimens variés. Nous reconnaissons notamment le saule arctique (Salix arctica Pall.) qui rampe au ras du sol et qui porte en ce moment ses fruits blancs, floconneux; puis un petit pissenlit (Taraxacum arcticum Dahlstedt, un pavot le Papaver radicatum Rottb.), etc.; il n'est pas de si petite excavation qui ne soit garnie d'une touffe de verdure, qui n'abrite quelque jolie fleurette jaune, bleue ou rouge.

Partout, des œufs d'hirondelle de mer (Sterna macrura Naum.) se trouvent disposés à même le sol dans d'imperceptibles pochettes. Nous voyons également une quantité de jeunes sternes, à tous les stades de croissance, jalousement gardés par leurs parents. Nous trouvons aussi sur l'ilot Maroussia quelques nids d'eider, des guillemots grylles (Uria grylle L.), des guillemots nains (Mergulus alle L.), du couvert de lièvre, des bois et des ossements de renne.

Du point culminant (40 mètres environ) nous reconnaissons, à l'ouest du cap Bismarck, la Dove bay encore toute couverte de glace d'hiver; à l'est, le champ que nous avons longé jusqu'ici laisse, entre lui et la glace côtière fixée au rivage (landice), un chenal praticable, rétréci, sur une petite longueur seulement, en un goulet étroit, fort encombré de glace; au nord, au delà du champ, on voit de l'eau libre. Si nous parvenons à franchir ce goulet, il nous sera possible de gagner encore quelques milles en latitude.

Nous rallions le bord en håte. Dans la navigation polaire, il faut profiter des circonstances favorables dès qu'elles se présentent et il suffit parfois de quelques minutes pour rendre impraticable un passage qui était largement

heures d'efforts et de patientes manœuvres, nous en atteignons l'autre extrémité; peut-être n'y fussions-nous pas parvenus si une légère détente ne s'était produite fort à propos pour ouvrir un peu l'étau de glace dans lequel nous nous étions engagés.

Pendant la nuit, brume épaisse, mais la mer, ou du, moins, ce que nous voyons, est relativement libre. Sous petite vapeur, très prudemment, nous faisons route au nord en serrant de près la glace côtière.

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28 juillet. A huit heures nous sommes par 77° 5' de Lat. N. et 17° 50′ de Long. O. Nous avons dépassé de quatre milles la latitude du cairn élevé en 1870 par Koldewey et Payer sur la terre du Roi Guillaume au terme du raid qu'ils entreprirent au printemps sur la glace côtière et jusqu'au cap Bismarck. Mais, tandis que nos vaillants devanciers n'atteignaient ce point qu'après une marche de 150 milles pénible et ardue, commencée aux quartiers d'hivernage de la Germania, et, poursuivie avec une admirable ténacité, vingtdeux jours durant, par un froid intense, nous étions, nous, à bord d'un bon et solide bâtiment offrant un relatif confort et la température était de + 2o! Alors que du point élevé où ils étaient parvenus, les explorateurs allemands apercevaient la glace côtière à perte de vue dans l'est et que tout semblait les autoriser à prédire qu'« à moins de circonstances exceptionnelles, jamais aucun navire ne s'avancerait le long de cette côte », nous naviguions à une petite distance de la terre, et, pour le moment du moins, seule la brume nous interdisait un progrès plus rapide vers le nord!

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Nous ne voulons pas envisager l'éventualité, toujours probable, d'une brusque modification dans l'état de la banquise, et, sans nous arrêter à la pensée d'une retraite impossible, nous ne songeons qu'à profiter des circonstances si favorables où nous sommes. Le temps reste bouché, il est vrai; mais, si épaisse que fùt la brume dans les parties basses de l'atmosphère, il nous a généralement été donné et c'était encore le cas actuellement de voir le soleil aux heures où sa hauteur est favorable à la détermination du point. J'ajoute que, lorsque les glaces ne sont pas trop serrées, la brume est relativement clémente au navigateur polaire; elle constitue un véritable miroir où se réflète très exactement la topographie de la banquise : très blanche au-dessus de la glace, elle est grise ou noire sur les étendues d'eau plus ou moins considérable. Aussi, le brouillard persistât-il et nous empêchât-il de voir la terre, cette pointe au nord ne serait pas inutile puisque nous effectuerions de fréquents sondages que nous pourrions reporter sur une carte vierge de toute indication.

