Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

d'autant plus desséchée que névés et glaciers sont en régression et que les abus de pâturage viennent s'ajouter au manque d'eau, que le sol se dépouille et se dénude. En haut la zone des éboulis : casses, clapiers, pierriers, empiète sur celle des pelouses, tandis qu'en bas se creuse une de ses « ravenas » telle que celle qui se forme aux « Belles Places », au-dessus de Termignon, dans le gypse.

Même dans la zone de la forêt et au « revers », sur le versant à l'ombre. des vides se produisent, surtout dans les quartzites qui sont une proie pour l'éboulement en masse ou bloc par bloc. Au-dessus de la gare de Modane, on remarque dans la forêt quatre plaies béantes, débris de quartzites blanchâtres sans cesse en mouvement, et gros blocs suspendus à 400 mètres au-dessus des voies. Ces éboulements, qu'on appelle « le Saut », ne dateraient que de vingt à trente ans au dire des habitants.

Enfin, les bois reculent, au lieu de s'étendre. A part la Forêt d'Arc, soignée comme un parc, là où la forêt est dense, elle se clairière, et là où elle se clairière, elle disparaît. Partout où elle n'est pas soumise au régime forestier, les habitants abattent avec inconscience bois d'œuvre et de chauffage. Peutêtre aussi ce régime n'est-il pas assez libéral, et, en privant presque les habitants de bois, les contraint-il à aller chercher le bois indispensable là où il est, en haut des communaux, dans les « parcelles » de forêts que l'on n'a pas jugé bon de soumettre au régime, là pourtant où il est le plus utile à la conservation du sol. La ruine des « parcelles » boisées est aussi néfaste que celle des forêts. Voilà pourquoi la zone des « boisés » a rétrogradé de 300 mètres depuis l'époque historique. Cette zone d'arbres morts, de troncs desséchés qu'on traverse au-dessus de la forêt actuelle, ce sont les bergers qui les ont coupés pour faire du feu, faute d'autre bois. D'autre part, des propriétaires, qui n'ont pas l'excuse de la nécessité, abusent de leur droit de propriété et des lacunes de notre législation pour raser des forêts entières, comme on vient de le faire à Mont-Denis. Dans le canton de Lans-le-Bourg, on aurait coupé 3000 hectares de bois depuis l'annexion, entre autres une forêt sur la rive droite du Doron, en face Termignon, et tous les pins de montagne qui se trouvaient sur le chemin d'Entre-Deux-Eaux, vers Saint-Antoine, où la limite de la forêt s'est abaissée de 200 mètres en quatre ou cinq ans. A quoi sert tout ce bois? à l'usage des chalets, ou bien à alimenter la fabrique de pâte à papier de Modane, qui dévore de 24 à 26 stères de bois par jour. Dans la région d'Albertville, les papeteries provoquent la même déforestation '.

Action destructrice de l'homme, action destructrice de l'eau coopèrent ainsi à la transformation rapide de la morphologie superficielle de la haute montagne. PAUL GIRARDIN,

Professeur à l'Université de Fribourg.

1. Je dois des remerciments tout particuliers à M. de Rochebrune, garde général des Forêts, qui m'a permis de l'accompagner dans sa visite à la région des barrages des Houillettes et de l'Arrondaz.

Les bijoux indigènes au Maroc

en Algérie et en Tunisie

Il semblerait au premier abord que l'ethnographie n'ait plus rien à glaner sur le littoral nord-africain dont une si belle partie est aujourd'hui terre française. Cependant personne, avant ces dernières années, n'avait songé à étudier les bijoux arabes, marocains ou tunisiens, si intéressants au double point de vue de l'histoire des arts et de l'évolution des races.

Savait-on seulement qu'il existait des bijoux indigènes, en dehors de ces soltanis en argent doré, de ces bagues en métal blanc, de ces coupe-papier en forme de yatagan, vendus par des Arabes des Batignolles dans nos expositions universelles? Connaissait-on en Afrique d'autres parures que cette pacotille allemande de contrebande, importée dans les bazars algériens pour leurrer les touristes? Soupçonnait-on les orfèvres de Biskra, de Tlemcen, de Boghari, de Laghouat, dans le demi-jour de leurs vieilles échoppes, avec leurs procédés surannés et leurs outils primitifs, de fabriquer autre chose que ces pauvres joyaux, qualifiés dédaigneusement d'art pour sauvages » par les premiers administrateurs de la conquête? Les artisans d'aujourd'hui faisaient oublier les orfèvres d'autrefois, et les grossiers bijoux fondus dans les douars, les admirables parures conservées jadis dans les anciennes familles arabes.

