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De Tombouctou à Taodéni

Relation du raid accompli par la compagnie de méharistes du 2 Sénégalais commandée par le capitaine Cauvin

26 février-17 juin 1906

(AVEC UNE PLANCHE HORS TEXTE)

Le 26 février 1906, la 4o compagnie du 2o Sénégalais, tout récemment formée en compagnie de méharistes au moyen d'une subvention de 25 000 francs du budget local, quittait Tombouctou pour faire pâturer ses chameaux dans les régions herbeuses de l'Azaouad.

De janvier à avril, les abords immédiats du Niger sont infestés d'une grosse mouche qui, cantonnée dans les touffes de paille, inocule aux chameaux par sa piqûre une maladie appelée en arabe m'bori. La mouche ne pique que le jour, et le m'bori, généralement mortel, se déclare au bout d'une incubation d'un an environ, que suit une période de maladie aiguë et de langueur de quelques mois. La zone infestée ne s'étendant pas au delà d'une ligne parallèle au fleuve et marquée par les puits de Teneg-el-Haye et de Tourja, tous les chameaux des Bérabiches nomades montent plus au nord à cette époque.

La 4 compagnie ayant reçu l'autorisation d'agir de même et d'aller s'établir pour deux mois dans les régions voisines d'Araouan et de Bou-Djebeha, partait à l'effectif d'un capitaine, un lieutenant, cinq sous-officiers européens, une centaine de tirailleurs soudanais avec cent soixante chameaux.

Les tirailleurs, pour la plupart venus des régions de Bammako et de Ségou, ignoraient la conduite, le dressage et l'hygiène de ces animaux. Ils n'avaient jamais vécu dans le désert, s'y trouvaient entièrement dépaysés, et, étaient peu capables d'y rendre d'utiles services. Un recrutement parmi les nomades, particulièrement les Kountas, eût été préférable; mais ces derniers encore peu familiarisés avec nous, et ignorant nos usages comme nos intentions, refusaient énergiquement de s'engager sous nos drapeaux. On avait donc été réduit à prendre des Bambaras dont la bravoure est proverbiale, mais qui ne possèdent point cette science de l'utilisation du désert, indispensable pour les longues randonnées et dans laquelle excellent les nomades.

Heureusement le détachement comportait quelques anciens esclaves de Maures, libérés par leurs maîtres et quelques chameliers d'enfance dont les services furent par la suite inappréciables.

Les chameaux, en général, étaient dans un état médiocre, leur nombre restreint n'ayant pas permis d'établir un roulement parmi eux pour les reconnaissances faites ou à faire. Beaucoup provenaient d'impôts, étaient vieux, sans valeur ou affaiblis. Ce séjour de deux mois dans l'Azaouad devait, pensait-on, les remettre en excellente forme.

Quant au matériel emporté il était réduit au plus strict indispensable : selles, cordes et seaux. Les crédits alloués n'avaient permis d'acheter ni tonnelets métalliques, ni tentes ; tirailleurs et Européens s'étaient « débrouillés » dans la mesure de leurs moyens et des ressources du pays.

Le convoi portait deux mois de vivres : riz, bœuf de conserve et biscuits; mais il était possible de compter sur les troupeaux de moutons, nombreux dans la région, pour varier ce frugal menu de viande fraîche.

Au nord de Tombouctou s'étend une vaste région de sables, piquée d'arbustes épineux, sortes de mimosas étiques toujours suffisamment distants l'un de l'autre, pour que le passage entre eux soit possible. Hauts de 2 ou 3 mètres, ils se couvrent en juillet et août d'un feuillage assez intense pour que la plaine vue de loin semble vêtue d'une forêt verdoyante, et paraisse justifier le nom qui la décore emphatiquement. Ces arbustes ont fixé les sables et arrêté l'extension des dunes qui s'étendent sur plus de 100 kilomètres au nord.

