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et la terre elle-même apparaît, très élevée, dans le lointain. Vers le large, des bancs de brume persistent sur la glace; notre espoir d'en voir émerger la terre soupçonnée le matin reste déçu.

1er août.

La banquise étant plus navigable nous inclinons notre route légèrement vers le nord, afin de reconnaître la terre aussi haut que possible.

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Nous arrivons à quatre heures devant le mur de glace que nous avions longé l'avant-veille. C'est le bord de la landice (glace fixe au rivage) : nous y amarrons le navire pour relever les terres que nous avons en vue. Cette landice forme un champ uni, recouvert d'une couche de neige molle dans laquelle nous enfonçons jusqu'aux genoux; elle émerge de 1 m. 50 à 2 mètres et son bord dont l'orientation générale est le N. 15° E. est légèrement festonné de brisures, de brèches peu profondes, produites par le choc des glaces flottantes que charrie le grand courant polaire. Il est rare qu'un morceau s'en détache par le seul effet du dégel (ou du moins, nous l'avons rarement constaté); il semble que cette lundice demeure là éternellement. Au sud de l'île de France la glace côtière présentait un aspect complètement différent : elle n'émergeait que de 0 m. 30 à 0 m. 40 et le dégel l'avait si fort entamée qu'elle était presque dégarnie de neige, couverte de grandes flaques d'eau de fusion et toute criblée de trous; il s'en détachait fréquemment de très grandes plaques qui allaient se mêler à la banquise polaire...

Bergendahl et moi, nous nous disposions à prendre quelques angles quand la brume opiniàtre vint encore nous envelopper. Heureusement, dans le courant de la journée le soleil se montra parfois, et nous pûmes au moins déterminer la position de cette station A (Voir Pl. II).

Pendant la matinée les glaces flottantes défilent le long de la landice, entraînées vers le nord par un courant de 275 mètres à l'heure (soit 0,15 mille); l'après-midi elles dérivent, au contraire, vers le sud à la vitesse de 0,5 mille. Il faut donc admettre qu'il règne là des courants de flux et de reflux dont l'un annihile et surmonte même un peu le courant polaire et dont l'autre vient, au contraire, en accélérer la vitesse.

2 août. A deux heures et demie du matin, soudainement, les parties basses des terres apparaissent, puis, peu à peu, le voile qui les recouvrait se soulève tout entier. La côte grönlandaise s'étale devant nous en un immense panorama de 80 à 90 milles de développement. Nous profitons de cette éclaircie, Mérite pour faire une minutieuse« vue de côtes », Bergendahl et moi pour prendre force relèvements. Puis, à cinq heures, nous appareillons et nous procédons vers le sud le long de la landice.

Il fait un temps radieux, remarquablement serein; à quatre heures du soir le thermomètre marque + 3°,8, nous avons vraiment chaud. Nous faisons des stations aux points B, C et D (Voir Pl. II) où nous sondons respective

ment 530, 400 et 260 mètres et d'où nous prenons les azimuts des points remarquables.

Après avoir doublé le cap Philippe à dix heures du soir, nous allons encore nous amarrer le long de la glace côtière, près du cap Saint-Jacques.

3 août. Par beau temps clair, déterminé la position du cap SaintJacques (77° 36' de Lat. N. 18° 10' de Long. O. de Gr.).

De là encore nous relevons de nombreux angles.

Sur la plage, près du point d'observation, un de ces cercles de pierres soigneusement juxtaposées dans lesquels certains explorateurs ont voulu voir des cercles de tentes ». Les Eskimos ont l'habitude d'assujétir leurs tentes au moyen de pierres, mais il nous paraît évident que, lorsqu'ils lèvent leur campement, ils doivent se soucier fort peu, leur tente enlevée et pliée, de reposer très exactement en cercle les pierres qui servaient à la fixer au sol; il est plus probable, nous semble-t-il, que ces cercles ont servi de soubassements à des huttes de neige.

Nous ne découvrons aucune autre trace du passage des Eskimos; par contre, nous ramassons sur le cap Saint-Jacques un crâne de bœuf musqué et un morceau de bois flotté. Nous y voyons aussi des corbeaux, un stercoraire parasite et un bécasseau de mer.

Pendant la matinée un fort courant de sud amène du drift, des glaces flottantes, contre le bord de la landice, et, avant que nous ayons eu le temps de larguer nos aussières, nous sommes complètement investis. Le gouvernail subit des heurts répétés, nous nous trouvons durant plusieurs heures dans une assez fâcheuse situation.

L'après-midi le vent s'établit du nord et peu à peu nous dérivons hors des glaces. Celles-ci ne tardent pas à s'en aller elles-mêmes au sud.

