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présence des notables assemblés, caïd en tête, et sous les regards d'une population inquiète et curieuse. Certes, les Soudanais étaient heureux de pouvoir enfin jouir à Taodéni d'un repos mérité pendant quelques jours; cependant, maintenant qu'ils avaient les premiers occupé la ville, ils attendaient, avec plus de joie, la venue des Algériens et se réjouissaient de l'espoir de la rencontre prochaine.

Malheureusement, quand le capitaine, après avoir, selon l'usage, prononcé devant les habitants des paroles de paix, les eût interrogés sur les rumeurs du pays, il lui devint facile de se convaincre que les caravanes récemment venues du nord et de l'est n'avaient apporté aucun renseignement sur la marche du lieutenant-colonel Lapérrine et que la présence de ce dernier dans une zone voisine était, par suite, singulièrement improbable. Hélas! le 10 mai et les jours suivants devaient en effet se passer sans apporter de nouvelles et sans que soit acquise par les indigènes aussitôt expédiés en reconnaissance la moindre donnée sur la position actuelle des méharistes algériens.

Ces jours d'attente furent employés à reconnaître et à lever le pays environnant. Notre première visite fut pour les mines de sel que n'avaient visité ni Lenz, ni René Caillé.

L'exploitation des salines se fait dans la partie la plus creuse de la dépression, à 3 kilomètres environ au sud du village, en une région, où le sol, constitué d'une argile rouge pétrie de gypse fer de lance, semble s'être gonflé, boursouflé, craquelé sous l'influence des cristaux de sel qui se mélangent à lui jusqu'au niveau de la surface même.

Là, des captifs du caïd ou des chefs de case creusent d'énormes trous rectangulaires de 8 à 10 mètres de côté, à travers l'argile, rouge d'abord et qui verdit à mesure de la descente et se charge plus fortement de cristaux de sel. A 5 ou 6 mètres de profondeur, les travailleurs rencontrent tout à coup une couche de sel pur et blanc, épaisse de 0 m. 25 à 0 m. 30, qu'ils découpent en blocs de 1 m. 30 sur 0 m. 40, puis qu'ils équarissent et fendent en deux dans toute la longueur de façon à obtenir par la suite deux barres dressées et polies, d'un poids voisin de 30 kilos chacune. Sous cette première couche ils en trouvent une deuxième séparée de la précédente par quelques centimètres d'argile, puis une troisième qu'ils traitent l'une et l'autre comme la première. D'autres couches de sel s'étendent plus profondément encore; mais dès que la troisième couche est enlevée, l'eau jaillit de toutes parts, emplissant les trous et rendant impossible tout travail plus profond. Arrivés donc en ce point et pour accroître l'étendue de la surface exploitée, les mineurs creusent alors dans les angles de courtes galeries non boisées pour en extraire, sous terre, le prolongement immédiat des couches déjà extraites à l'air libre.

Après cela l'emplacement est abandonné; les déblais rejetés sur les côtés.

de la fosse retombent, et la remplissent peu à peu; le vent et les sables achèvent de la combler. Pendant ce temps les captifs ont recommencé sur un autre point le même travail; dans les excavations abandonnées, les couches de sel, racontent-ils, se reformeraient lentement avec les années... ou les siècles.

La saline, dans son ensemble, comporte ainsi de 100 à 150 fosses en exploitation; elle se porte vers le nord au fur et à mesure des travaux nouveaux. En 1905-1906, elle a produit 32 000 barres de sel que les caravanes bérabiches et kountas ont transportées vers le sud. Étant donnés ce résultat et le travail pénible de l'extraction, il semblerait donc à première vue que le sort des captifs fùt particulièrement précaire; mais ils sont bien traités, copieusement nourris et ne se plaignent pas de leur sort. Beaucoup d'entre eux se sont mariés, plusieurs même ont créé des familles et acquis des cases à côté de la saline.

Ces mines n'appartiennent à personne. Tout individu a le droit d'y faire creuser une fosse pour son compte propre, et, sans redevances, d'en faire extraire le sel par ses captifs. De la sorte agissent certains commerçants, tel Mohammed-el-Béchir qui fait de plus exécuter lui-même le transport vers Tombouctou par ses propres caravanes. Mais cela suppose la présence aux salines d'un représentant et d'esclaves. Or, les bérabiches ou kountas nomades n'ont pas la possibilité d'en avoir et le manque de pâturages leur défend de prolonger au delà de quelques heures leur séjour dans le voisinage de Taodéni. Ils préfèrent donc trouver sur place, toutes préparées, les barres de sel qui leur sont nécessaires; à ce besoin répond l'exploitation par le caïd ou par les notables qui, moyennant une somme d'environ 1 franc, valeur de Tombouctou, en marchandises, riz, mil, cotonnades, leur délivrent une barre revendue sur les marchés du Niger de 10 à 12 francs. Un chameau peut porter en moyenne 4 barres; ce trafic donnerait donc théoriquement 36 francs de bénéfice par charge; mais cette somme est considérablement réduite, si l'on tient compte de l'oussourou ou impôt français du dixième payable sur le Niger, de l'amortissement des chameaux qui ne font que durant six ou sept ans ce voyage semestriel, et surtout des pertes d'animaux extrêmement nombreuses durant ce trajet pénible et dangereux.