¢

Ce sont ces joyaux, jalousement gardés dans les harems de quelques grands chefs, descendants des favoris du dey, qu'un curieux d'art, M. Paul Eudel, a entrepris de faire connaître. Chargé par le ministère de l'Instruction publique d'étudier les diverses manifestations de l'art arabe, il a eu la bonne idée de se limiter, dans un champ d'études aussi vaste, à l'orfèvrerie. Il s'est livré à une enquête de plusieurs années sur ces trésors disparus un à un devant la ruine et la misère croissante, vendus aux bijoutiers européens, engagés chez des israélites ou au Mont-de-Piété d'Alger, mis à la fonte sans respect pour leurs formes délicates et le fini de leur ornementation.

de composition, mais également intéressants, tous trois copieusement illustrés de reproductions d'après nature : une étude sur l'orfèvrerie, un récit de voyage dans le sud Algérien, et un dictionnaire des bijoux'.

La question est désormais posée. Sans espérer arriver dès maintenant à des conclusions définitives, on peut dégager quelques données générales sur cet art ignoré et sur la répartition par régions ou provinces de ces bijoux aux formes traditionnelles et immuables, sans cesse recommencés par les mêmes procédés, suivant les mêmes modèles, par des générations sans nombre.

Les bijoux nord-africains peuvent se ranger en trois grandes familles, correspondant à trois centres distincts de fabrication le Maroc, l'Algérie, et la Tunisie.

Incontestablement le foyer le plus intense de l'orfèvrerie musulmane a son siège au Maroc. C'est sur cette terre classique de l'Islam, jalousement fermée aux influences européennes, que se sont perpétuées les formes les plus pures. Les bijoux des femmes de Fez ou de Mogador ont gardé une ampleur, une richesse, une majesté de lignes qui ne se retrouve nulle part ailleurs. Quelle étonnante parure que ces grandes boucles d'or (akarech), portées par les jeunes mariées, qui s'accrochent à la coiffure de chaque côté du visage, encadrent l'oreille d'un anneau à demi fermé, et se terminent en pendeloques retombant comme des larmes (fig. 12)? Quel somptueux diadème que ce bandeau d'or (tadj), composé de plaques découpées et incrustées de pierres précieuses, qui rappelle à la fois le bandeau étrusque et le fronteau du xive siècle 2? Et ces anneaux de pied (redi,) en argent revêtu d'appliques et d'émaux polychromes (fig. 11)? Et ces talismans en forme de main ouverte (khamsa), ajourés et émaillés pour servir de porte-bonheur aux filles et aux garçons (fig. 13)?

De tels bijoux font penser à des maîtres d'un art avancé, et l'on remonte jusqu'aux orfèvres hispano-mauresques, qui, chassés d'Espagne au xv siècle, revinrent demander asile à cette terre d'Afrique d'où ils avaient pris leur essor. Seuls les artisans de Cordoue et de Grenade ont pu concevoir le faste harmonieux de ces parures; seuls ils ont pu enseigner ce merveilleux travail d'émail et d'or que les orfèvres marocains, avec leur traditionnalisme rebelle aux influences du dehors, ont perpétué, sans y rien changer, à travers les siècles.

L'Algérie, aussi bien que le Maroc, a connu d'admirables ouvriers. Mais leur art est plus composite. Sur cette vieille terre africaine qui a vu se succéder toutes les civilisations: Phéniciens, Numides, Romains, Vandales, Byzantins, Arabes et Turcs, chaque peuple conquérant ou colonisateur, a

1. L'orfèvrerie algérienne et tunisienne, illustrée de dessins, chromolithographies et cartes. Alger, Jourdan, 1902, gr. in-8°. D'Alger à Bou-Saada, illustrations de H. Eudel. Paris, Challamel, 1504, in-12. Dictionnaire des bijoux de l'Afrique du Nord, Maroc, Algérie, Tunisie, Tripolitaine. Paris, Leroux, 1906, in-8°, illustré d'un très grand nombre de figures. Les intéressantes illustrations jointes à cette notice, sont empruntés à ce dernier ouvrage.