Nous avons par bàbord, un champ de glace d'hiver, uni et bas, fortement entamé par le dégel et qui semble tenir à la terre.

A midi, nous sommes par 77° 20' de Lat. N. et 18° 20′ de Long. O.

A quatre heures du soir, tandis que nous étions en panne pour une « sta

tion >> océanographique, soudain la brume se dissipe et alors apparaît non seulement dans l'ouest, le massif grönlandais, mais encore, dans le nord-est, une île ou un promontoire. Cette dernière découverte, si inattendue, se produisant ainsi en coup de théâtre, nous remplit d'une joie profonde.

Nous nous dépêchons de faire route vers cette « côte inconnue » dont nous ne sommes éloignés que de 7 ou 8 milles...

Quelques heures plus tard nous débarquons sur cette « terre nouvelle », l'île de France, et nous en faisons une rapide reconnaissance.

L'île de France est une ancienne moraine s'élevant en pente assez douce jusqu'à une altitude de 160 mètres; le versant sud que nous gravissons sans peine est presque entièrement dégagé, alors que l'intérieur et toute la partie nord sont recouverts d'une calotte de névé.

Au sud-est, près du promontoire oriental auquel nous avons donné le nom de cap Philippe (77° 38' de Lat. N. et 17° 36′ de Long. O.), dévale un petit glacier local.

Bien qu'il n'y ait sur cet amas de pierres que fort peu de terre végétale, on y remarque une flore plus abondante encore et plus variée que celle de l'îlot Maroussia. Koefoed y enrichit son herbier de 19 phanérogames, de 7 variétés de mousses, de 4 champignons et de 6 lichens.

Je cite les phanérogames qui viennent d'être déterminés par M. C. H. Ostenfeld, inspecteur du Musée botanique de Copenhague :

Dryas octopetala L., Potentilla emarginata Pursh.;
Stellaria longipes Goldie, Cerastium alpinum L.;
Draba alpina L., Cardamine bellidifolia L.;
Papaver radicatum Rottb.;

Ranunculus sulfureus Sol.;

Saxifraga nivalis L., S. cernua L., S. rivularis L., S., caespitosa L., S. oppositifolia L.;

Taraxacum arcticum Dahlstedt;

Salix arctica Pall.;

Luzula nivalis Beurl;

Alopecturus alpinus Sm., Phippsia algida R. Br., Festuca ovina L.

Nous rencontrons des lièvres blancs et beaucoup de couvert de lièvre, des crottes de renard et de lagopède ainsi que des empreintes de pattes d'oies. Mérite capture un lemming.

Au point culminant, nous élevons un cairn sur lequel est déployé le pavillon français et dans l'intérieur duquel nous enfermons un document relatant notre débarquement.

En rentrant à bord, nous rencontrons, à mi-côte, un petit édicule vermoulu qui nous intrigue beaucoup. Il n'y a aux alentours aucune trace de campe

blissement de tentes; il y a donc lieu de croire, avec le professeur Nathorst, que c'est là un piège à renard plutôt qu'un foyer, comme nous l'avions tout d'abord supposé. Quoi qu'il en soit, ce vestige du passage d'Eskimos a son importance en ce qu'il étaie d'un argument nouveau cette hypothèse que les tribus nomades qui occupaient jadis la côte est sont peu à peu descendues du nord et qu'après leur arrivée de l'archipel nord-américain, elles ont contourné l'extrémité septentrionale du Grönland...

A peine avions-nous rallié la Belgica, à une heure avancée de la nuit, qu'une brume opaque nous enveloppait de nouveau.

29 juillet. Nous restons amarrés à la glace côtière, près de la pointe ouest de l'île (cap Saint-Jacques). En attendant une éclaircie qui nous permette de fixer la position d'un point de cette île, nous employons le temps à une longue série d'observations océanographiques et de pèches de plankton. Autour du navire volent quelques sternes, des pagophiles, des pétrels et des goëlands; de temps à autre, nous voyons un phoque barbu (Phoca barbata Fabr.).

Pendant la nuit, de nombreux narvals sortent de dessous la glace d'hiver qui s'étend entre la côte grönlandaise et l'île de France. Ils nagent vers le sud, par bandes de six à sept individus.