Tel qu'il est cependant, ce commerce est le seul moyen d'existence de toutes les tribus bérabiches et kountas, la seule ressource aussi permettant aux habitants de Taodéni de vivre dans leur ksar dénué de tout; aussi la cause du peu d'empressement des nomades vis-à-vis de nous, résidait-elle surtout dans la crainte d'une concurrence ultérieure, possible, mais peu probable, sur cette voie commerciale nouvelle jusqu'alors privée et maintenant ouverte.

A propos des salines, je mentionnerai que les indigènes prétendent avoir trouvé dans l'argile mêlée de sel des ossements et des empreintes d'hippopo

Sur l'emplacement même de Taodéni il n'y a pas de sel. Bien plus, si l'eau des salines est extrêmement saumâtre et impropre à la boisson, à 3 kilomètres de là, à Taodéni, les puits, profonds de 12 à 15 mètres, ne rencontrent pas les couches salines et leur eau, chargée de sulfate de magnésie, peu désaltérante et très purgative n'a aucun goût de sel. Tandis que toutes les strates du GartHamou-Sala, formées d'argile rouge et verte et de calcaire, sont parfaitement horizontales, une crête allongée plus au sud, orientée est-ouest, qui se prolonge par un affleurement au niveau du sol, jusqu'au sud du Gart-Hamou-Sala, est formée par une strate d'argile gris-bleu qui saille presque verticalement, à peine légèrement inclinée vers le sud et qui semble former le fond de la cuvette où reposent les couches de sel.

Durant nos visites aux mines, le caïd de Taodéni, nommé Aba-Kaïna, nous avait fourni de précieuses explications; celles qu'il put nous donner sur sa ville même furent plus vagues.

Taodéni, au pied du Gart-Hamou-Sala qui le domine, est une toute petite bourgade d'environ 40 à 50 chefs de case, soit environ 200 habitants; elle est complètement enfermée dans un rectangle de murs faits de blocs d'argile agglomérés à la chaux. La seule porte se trouve au milieu de la face ouest sous une tour qui supporterait, paraît-il, deux canons que nous ne vîmes pas; devant l'entrée est un enclos carré formé d'un mur peu élevé. Les murailles sont terminées à chaque angle par un bastion; la face ouest, outre ses deux bastions d'angle et sa tour d'entrée, comporte un bastion intermédiaire.

Dès qu'est franchie la porte, on se trouve devant une petite place où aboutissent quatre ruelles, étroites, tortueuses, d'une saleté repoussante, qui s'écartent dans diverses directions et se terminent en cul-de sac à des portes d'habitations particulières. La case du caïd, surmontée d'une tour, est au nord du village; un puits intérieur est au sud.

La ville n'aurait, dit la tradition orale, qu'environ trois cents ans d'existence. Antérieurement et de temps immémorial, les mines de sel étaient à Taghaza, à cinq jours au nord-ouest de Taodéni et appartenaient à la tribu des El-Agardaoui qui les exploitaient. Cependant Taghaza, ayant, vers l'an 1600, refusé l'entrée de ses murs à une troupe marocaine, fut détruite sur l'ordre du sultan, ses mines comblées et ses habitants dispersés. Quelques-uns vinrent s'installer près du Taodéni actuel. Ceci se passait lors de l'époque de l'occupation marocaine de Tombouctou. Le caïd Ayouni, passant près de FomEllous, y reconnut le premier, sur l'emplacement actuellement exploité, la présence du sel. Comprenant aussitôt l'importance d'une découverte rendue plus utile par la suppression récente de l'exportation de Taghaza, il se rendit à Marakech auprès du sultan Moulay-Sliman et obtint de lui le commandement du pays. Il revint alors avec armes et bagages; les El-Agardaoui s'étant enfuis à son approche, il put à son aise créer d'abord un groupe de cases à

Télik, à 28 kilomètres à l'est, puis s'installer définitivement au Taodéni actuel dès que des puits suffisants y eurent été forés.

Du vivant de Ayouni, le sultan Moulay-Sliman envoya un renfort de 10 000 hommes à Tombouctou; ceux-ci se perdirent dans le désert et pas un ne reparut. Une deuxième colonne, expédiée à cheval, atteignit Taodéni, creusa à Télik les nombreux puits existants, affermit au passage l'autorité d'Ayouni et parvint ensuite heureusement à Tombouctou.

Dès lors Taodéni vécut de l'exploitation de ses salines, sans à-coup ni pillage violent; elle eut bien quelques luttes avec un village voisin rival que les gens de Taodéni parvinrent à détruire; mais, jusqu'ici, les rezzous marocains la respectèrent tout en la rançonnant régulièrement. Peu à peu l'autorité du sultan du Maroc s'est affaiblie et Taodéni est devenue complètement indépendant. L'autorité se perpétua dans la famille d'Ayouni et passa successivement au caïd Abd-el-Malek, au caïd Dachman, au caïd Zéïn, au caïd Naji, au caïd Mohammed, enfin au caïd Aba-Kaïna, le chef actuel.

