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nord-ouest. Il se hâtait vers Taodéni dans l'espoir d'y arriver à temps encore et notre rencontre ici même lui causait la plus vive satisfaction.

Pendant ce temps les deux camps se dressaient autour du puits. Au nord s'installaient les Algériens avec leur tentes vastes et aérées, leur important convoi, leur longue file de chameaux de bât, au milieu desquels, dans la vive clarté, les Chambas affairés, vêtus de leur grande chemise blanche, ceinturés de rouge sous les cartouchières à la boër, jetaient une note pittoresque et étincelante. Au sud se trouvent les Soudanais, humiliés dans leur camp tout étroit, sans bagages, presque sans vivres, avec des abris de fortune faits de couvertures tendues sur des fusils; les tirailleurs en loques de kaki sombre, mais leur prestige rehaussé par de grands chapeaux coniques de cuir rouge garnis d'une double rangée de plumes d'autruche recourbées en acanthes.

Notre intention première en rencontrant les Algériens fut de les réaccompagner jusqu'à Taodéni pour que les habitants du ksar fussent témoins de la rencontre du nord et du sud et que les populations nomades en soient par eux averties. Mais l'état de nos animaux et la petite quantité de nos vivres interdisaient toute randonnée supplémentaire; il fut donc décidé que les deux groupes resteraient quarante-huit heures au puits et que plusieurs caravanes bérabiches signalées dans le voisinage seraient convoquées, afin qu'il leur soit possible de répandre par la suite la nouvelle de cette jonction.

Pendant les deux jours passés ensemble à Gattara, la plus grande cordialité ne cessa de régner. Notre regret fut de voir s'écouler aussi vite ces minutes trop brèves. Chaque repas présidé par le colonel Lapérrine groupa tous ensemble les Européens des deux détachements; tirailleurs et Chambas, bien que se comprenant à peine, se traitèrent de leur mieux. Au nom de tous les Soudanais, je ne puis que remercier encore une fois le lieutenant-colonel Lapérrine de sa bienveillance, ses officiers, les lieutenants Niéger, Mussel et Laumonnier, de leur affectueuse camaraderie vis-à-vis de

nous tous.

Enfin, dans la nuit du 21 au 22 mai, après un toast d'adieu et quelques fusées de réjouissance, les deux détachements se remettaient en marche, l'un vers le nord, l'autre vers le sud, pour le Touat et pour l'Azaouad.

De Gattara à Inichaïg la distance est d'environ de 280 kilomètres. Le territoire compris entre ces deux points correspond sur cette direction à celui d'Araouan à Ounân, tant au point de vue de l'éloignement des puits qu'au point de vue des difficultés de la route. Les nomades de l'Azaouad considèrent, en effet, ces deux étapes comme le rempart naturel le plus sûr contre les invasions des pillards et ne cherchent nullement, pour cette raison à y rendre le voyage plus facile par le forage de nouveaux points d'eau.

d'épuisement et de fatigue inquiétant de nos animaux, nos peaux de bouc, hâtivement choisies à Araouan et réduites au strict minimum, étaient en fort mauvais état et laissaient se perdre chaque jour, une notable quantité de leur contenu. Pendant le séjour à Gattara, quelques chameaux avaient bien été réquisitionnés; les outres, de même, avaient reçu les réparations urgentes; mais ces moyens ne pouvaient suffire qu'à la condition formelle d'arriver à Inichaïg au jour prévu. On pouvait l'espérer, le guide Lahabib assurant ne point devoir se perdre d'autant que les traces des Algériens, demeurées dans le sable, pouvaient lui servir de repères fréquents.

Au sortir de l'oued Gattara, la plaine est tout d'abord faiblement ondulée et les cailloux y alternent avec les touffes d'herbages secs. Plus loin, quelques dunes mouvantes détournent le sentier qui, derrière elles, vient brusquement se heurter à l'arête rocheuse de Lernachich dont elles forment comme les contreforts avancés.

Cette arête de Lernachich est le prolongement probable du ressaut déjà rencontré sur la route d'Ounan à Taodéni; elle décrit ici, face au nord, un immense demi-cercle, plein d'anfractuosités, d'où descendent, lors des pluies, des oued maintenant à sec. Dans l'ouest éloigné, une série de pitons plus élevés la surmontent.

Comme, auprès d'Ounàn, la coupe générale de cette arête est celle d'une gigantesque muraille dont le plateau caillouteux du sud vient affleurer le sommet et qui surplombe la dépression septentrionale d'une soixantaine de mètres environ. Le chemin que nous suivons, en gravit le sommet par une longue fissure rocheuse, étroite et profondément encaissée, qu'il emprunte dans tous ses détours jusqu'à son débouché supérieur.