Au milieu de cette forêt la route du nord circule tortueuse et piétinée, tantôt large, tantôt resserrée, agrémentée de mille petites traces détachées du grand chemin qu'elles rejoignent, après avoir serpenté parmi les arbres au gré d'un chameau capricieux ou de son conducteur inattentif.

Brusquement, à 25 kilomètres de Tombouctou, les arbres cessent, et de suite commencent ces puissants vallonnements de terrain qui moutonnent jusqu'à l'horizon, tous parallèles les uns aux autres, suivant une direction perpendiculaire à l'aiguille aimantée, qu'ils conserveront jusqu'à Taodéni.

Couvertes de touffes d'herbes qui ont fixé les sables, doucement inclinées vers le sud et présentant, au contraire, des pentes raides vers le nord, ces ondulations témoignent à la fois de l'envahissement progressif de la végétation et de la constance des vents dominants. Entre les dunes s'étendent de larges vallées au fond desquelles poussent encore quelques rares arbres de plus en plus maigres à mesure qu'on s'avance; plus loin, vers Araouan, la ligne de talweg seule reste bordée d'une rangée de genêts élevés qui progressent peu à peu, sautant de vallon en vallon, et, tendent constamment à gagner sur les sables arides.

Les premiers puits, ceux de El-Hadjou et de Taghounanet, à environ

48 kilomètres de Tombouctou, gisent au fond d'une de ces dépressions. Ils ne sont déjà plus sur la route directe d'Araouan qui s'est écartée vers l'ouest et va traverser, sans y trouver de puits, une longue bande de sables qu'il faut six étapes pour franchir. La compagnie de méharistes avait décidé, au contraire, d'atteindre Araouan par la route de l'est, plus longue, il est vrai, mais jalonnée de puits et traversant le petit village de Bou-Djebeha où elle pensait s'installer facilement dans un ancien fortin abandonné. Le 27 février, elle campait au puits d'El-Hadjou, où durant les jours précédents étaient venus se grouper ses chameaux et ses bagages. Tandis que le seul puits de Tombouctou n'a guère qu'une douzaine de mètres de profondeur, les deux puits d'ElHadjou, moyennement abondants, en atteignent déjà 70.

Après deux jours passés à El-Hadjou pour la répartition des charges et l'organisation du convoi, la compagnie se remettait en route pour BouDjebeha. Longeant l'unique puits de Taghounanet, elle atteignait le 1er mars les deux puits de Teneg-el-Haye, le surlendemain les trois puits de Tintehoun, et le 6 mars le puits de Tourja.

Cette dernière route de Tintehoun à Tourja se développe d'abord dans les vallonnements herbeux, puis soudain franchit une bande rocheuse, marquée surtout par deux importants affleurements de schistes argileux. A l'ouest, c'est l'énorme massif de Tadrarnt qui domine la plaine d'environ 125 mètres et dresse de tous côtés ses murailles verticales de forteresse naturelle; à l'est, ce sont les pics de Tourja, d'une trentaine de mètres de haut formés par l'affleurement d'une strate qui saille du sol suivant l'azimut magnétique 120 et s'incline sur l'horizontale d'un angle de 77°. Entre ces deux bastions, les sables ont recouvert la courtine de rochers qui affleurent encore par endroits, les indigènes ont profité de ces surfaces planes, facilement friables pour y graver des inscriptions en langue tamachèque.

Le 9 mars, la compagnie campait au puits d'Inalaye, le plus profond de ceux que nous devions rencontrer (environ 90 mètres). De là à Bou-Djebeha la distance est de 108 kilomètres sans eau; avec nos animaux il nous faut compter trois étapes. Nous allons connaître, pour la première fois, la putréfaction que peut devenir l'eau conservée dans les peaux de bouc indigènes.

