Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

Reconnaissance du Sebou

par la mission Dyé

(AVEC UNE PLANCHE HORS TEXTE)

L'oued Sebou prend sa source quelque part dans l'Atlas, passe à Fez, et se jette dans l'Atlantique. C'est à ces notions sommaires que se réduisaient nos connaissances sur ce fleuve. De nombreux voyageurs l'ont pourtant vu; mais, à part quelques intrépides, Tissot, Fischer et, en dernier lieu, le capitaine Larras, qui a levé des itinéraires dans sa vallée, bien peu avaient pu s'y intéresser. Les ambassadeurs allant à Fez, pressés d'arriver, maudissaient les lenteurs du gué; quelques commerçants venus de Rabat s'avançaient le long de son cours, achetant des bestiaux, puis tournaient bride aussitôt que leur sécurité semblait menacée; enfin de rares voyageurs allant de Larache à Salé l'avaient passé à l'embouchure, Méhédiya: aucun n'en avait donné un tracé complet et exact, parce que son exploration n'était le but spécial de

personne. Pendant les derniers mois de 1905, nous avons, le lieutenant de vaisseau Dyé, commandant la mission hydrographique du Maroc, et moi, avec l'aide du quartier-maître Tymem, relever le cours inférieur du Sebou, le sonder, étudier son régime ainsi que les mœurs de ses riverains et les productions de sa plaine fertile... et en revenir sains et saufs.

La carte jointe à cette note (Pl. III) est une réduction au 100.000° d'une série de grands plans au 10.000, avec sondages du fleuve, que nous avons dressés. Elle comprend la partie moyenne de son cours entre le Mechra el Kçiri (gué situé un peu après l'entrée en plaine) et le marabout de Sidi bel Kheir, où commence franchement l'estuaire, long d'une quarantaine de kilomètres.

Le Sebou est, sans aucun doute, le plus puissant fleuve de l'Afrique du Nord. Alimenté par les pluies en hiver et par la fonte des neiges en été, son cours, au débit régulier, se déroule en nombreux méandres, dans une plaine d'alluvions.

La plaine est absolue, véritable savane, océan de verdure; pas un talus, pas un monticule qui en coupent la ligne d'horizon; dans le lointain, un merveilleux décor de montagnes neigeuses, blanches et bleues se profilant sur le ciel bleu foncé. Rien n'annonce le fleuve; aucun abaissement du sol: seulement une petite ligne de figuiers qui, nous l'avons su ensuite, jalonnent les

berges. La tranchée dans laquelle coule le Sebou est taillée par lui à pic dans huit, dix, douze mètres d'alluvions fécondes. Il faut arriver au bord pour voir le fleuve, tantôt rapide et resserré dans un coude brusque, tantôt élargi et paisible dans les grandes lignes droites de son cours inférieur.

Ses eaux limoneuses ont attiré sur ses rives une population relativement dense, habitant des douars nomades; gens de mauvaise réputation d'ailleurs, et qui ne semblent pas devoir la perdre. Les riverains du Sebou sont les Beni Hassen. Autrefois cantonnés sur la rive gauche, ils ont été en partie refoulés

[graphic][subsumed]
[ocr errors]

FIG. 16. LE SEBOU, AU DÉBUT DE LA PARTIE MARITIME. DOUAR DES OULAD CHEKOR.
GROUPE D'ENFANTS BENI-HASSEN. (Reproduction d'une photographie de M. Pobéguin.)

par leurs voisins du sud, les Zemmours, et ont débordé sur la rive droite dans le pays Rharb, dont ils ont chassé les paisibles cultivateurs. Le pays est encore très troublé; si l'on joint à cela les difficultés habituelles sur une frontière entre deux tribus, habitat préféré des malandrins des deux bords, on se rend compte que ce voyage n'est pas encore une promenade d'agrément.

Toujours en guerre entre elles, armées de Winchester de contrebande, le principal moyen d'existence de ces populations consiste à se voler leurs troupeaux de bœufs, à tel point que l'on se demande qui élève ces malheureux bestiaux errants; le chrétien de passage est naturellement une proie alléchante. Il nous a fallu plusieurs fois ouvrir nos caisses hors des tentes et faire approcher les gens pour bien les convaincre qu'elles n'étaient pas pleines d'argent; car, cette idée ancrée chez nos hôtes, notre sort eût été réglé. La navigation

du canot et surtout les sondages les ont également fort inquiétés, beaucoup plus, semble-t-il, que les opérations de triangulation à terre. Le commandant Dyé a été témoin forcé, un jour, d'une danse du couteau que n'aurait pas reniée le pire cannibale. Nous avons dû finalement interrompre la navigation du canot, après avoir essuyé quelques coups de feu. Mais ces actes isolés n'étaient que de violents incidents : la pire sensation est certainement, au contraire, l'hostilité sourde et permanente qui ne se manifeste pas directement, et que l'on aperçoit chez tous, depuis le passant croisé sur la route jusqu'aux

[graphic]

FIG. 17.

- LE SEBOU PRÈS DU COUDE NORD. (DOUAR LEBRARRGA [BENI HASSEN ]).
Reproduction d'une photographie du commandant Dyé.

domestiques de votre intimité. Refus de vous accueillir le soir à l'étape, blessures faites aux chevaux pendant la nuit, trahison des guides, mauvais vouloir des interprètes, refus d'obéissance des muletiers, et surtout espionnage perpétuel, figure immobile dans les roseaux de la berge, confondue avec la terre et qui prend tout à coup relief humain, ou haute silhouette de cavalier, paraissant et disparaissant brusquement sur la falaise au-dessus de notre canot.

Malgré toute la fertilité du pays, bien des années passeront encore où l'on ne verra le Sebou qu'au Mechra el Kçiri, le gué de la route de Larache à Fez, ou bien au Hadjer el Ouâqenf, le gué de la route de Tanger à Fez.

Présentement, c'est peut-être le fleuve le plus absolument vierge de tout travail humain qu'il soit possible de voir dans les régions habitables du globe.

les cultures; le Congo, le Zambèze, le Nil, toutes les grandes artères du continent noir, asservies par la navigation, ont fourni les moyens de le pénétrer : l'oued Sebou coule toujours librement, sans aucune entrave humaine. Pas un pont ne barre ses paysages un peu tristes; avant nous pas un bateau n'y avait navigué; les riverains le traversent seulement sur des outres ou des fascines de joncs; notre canot de toile en a le premier suivi le cours. De ce fait ce fleuve présente en revanche un intérêt pour le géographe et l'ingé

[graphic]
[merged small][ocr errors]

Nomala EN CHAUME SUR LA RIVE DROITE DU SEBOU. (TRIBUS DU R'ARB [CHERIF MEKNACA].
Reproduction d'une photographie du commandant Dyé.

nieur; on peut y étudier certaines lois de la nature avec la certitude qu'aucun ouvrage étranger n'est venu les troubler. Pas une pierre dans son lit que le fleuve n'ait apportée lui-même. Ses courbes, ses berges, sa pente, son courant, ses remous, sont autant de sources où le savant peut puiser, pour apporter sa contribution à l'histoire naturelle du globe.

En attendant qu'il joue dans l'économie du Maroc le rôle important auquel il est destiné, on peut espérer qu'il sera pour les hydrologistes, une source plus féconde que nos cours d'eau, épuisés par dix siècles de civilisation.

E. POBEGUIN,

ingénieur de la mission hydrographique du Maroc.

« ZurückWeiter »