A partir de là, et dès qu'est franchi le rebord caillouteux du Lernachich, nous entrons dans l'infinie succession des dunes mobiles qui se pressent, comme les vagues d'une mer en furie, jusqu'au delà d'Inichaïg, presque jusqu'à Bou-Djebeha.

Mais tandis que dans la partie sud du désert, de Tombouctou jusqu'à la ligne Araouan-Guir-El Mraheti, toutes les dunes faiblement inclinées au sud ont leurs pentes à pic tournées vers le nord, dans la partie médiane du Sahara que nous allons traverser, les dunes vont, au contraire, présenter au nord leur surface allongée garnie parfois de quelques touffes de had' et tourner leur versant abrupt, toujours aride, vers le sud.

Entre leurs ondulations successives s'étendent tantôt de larges vallées à fond uni de sable fin, ou garnies de petites collines rocheuses, tantôt d'étroits. couloirs que balayent les vents, entraînant les sables avec eux.

Que de fois, durant ces nuits de marches, n'avons-nous pas dû longer,

1. Ou hâdz.

perpendiculairement à la direction du chemin, la crête supérieure de ces dunes, avant de trouver vers le sud un passage possible pour nos animaux! Que de renversements. de bagages, que de chutes durant ces descentes, dans le sable croulant, toujours difficultueuses pour des bêtes aussi peu souples que le sont les chameaux!

Décrire plus longuement la route ne serait plus qu'énumérer l'un après l'autre ces passages successifs au milieu d'une région toujours désertique avec de très rares et très maigres pâturages de hâd. Avant de trouver des pacages suffisants il faudra presque atteindre El Mraheti1, c'est-à-dire l'Azaouad.

D'après les dires du guide, comme d'après nos calculs, le 26 mai au matin, nous devions être rendus au puits d'Inichaïg. Le troisième jour après le départ, le vieux Lahabib avait bien perdu les traces du colonel Lapérrine, jusqu'alors visibles dans le sable, mais il montrait une telle confiance dans sa connaissance de la route que cette divergence n'avait inquiété personne.

Cependant le 25 au soir, le détachement avait vidé ses dernières peaux de bouc. Le vent brûlant et la chaleur extrême (50° sous les abris!) avaient les jours précédents activé l'évaporation de notre provision d'eau à tel point que le rationnement du précieux liquide avait été insuffisant. Ce soir-là, le vieux guide Lahabib certifiait la proximité du puits et assurait qu'on l'atteindrait avant le jour. « Des montagnes rocheuses l'entourent, disait-il, dont la tonalité sombre tranche de loin sur l'horizon jaune clair des sables et permettent d'en reconnaître l'emplacement sans hésitation possible.

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Hélas! le 26 au petit jour, après une nuit que la soif avait rendue pénible, à perte de vue, vu d'une crète dominante, le miroir infini du désert ne se tachait d'aucune ombre.

L'espoir, cependant, ne nous abandonne pas. De dune en dune, d'horizon en horizon, dans la chaleur croissante, la route se poursuit âprement derrière le guide qui commence à se montrer inquiet.

Vers neuf heures du matin, deux méharistes coup sur coup tombent sans connaissance; quelques gouttes d'eau conservées pour les malades les raniment un peu. Bientôt l'allure se ralentit; les chameaux sont épuisés par une marche ininterrompue de dix-sept heures et les tirailleurs, la gorge sèche, les oreilles bourdonnantes, n'avancent plus que poussés..

Il est alors décidé que le guide, le sergent Ribbe et deux hommes partiront en avant sur les animaux encore dispos, avec les peaux de bouc vides. Coûte que coûte, à toute allure, ils atteindront le puits, y rempliront les outres et reviendront au-devant de nous qui plus lentement allons suivre désespérément leur piste.

Dès lors, durant des heures et des heures l'allure se poursuit incertaine,

vers le sud d'abord, puis vers le nord-est. Deux chameaux mourants sont éventrés l'eau noirâtre sortie de leur estomac sert à ranimer les hommes les plus affaiblis; de l'urine même est bue; les tirailleurs se couvrent la tête de sang pour y trouver un peu de fraicheur.

Vers quatre heures du soir, rien n'est encore en vue, ni montagnes rocheuses, ni convoi d'eau. Il faut abandonner deux tirailleurs sans connaissance, à l'ombre de quelques pierres. Leur place est repérée pour que des secours leurs soient portés, si l'eau arrive. Peu à peu le soir tombe. Un souffle passe sous le ciel en feu; le détachement qui s'est allongé démesurément avance maintenant avec plus de courage. Bientôt la nuit est si noire qu'il devient impossible de suivre la trace directrice. Voici vingt-neuf heures que nous sommes en marche : les chameaux se couchent et près d'eux, sans même les desseller, les hommes s'étendent, incapables de dormir.

A l'aube du 27 mai la marche est reprise presque sans espoir; le sable heureusement n'a pas masqué la trace des pas du guide...