30 juillet. La brume est un peu moins dense et l'on discerne vaguement l'ile. Nous appareillons donc, dans la matinée, pour ne pas perdre un temps précieux. Nous rangeons la terre à une faible distance et, au compas, nous déterminons l'orientation de la côte sud de l'île de France. A onze heures, nous parvenons au cap Philippe. Un champ de glace, très épais, y est accroché; nous en serrons le bord oriental d'aussi près que nous le permettent les glaces qui flottent en marge et, peu à peu, nous perdons la terre de vue. Nous reconnaitrons plus tard, par temps clair, que c'était la lisière de la landice que nous suivions ainsi. Nous sondons successivement, à des intervalles de deux heures et à des distances de 6 milles environ 45 mètres, puis 290, 375, 395. Il semble par conséquent que nous nous soyons sensiblement éloignés de la terre. Nous gouvernons au N. 15° E.; mais à partir de onze heures du soir, le mur de glace que nous avons côtoyé depuis le matin s'incurvant plus à l'est, nous devons gouverner au N. 30° E.

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A minuit, nous sommes parvenus par 78° 16' de Lat. N. et 16°48′ de Long. E. Nous nous trouvons alors à 167 milles au nord du point extrême atteint jusqu'ici sur un navire par une expédition scientifique (Germania, 75° 29' de Lat. N., 27 juillet 1869). C'est tout ce qu'il nous sera donné de faire. Une éclaircie, momentanée nous permet, en effet, de considérer la mer à une assez grande distance : nous la voyons si couverte de glaces (drift ice), vers le nord, que nous devons bien, cette fois, nous rendre à la raison et nous résoudre à ne pas pousser plus loin dans cette direction. Sans doute, en

forçant, pourrions-nous gagner encore quelques minutes en latitude, mais nous risquerions fort d'être bloqués et nous ne sommes pas préparés à courir les risques d'un hivernage. Nous voulons néanmoins profiter de notre position exceptionnelle pour tenter une pointe vers l'est et faire quelques sondages suivant le même parallèle que ceux des 15 et 16 juillet.

31 juillet. A minuit, la profondeur était de 470 mètres; à quatre heures du matin, 15 milles à l'est, elle n'est plus que de 220 mètres. A sept heures la sonde touche fond à 100 mètres. Cela devient intéressant! Malheureusement la banquise est devenue plus compacte et il nous faut incliner la route au sud-est. A onze heures du matin, à 30 milles environ dans l'est de la station de minuit, le sondeur accuse une profondeur de 58 mètres seulement et la sonde à chambre rapporte quelques cailloux. Nous avons découvert un banc morainique, le banc de la Belgica. Peut-être même sommes-nous à proximité d'une ile, car nous voyons à ce moment deux corbeaux et un morse, et ces animaux ne s'éloignent jamais beaucoup de terre. Nous sommes tenaillés par le désir d'élucider le passionnant problème qui se pose à nous; mais, cette fois encore, la raison nous commande de laisser à d'autres ce soin et cet honneur. Depuis huit heures, la brume s'est de nouveau abaissée sur nous; au nord et à l'est les glaces sont agglomérées en masses abondantes, et c'est tout au plus s'il nous sera possible d'effectuer encore quelques sondages vers l'est-sud-est. La banquise est un peu plus praticable dans cette direction; cependant, elle forme un tel dédale que c'est avec les plus grandes difficultés que, noyés dans la brume, nous nous y frayons un passage.

Nous sondons encore 75 mètres, puis 115 et 200 mètres. Une observation d'angle horaire nous permet de fixer la longitude de ce dernier sondage : 13° 36'. La latitude estimée est 78 7'. Nous sommes à 40 milles au large de la côte du Grönland, au milieu du grand blanc laissé sur la carte par les explorateurs précédents.....

Il serait téméraire de nous avancer plus loin; la banquise devient de moins en moins maniable et, d'autre part, il est urgent de regagner l'île de France dont nous n'avons pu encore fixer la position de façon quelque peu précise.

N'avons-nous pas, d'ailleurs, tout lieu d'être satisfaits des résultats de nos derniers sondages dans cette partie de la mer du Grönland qui passait jusqu'ici pour tout à fait inaccessible?

Si les éléments nous empêchent de poursuivre ces captivants sondages, si c'est à regret que nous virons de bord pour gouverner à l'ouest cette fois, nous avons au moins la réconfortante notion du devoir accompli!...

Nous sondons fréquemment encore pendant le restant de la journée. A onze heures du soir, le brouillard se lève un peu : dans l'ouest le landice et la terre se projettent sur le ciel suivant deux strates superposées, l'iceblink tout

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