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vers le sud d'abord, puis vers le nord-est. Deux chameaux mourants sont éventrés l'eau noirâtre sortie de leur estomac sert à ranimer les hommes les plus affaiblis; de l'urine même est bue; les tirailleurs se couvrent la tête de sang pour y trouver un peu de fraicheur.

Vers quatre heures du soir, rien n'est encore en vue, ni montagnes rocheuses, ni convoi d'eau. Il faut abandonner deux tirailleurs sans connaissance, à l'ombre de quelques pierres. Leur place est repérée pour que des secours leurs soient portés, si l'eau arrive. Peu à peu le soir tombe. Un souffle passe sous le ciel en feu; le détachement qui s'est allongé démesurément avance maintenant avec plus de courage. Bientôt la nuit est si noire qu'il devient impossible de suivre la trace directrice. Voici vingt-neuf heures que nous sommes en marche : les chameaux se couchent et près d'eux, sans même les desseller, les hommes s'étendent, incapables de dormir.

A l'aube du 27 mai la marche est reprise presque sans espoir; le sable heureusement n'a pas masqué la trace des pas du guide...

Neuf heures du matin. L'extrême limite des forces est atteinte.

Et, voici que soudain le sergent Ribbe apparait. Vouloir peindre le délire, l'affolement vers l'eau serait une tâche vaine.

L'énergique sergent a cheminé toute la journée d'hier au hasard, son guide ayant complètement perdu la route et allant de droite et de gauche. Vers le soir, Ribbe ayant entrevu des montagnes à l'horizon, s'était aussitôt dirigé de ce côté, et, à dix heures du soir, le guide s'étant enfin reconnu, avait trouvé le puits. De suite les peaux de bouc avaient été remplies, et, sans prendre de repos, le sergent Ribbe était reparti au-devant du reste du détachement. L'obscurité l'avait obligé à s'arrêter; mais aux premières clartés il s'était remis en route et venait, enfin, nous rejoindre.

Après quelques instants de repos, chacun, ayant bu, reprit confiance, et, tandis qu'un convoi rapide ramenait vivants les deux hommes laissés en arrière, le détachement au complet atteignait enfin le puits d'Inichaïg dans un état d'affaiblissement et de fatigue indescriptible.

Le puits d'Inichaïg1 est situé au centre d'une vaste dépression bordée par des dunes vers l'ouest et adossée au nord et à l'est à des contreforts rocheux garnis de gros blocs, qui tranchent nettement, ainsi que l'affirmait le guide, sur la teinte générale des sables. Ces montagnes font partie, au dire des indigènes, de l'Adrar nigritien qui étendrait jusqu'ici ses dernières ondulations.

Le puits, entouré d'affleurements calcaires, est peu profond (12 mètres); l'eau en est blanchâtre, mais bonne et abondante; quelques pâturages de had garnissent au nord-est les anfractuosités de la montagne.

1. Ou Aneschaye.

Après deux jours d'un repos indispensable, nous nous remettons en route, le 29 mai au soir, cette fois, directement sur Bou-Djebeha. La distance d'environ 200 kilomètres a son milieu marqué par le puits d'El Mraheti de telle sorte qu'il est possible au passage d'y renouveler les provisions d'eau.

Tant que la route longe les contreforts pierreux de l'Adrar, elle se heurte à chaque pas à de hautes dunes, qui viennent s'encastrer dans le rocher, et, qui très serrées, présentent encore vers le sud leurs pentes plus raides. Il semble que les tourbillons de vent, arrêtés par l'Adrar, aient ainsi partagé les sables en une infinité de petites chaînes qui sont autant d'obstacles infranchissables au passage des caravanes. Bientôt heureusement les montagnes s'écartent, et les dunes, toujours nombreuses, deviennent moins difficiles. Insensiblement elles s'abaissent, et, comme les dernières vagues d'une mer, viennent mourir dans une plaine herbeuse, où se trouve, à l'extrémité d'une longue avancée de terre noire, le point d'eau d'El Mraheti. Le puits, entouré de pâturages superbes, atteint 60 mètres de profondeur.