Neuf heures du matin. L'extrême limite des forces est atteinte.

Et, voici que soudain le sergent Ribbe apparait. Vouloir peindre le délire, l'affolement vers l'eau serait une tâche vaine.

L'énergique sergent a cheminé toute la journée d'hier au hasard, son guide ayant complètement perdu la route et allant de droite et de gauche. Vers le soir, Ribbe ayant entrevu des montagnes à l'horizon, s'était aussitôt dirigé de ce côté, et, à dix heures du soir, le guide s'étant enfin reconnu, avait trouvé le puits. De suite les peaux de bouc avaient été remplies, et, sans prendre de repos, le sergent Ribbe était reparti au-devant du reste du détachement. L'obscurité l'avait obligé à s'arrêter; mais aux premières clartés il s'était remis en route et venait, enfin, nous rejoindre.

Après quelques instants de repos, chacun, ayant bu, reprit confiance, et, tandis qu'un convoi rapide ramenait vivants les deux hommes laissés en arrière, le détachement au complet atteignait enfin le puits d'Inichaïg dans un état d'affaiblissement et de fatigue indescriptible.

Le puits d'Inichaïg1 est situé au centre d'une vaste dépression bordée par des dunes vers l'ouest et adossée au nord et à l'est à des contreforts rocheux garnis de gros blocs, qui tranchent nettement, ainsi que l'affirmait le guide, sur la teinte générale des sables. Ces montagnes font partie, au dire des indigènes, de l'Adrar nigritien qui étendrait jusqu'ici ses dernières ondulations.

Le puits, entouré d'affleurements calcaires, est peu profond (12 mètres); l'eau en est blanchâtre, mais bonne et abondante; quelques pâturages de had garnissent au nord-est les anfractuosités de la montagne.

1. Ou Aneschaye.

Après deux jours d'un repos indispensable, nous nous remettons en route, le 29 mai au soir, cette fois, directement sur Bou-Djebeha. La distance d'environ 200 kilomètres a son milieu marqué par le puits d'El Mraheti de telle sorte qu'il est possible au passage d'y renouveler les provisions d'eau.

Tant que la route longe les contreforts pierreux de l'Adrar, elle se heurte à chaque pas à de hautes dunes, qui viennent s'encastrer dans le rocher, et, qui très serrées, présentent encore vers le sud leurs pentes plus raides. Il semble que les tourbillons de vent, arrêtés par l'Adrar, aient ainsi partagé les sables en une infinité de petites chaînes qui sont autant d'obstacles infranchissables au passage des caravanes. Bientôt heureusement les montagnes s'écartent, et les dunes, toujours nombreuses, deviennent moins difficiles. Insensiblement elles s'abaissent, et, comme les dernières vagues d'une mer, viennent mourir dans une plaine herbeuse, où se trouve, à l'extrémité d'une longue avancée de terre noire, le point d'eau d'El Mraheti. Le puits, entouré de pâturages superbes, atteint 60 mètres de profondeur.

Dès lors, la végétation pressée du sol nous indique l'Azaouad. Le sentier vers Bou-Djebeha coupera bien encore deux ou trois grosses dunes; mais celles-ci ont déjà le facies nouveau des dunes méridionales, aux formes amplement ondulées, couvertes d'herbages, fixes et raides vers le nord. L'aspect de la région devient moins désolé au voisinage immédiat de BouDjebeha: quelques troupeaux y paissent librement.

Lorsque nous atteignons enfin Bou-Djebeha, après quatre étapes rendues pénibles par la faiblesse des animaux, nous n'avons plus de vivres depuis deux jours. Heureusement nous y trouvons un convoi de ravitaillement et les provisions laissées au départ.

De son côté le capitaine Cauvin venu par Araouan avait effectué, par la route d'aller, un retour pénible mais sans incident; il était arrivé à BouDjebeha l'avant-veille. Le 3 juin 1906, la compagnie, se trouvait ainsi réunie, après six semaines d'étapes ininterrompues pour fêter le succès de son raid à travers le Sahara.

Le retour vers Tombouctou, effectué, après un repos de huit jours, par les routes connues, ne pouvait être désormais marqué, pensait-on, d'aucun incident. Hélas, près d'Inalaye, deux tirailleurs indigènes succombaient aux fatigues, et, le sergent Mille qui avait montré la plus grande énergie, était atteint d'une grave dysenterie dont il devait mourir en arrivant à l'hôpital.

Le 17 juin 1906, la compagnie de méharistes avait repris ses quartiers à Tombouctou même, tout attristée de ce triple deuil qui la frappait au moment où toutes les difficultés étaient vaincues et où son succès allait être récompensé par les félicitations si bienveillantes du colonel commandant le territoire du Niger, du gouverneur du Haut-Sénégal et Niger, du gouverneur

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