L'importance des dunes a acquis vers Inalaye son maximum; dès lors, tout en se pressant nombreuses sur notre route, entrecoupées de vallées où poussent quelques arbustes, elles vont s'affaiblir lentement vers le nord et s'écarter entre elles. La dernière, la dune d'Az-bé-Seup, marque la fin de cette région tourmentée; de son sommet devant nous, la plaine herbeuse s'étend unie à perte de vue sans une ondulation seules tout à fait dans le lointain pointent déjà les quelques cases de Bou-Djebeha.

Les méharistes atteignaient ce point le 14 mars et s'y installaient dans une

N.

maures et que les tirailleurs allaient réparer et mettre en état de défense. D'importantes nouvelles arrivaient en effet du nord; Taodéni, au dire des indigènes, était occupé par un rezzou de 400 Doui-Menia qui y attendaient la grande caravane de sel ou azalaï des Bérabiches. Ces derniers, prévenus

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reculaient la date fixée pour leur départ et il était possible que les Doui-Ménia descendissent dans l'Azaouad pour y razzier les chameaux vainement attendus plus au nord.

Bou-Djebeha est une petite bourgade d'une quarantaine de cases à moitié enfouies sous le sable. Elle fut fondée, dit la légende, par un chef bérabiche dont les pâturages préférés étaient sur l'emplacement actuel du village. Pour instruire ses fils et ceux de ses compagnons il fit venir d'Araouan une famille maraboutique qui, n'ayant pas l'habitude des tentes et de la vie nomade, construisit une case en terre autour de laquelle, plus tard, se groupèrent d'autres cases. Des puits furent forés dont le nombre s'accrut peu à peu et Bou-Djebeha devint un centre important pour les caravaniers marocains qui y installèrent leurs entrepôts.

L'organisation défensive de la kasbah dans le but de parer à toute attaque des pillards nous demanda plusieurs jours durant lesquels les chameaux purent pâturer à leur aise.

Dans la première quinzaine d'avril nous apprîmes que le rezzou se réduisait à une quarantaine d'hommes et que prévenu de notre présence il était déjà remonté vers le nord. Une petite reconnaissance fut alors tentée sur Araouan qui fut occupé pendant quelques jours; le retour du détachement eut lieu par le puits de Guir et fut hâté par la venue d'un courrier annonçant l'arrivée d'ordres importants pour le capitaine à Bou-Djebeha.

Une note officielle, en effet, parvenue le 15 avril, annonçait que le lieutenant-colonel Lapérrine, commandant supérieur des Oasis Sahariennes, ayant l'intention de pousser une pointe sur Taodéni, qui est situé sur le territoire de l'Afrique Occidentale, avait télégraphié qu'il serait heureux de se rencontrer avec les méharistes soudanais en ce point où il pensait être en fin avril. En conséquence, des instructions étaient données pour que la compagnie se portàt dans le plus bref délai sur Taodéni et y opéràt avec les Algériens une jonction à laquelle le Gouverneur attachait un « intérêt majeur ».

Après avoir mûrement réfléchi sur les chances de réussite, le capitaine. Cauvin décida que l'impossible serait tenté pour justifier la confiance que le gouvernement de l'Afrique Occidentale mettait en lui.

De suite un choix fut opéré parmi les tirailleurs et les animaux, les bagages réduits, chaque homme n'emportant qu'une couverture, ses vivres, et. sa peau de bouc; et, le 18 avril, la petite reconnaissance, quittait Bou-Djebeha en route sur Taodéni. Elle comprenait le capitaine Cauvin, le lieutenant, auteur de cette notice, les sergents Dufour, Ribbe et Mille, 45 tirailleurs et 80 chameaux. Restaient à Bou-Djebeha, sous les ordres de l'adjudant, les tirailleurs moins robustes à la garde des bagages laissés et les chameaux affaiblis incapables de cette longue randonnée.

L'intention du capitaine était de se porter immédiatement sur Araouan, centre plus important et plus peuplé, où il serait possible de se ravitailler pensait-il, d'achever les préparatifs, de trouver des guides et de grouper tous

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