4 août. Nous nous amarrons encore au bord de la landice. Le duc d'Orléans et le D' Récamier tentent, avec quelques hommes, d'atteindre sur la glace côtière le cap Amélie. Bien que la glace soit en pleine désagrégation, qu'elle soit «< pourrie », comme disent les Scandinaves, ils arrivent après mille obstacles très près de la terre. Mais la landice s'est détachée de la côte en un point, il leur faudrait une embarcation pour gagner la terre ferme. Force leur est donc de battre en retraite. Trempés jusqu'à la ceinture, ils rentrent à bord après douze heures de marche éreintante dans une bouillie glacée. S'ils n'ont pas eu la satisfaction de planter en ce point de la terre grönlandaise le drapeau français, ils rapportent au moins de ce raid l'impression que le cap Bismarck se trouve dans une grande île.

Pendant cette journée de nombreux narvals passent près du navire, se dirigeant par bandes de cinq à six individus, au sud dans la matinée, au nord dans l'après-midi, c'est-à-dire, chaque fois tète au courant.

Le croquis (Pl. II) que nous avons dressé de la partie de la côte orientale du Grönland comprise entre les 77° et 79° degrés de Lat. N. résulte d'une reconnaissance trop rapide et exécutée dans des conditions trop défavorables, pour répondre fidèlement à la réalité. Nous avons représenté ce que nous avons vu et non, vraisemblablement, tout ce qui existe. Le cap Bourbon, qui apparaissait sous la forme d'une île, n'a pu être relevé que du point A, et encore n'était-il visible que du nid de pie. Le cap Bergendahl est également porté sur la carte au moyen d'un seul azimut. Tous les autres points saillants de notre croquis résultent de deux ou plusieurs relèvements au compas.

Les points remarquables dont nous avons fait des caps sont-ils vraiment des promontoires de la côte elle-même ou marquent-ils simplement les extrémités de parties plus élevées, et d'arrière-plan, émergeant seules de notre horizon visuel; les blancs qui les séparent sont-ils des fjords ou des vallées? Nous ne nous hasarderons pas à trancher ces questions.

Ce n'est qu'aux stations D, E et F que nous nous sommes trouvés suffisamment près des terres pour les voir quelque peu nettement; aux stations A, B et C, nous étions à 20 milles de distance des accidents de terrain les moins éloignés parmi ceux qui se présentaient à nous.

Tout au plus pouvons-nous conjecturer, tant par ce que nous avons vu que par analogie avec ce qui existe au sud du 77° de Lat. N., qu'entre celui-ci et le 79°, la côte orientale du Grönland est découpée par des fjords profonds dont plusieurs, sans doute, communiquent entre eux loin à l'intérieur des terres.

Ces terres sont recouvertes d'une immense nappe de giace, l'inlandsis, sur laquelle les escarpements rocheux se détachent en noir. S'il se trouve peutêtre quelques glaciers dans les ravins, il ne semble pas qu'aucun s'écoule jusqu'à la mer. J'en excepte, bien entendu, le glacier local qui dévale de la côte sud-est de l'île de France. Nous avons rencontré un peu au large de cette île deux ou trois blocs de glace assez volumineux qui, sans doute, provenaient de ce petit appareil, mais pendant tout notre séjour dans la mer du Grönland nous n'avons vu aucun véritable iceberg.

Préoccupés avant tout de la sécurité du navire et constamment absorbés par les incessantes manœuvres que nécessite le séjour dans les glaces, nous avons. dù négliger l'observation attentive des manifestations du phénomène des marées le long de ces côtes. Nous avons pu constater, néanmoins, pendant que le navire était amarré à la landice, qu'au nord du cap Bismarck règnent des courants dont l'alternance est nettement caractérisée, courants dont l'un porte au nord et l'autre, plus rapide, porte au sud. Aux abords sud de l'île de

4. Le duc d'Orléans avait baptisé cette partie de la côte du nom de terre de France. A notre retour, la Commission danoise pour l'étude du Grönland qui préparait une nouvelle carte (voir La Géographie, XIII, 1, 15 juillet 1906, p. 43) a substitué à cette dénomination, celle de Terre du duc d'Orléans plus conforme à la tradition qui a présidé jusqu'ici à la désignation des principales parties de la côte orientale du Grönland.

France où les eaux échappent à l'effet du grand courant polaire, ces courants alternatifs nous ont paru être toutes choses égales - de même intensité. Ce sont donc, évidemment, des courants de marée.

La glace côtière, nous l'avons vu déjà, se présente sous un aspect très différent suivant qu'on la considère au sud ou bien au nord de l'île de France.

Au sud, elle est annuelle, c'est de la glace d'hiver (winterice) que le dégel corrode et dont une partie se réduit sur place, tandis que le restant s'en va à la dérive par grandes plaques. Au nord, elle semble ne se détacher jamais de la côte et il nous a paru qu'elle n'était entamée que par le frôlement des glaces flottantes...