2. La valeur du tadj peut s'élever de 10 à 15 000 francs.

laissé son empreinte. Cependant le goût turc domine, avec des réminiscences fâcheuses de modèles européens apportés jadis par les corsaires barbaresques,

[graphic][subsumed][merged small][merged small][merged small][graphic][ocr errors][merged small][ocr errors][ocr errors][merged small]

ou imposés par les esclaves chrétiens qui refaisaient dans les prisons du dey les bijoux de leur pays natal. Naturellement la conquête française n'a fait

1. Cf. les bijoux rapportés par M. le baron de Baye de sa mission en Crimée et au Daghestan.

qu'accentuer cette dégénérescence de l'art algérien. Pour trouver maintenant des types originaux, il faut s'enfoncer vers le sud et faire ouvrir le trésor de quelque marabouta renommée, comme l'a fait M. Paul Eudel, ou avoir la bonne fortune de contempler les femmes de l'agha de M'sila parées de tous leurs bijoux :

« Sur la tête, le djebine, diadème à deux rangs constellé de pierreries, « tandis que l'assaba d'Alger n'a qu'un rang de plaques découpées et incrustées << de diamants (fig. 14). Aux oreilles des m'chareff, boucles faites d'un fil d'or « enroulé en cercle avec une garniture en dents de scie. Aux poignets des « souaq (fig. 15), à pointes hérissées, qui peuvent devenir à l'occasion une arme « de gladiateur. De chaque côté de la figure, les taklila, « beauté de la joue », grandes boucles agrémentées d'une grappe de pendeloques de corail, de « boucles d'or, de sequins, de plaques émaillées'. »

«

De quelle époque datent ces bijoux? De deux siècles ou de trente ans, nul ne saurait le dire dans un pays où les orfèvres emploient encore les instruments qui servirent à décorer les armes de Barberousse. Mais on peut hardiment pencher pour l'ancienneté de la fabrication si l'on se reporte aux modèles exposés de nos jours par les bijoutiers d'Alger, d'Oran, ou de Constantine. Tout est au goût européen, maladroitement adapté aux formes indigènes. C'est le bijou pour touristes et voyageurs des grandes agences.

Par bonheur l'Algérie a conservé sur un point privilégié de son domaine un art prime-sautier, original, d'une pureté et d'une sobriété de style incomparables. C'est dans la Grande Kabylie, ce massif montagneux du Djurjura où les Beni Yenni exercent leur industrie depuis des siècles.

Rien ne peut donner une idée des bijoux de cette race indépendante, belliqueuse, habituée aux durs travaux. L'argent est le seul métal employé, un argent mat, sans poli ni brillant, mais que l'ingéniosité du Kabyle sait rehausser d'émaux bleus, jaunes, verts, chaudement colorés, et de cabochons de corail qui éveillent invinciblement à l'esprit le souvenir d'orfèvreries mérovingiennes. Plus de silhouettes frêles, d'ornementation recherchée. Des plaques solides, épaisses, taillées en rond, en rectangle, en triangle, en losange, des bijoux lourds comme des armures et qui semblent plutôt la parure d'une amazone que celle d'une petite maîtresse. Jamais l'orfèvre algérien, matiné de Turc et d'Européen, n'aurait conçu cette décoration sévère, d'un équilibre étonnant, presque exclusivement empruntée aux formes géométriques 2.

Le plus curieux, c'est que l'ouvrier kabyle ignore les procédés de fabrication moderne. C'est par routine qu'il fond ces ibzimen émaillés qui retiennent le haïk à la façon des fibules dont les Grecques drapaient leur peplos,

1. D'Alger à Bou-Sauda, p. 72.

2. Revue de l'Art ancien et moderne, avril 1903, article par Henri Clouzot. Le Musée d'ethnographie au Trocadéro possède de beaux spécimens d'orfèvrerie kabile provenant du maréchal Randon.

« ZurückWeiter »