Cette liste de caïds est certainement incomplète, et l'histoire de la ville un peu légendaire; nous nous sommes borné, faute de documents écrits, à rapporter tels quels les dires du caïd Aba Kaïna lui-même.

Outre ses salines, Taodéni doit sa célébrité à son noeud de routes important. De là partent la route Taodéni-Tindouf, la route Taodéni-MaraboutiTafilet, la route Taodéni-Touat, la route Taodéni-Gattara-Achorat.

La route Taodéni-Tindouf, dont l'azimut général magnétique est 38°, passe aux puits de Moul-essem à 4 jours de Taodéni, au puit de Taghaza à une demi-journée de Moul-essem, au puits de Gob à un jour de Taghaza, au puits de Toufourine (1 jour), au puits de Bourir-Helif (3 jours), au puits de L'Guéseib (4 jours), au puits de Soulémia (4 jours), au puits d'Atouilé (1 jour), au puits de Lahouina (3 jours), etc.; enfin arrivée à Tindouf (4 jours); Soit, en tout, environ 25 jours de marche à 50 kilomètres en moyenne par étape.

La route Taodéni-Marabouti-Tafilet n'a pu être donnée.

Quant aux deux autres, elles furent par la suite parcourues soit par le' colonel Lapérrine, soit par nous-même et les indications obtenues par renseignement deviennent peu utiles depuis que le lever de ces itinéraires a pu être fait.

Après être restés durant sept jours devant le petit ksar de Taodéni, dans l'attente vaine des Algériens, parvenus à l'extrême limite de nos vivres, nous dùmes prendre tristement nos dispositions pour le retour vers le sud. Il fut cependant décidé que le détachement irait tout d'abord reconnaître les puits de Télik où venait de séjourner l'azalaï bérabiche et que là, il se scindrait ensuite

reprendrait par Ounân la route d'Araouan, le reste du détachement, sous mes ordres, se porterait dans l'est, au-devant du colonel Lapérrine, jusqu'au puits de Gattara et de là descendrait directement au sud sur Bou-Djebeha où le rendez-vous était fixé pour le 2 juin.

Ce plan permettait d'accroître de quelques jours le délai d'arrivée accordé aux Algériens; de plus il donnait l'occasion de lever une route d'accès entièrement nouvelle, plus longue, mais par contre plus facile au dire des indigènes. Le capitaine, de son côté, reconnaîtrait le sentier Telik-Ounân et à son arrivée à Araouan pouvait espérer y trouver des renseignements venus de Tombouctou sur les causes du retard du colonel Lapérrine.

En conséquence, un guide pour l'itinéraire nouveau fut de suite demandé. Un peu contre son gré, le vieux Lahabib, un Arabe à barbe blanche qui avait dirigé deux ans auparavant les Ouled-Djerir lors de leur rezzou contre Tombouctou, dut se joindre à ma section pour la conduire à Gattara d'abord, puis à Bou-Djebeha. Le caïd assurait qu'il connaissait fort bien le sentier et luimême ne semblait pas s'en défendre.

Donc, les dispositions ayant été prises, le 16 mai au soir, les Soudanais se mettaient en marche vers l'est. De Taodéni à Télik la distance n'est que de 28 kilomètres environ, et la route court par le fond de la dépression, longeant parfois ces massifs isolés déjà entrevus de Taodéni les jours précédents.

A l'aube nous cheminons sur la bordure d'une vaste plaine unie à notre gauche, tandis que nous domine, à droite, une longue arête rocheuse, formée de pitons alignés sur un soubassement tabulaire.

Plus loin la ligne de crête s'effondre brusquement devant un profond cañon dans lequel s'engouffre le lit de l'oued Télik. La gorge est sauvage et terrible; la rivière, décrivant un arc à double courbure, s'enserre pendant un kilomètre entre des roches à pic et des arêtes aiguës qui forment autour d'elle un vaste cirque, impressionnant coupe-gorge.

De tous côtés, des petits ruisseaux en éventail viennent grossir l'oued à son entrée dans la montagne; là sont les puits, profonds de 2 mètres, au nombre de 40 environ, tandis qu'en arrière gisent les ruines d'un petit village, peut-être le Télik primitif, au pied desquels sont les sources les plus pures. L'eau est très abondante; au fur et à mesure des besoins, les caravaniers creusent de nouveaux puits, tâche facile, de telle sorte que le nombre des trous s'accroît ou diminue au caprice de l'ensablement.

Télik est avec Fom-Ellous un des passages les plus dangereux du désert. Partout les traces y subsistent de luttes récentes entre Bérabiches et pillards; des ossements d'animaux, voire d'hommes, jonchent le sol.

L'arrêt des méharistes en ce point ne dura que quelques heures. Aucune nouvelle n'y fut reçue. Dans la nuit du 18 mai, sitôt que les approvisionnements d'eau eurent été complétés, les deux détachements soudanais se met

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