En bordure de la glace côtière régnait pendant notre séjour dans cette région, tant au nord qu'au sud de l'île de France, un chenal assez dégagé de glaces...

5 août. Nous débarquons un instant au fond d'une petite crique située à un mille au nord du cap Bismarck. Nous trouvons là les ruines d'un établissement d'Eskimos assez important (une douzaine de cercles de pierres et trois tombes). Le long du rivage, stérilité complète, mais, à une petite hauteur, le sol est garni d'une flore assez variée; un peu à l'intérieur s'étendent même de véritables pâturages dans lesquels nous nous étonnons fort de n'apercevoir aucune trace de bœuf musqué. Nous reconnaissons, par contre, pendant notre rapide promenade, beaucoup de couverts de lièvre et de nombreux trous de lemmings. Nous voyons aussi quelques bruants des neiges, des stercoraires, des sternes et des bécasseaux.

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6 août. Nous débarquons à la pointe sud de la plus grande des îles Koldewey (cap Arendts), pointe basse d'origine morainique qui s'étend 7 à 8 milles plus au sud qu'elle n'est figurée sur la carte allemande.

Le chenal qui sépare les îles de la côte grönlandaise est encore entièrement recouvert de glace d'hiver...

Les glaces flottantes sont agglomérées en masses compactes au nord et à l'est de l'île Shannon à laquelle elles nous obligent à donner un « bon tour ». Plus bas, elles nous empêchent de nous approcher du fjord François-Joseph; la saison est, du reste, très avancée, les nuits deviennent froides et par moments la mer se couvre d'une couche de « jeune glace » il est temps de gagner la mer libre.

12 août. Pour la première fois depuis notre départ nous voyons le soleil disparaître quelques instants sous l'horizon... Nous naviguons toujours au sud dans une banquise parfois très maniable, souvent compacte; nous sommes le plus généralement enveloppés d'une brume opaque.

A partir du 15 août, nous marchons à l'est. Le 17, par 70° 38′ de Lat. N. et 15° 22' de Long. O., nous sentons la houle; il vente frais du sud-est et les

de nous faire une idée de la topographie de la banquise, même à une distance modérée, et il nous est impossible de choisir avec discernement la route qui nous en fera sortir le plus aisément.

Le 18, à deux heures du soir, nous arrivons devant un belt très compact que la houle soulève en de longues ondulations et contre lequel on entend briser la mer. Nous y pénétrons à grand'peine... la brise mollit et une légère détente. se produit.

Ces blocs de glace, lavés par la mer, dépourvus par les lames et par le dégel de leurs parties friables, sont durs comme du verre, et, c'est avec d'infinies précautions qu'il faut, tout en s'efforçant d'engager le navire entre eux, garantir de leur atteinte le gouvernail et l'hélice.

Il nous faut six heures d'efforts pour franchir ce belt qui n'avait pas 400 mètres de largeur...

A huit heures du soir, par 70° 26' de Lat. N. et 14° 27′ de Long. 0. nous sommes enfin en mer libre. Quatre jours plus tard nous jetions l'ancre en rade de Reykjavik, après avoir passé quarante jours dans la banquise (9 juillet18 août).

Pendant cette période de six semaines, nous avons noté 482 heures de brume plus ou moins intense, c'est-à-dire dans la proportion d'un jour sur deux. C'est pendant nos traversées de la banquise, du 21 au 27 juillet et du 15 au 18 août que la brume a atteint son maximum de fréquence. Le temps tout à fait serein a été l'exception.

Du 22 juillet au 8 août, la température est restée constamment positive, bien que souvent voisine de 0°. La plus basse température observée pendant notre séjour dans les glaces est -3°,4 (16 juillet, à quatre heures du matin. et 9 août à deux heures du matin); les plus hautes températures constatées sont+7,2, le 27 juillet, à deux heures du soir, et,+7,1, le 7 août, à huit heures du matin.

L'état hygrométrique a généralement été voisin de la saturation.

Pendant ce laps de temps, il a fait très souvent calme; la force du vent a presque toujours été inférieure à 10 mètres par seconde.

Il est certain que la grande banquise de la mer du Grönland a présenté, pendant l'été 1905, des conditions très favorables à la navigation. Nos observations à cet égard sont corroborées par celles des phoquiers norvégiens. En mai et juin on constatait que sa lisière se trouvait sensiblement plus à l'est que d'habitude: par une conséquence naturelle, en même temps qu'elle occupait plus d'espace, la banquise était, aussi, moins compacte que les années précédentes. Dès la fin mai, le « jagt » Excelsior de Tromsö trouvait les glaces très disséminées en bordure de la lisière proprement dite et parvenait à pénétrer jusqu'à 120 milles à l'intérieur de ce belt, par 75°30′ de Lat. N. Les

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