Dès lors, la végétation pressée du sol nous indique l'Azaouad. Le sentier vers Bou-Djebeha coupera bien encore deux ou trois grosses dunes; mais celles-ci ont déjà le facies nouveau des dunes méridionales, aux formes amplement ondulées, couvertes d'herbages, fixes et raides vers le nord. L'aspect de la région devient moins désolé au voisinage immédiat de BouDjebeha: quelques troupeaux y paissent librement.

Lorsque nous atteignons enfin Bou-Djebeha, après quatre étapes rendues pénibles par la faiblesse des animaux, nous n'avons plus de vivres depuis deux jours. Heureusement nous y trouvons un convoi de ravitaillement et les provisions laissées au départ.

De son côté le capitaine Cauvin venu par Araouan avait effectué, par la route d'aller, un retour pénible mais sans incident; il était arrivé à BouDjebeha l'avant-veille. Le 3 juin 1906, la compagnie, se trouvait ainsi réunie, après six semaines d'étapes ininterrompues pour fêter le succès de son raid à travers le Sahara.

Le retour vers Tombouctou, effectué, après un repos de huit jours, par les routes connues, ne pouvait être désormais marqué, pensait-on, d'aucun incident. Hélas, près d'Inalaye, deux tirailleurs indigènes succombaient aux fatigues, et, le sergent Mille qui avait montré la plus grande énergie, était atteint d'une grave dysenterie dont il devait mourir en arrivant à l'hôpital.

Le 17 juin 1906, la compagnie de méharistes avait repris ses quartiers à Tombouctou même, tout attristée de ce triple deuil qui la frappait au moment où toutes les difficultés étaient vaincues et où son succès allait être récompensé par les félicitations si bienveillantes du colonel commandant le territoire du Niger, du gouverneur du Haut-Sénégal et Niger, du gouverneur

j'ose espérer une récompense plus positive pour le remarquable exemple de sang-froid et d'énergie que donnèrent les trois sous-officiers européens, les sergents Ribbe, Dufour et Mille1.

Les résultats principaux de cette longue randonnée pacifique sont : la reconnaissance des régions inconnues de Taodéni et la jonction des troupes algériennes et soudanaises, jonction symétrique de celle qui avait eu lieu beaucoup plus à l'est, en 1904, entre le commandant Lapérrine et le capitaine. Théveniaut au nord de l'Adrar nigritien.

Depuis plusieurs années déjà les pillages annuels des Doui-Ménia et des Ouled-Djerir contre les tribus bérabiches soumises avaient attiré l'attention du gouvernement de l'Afrique Occidentale. Mais les moyens manquaient pour protéger les azalaïs jusqu'à Taodéni, et les pillards, forts de l'impunité, affirmaient que jamais les Français ne pourraient atteindre ce centre. Ils le considéraient donc comme une sorte de terrain neutre où toutes les attaques leur étaient permises.

Or, non seulement les Français venaient d'atteindre Taodéni de deux côtés à la fois; mais ils l'avaient fait avec des forces suffisantes pour résister à n'importe quel rezzou. Ainsi ils affermissaient la soumission des Bérabiches et des Kountas, en leur montrant que les méharistes pouvaient, jusque dans cette région, protéger leurs caravanes et leurs transactions et qu'ils étaient prêts à y faire une police effective vis-à-vis des pillards du nord.

La reconnaissance, d'autre part, avait parcuru près de 2000 kilomètres. J'avais été chargé de lever l'itinéraire; malheureusement le départ imprévu ne m'avait pas permis de me munir des instruments nécessaires. Tout l'itinéraire dut être levé avec une simple boussole à alidade et les marches de nuit constantes ont rendu le levé incertain. Cependant, par suite peut-être de compensations fortuites, l'erreur de fermeture du grand polygone Araouan-TaodéniInichaïg-Bou-Djebeha ne dépassa pas 40 kilomètres. Un baromètre anéroïde fournit enfin quelques indications que l'absence de baromètre à mercure à Tombouctou ne permit pas de vérifier. Cependant les constatations suivantes purent être faites. La position de Taodéni, indiquée par Lenz semble trop méridionale; d'après les observations du colonel Lapérrine, Taodéni est situé par 22° 40′19′′ de Lat. N. . Sur la carte de l'explorateur autrichien le puits d'Ounan, est beaucoup trop rapproché d'Araouan.

2.

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1. Les sergents Ribbe, Dufour, Mille, ce dernier à titre commémoratif, ont été proposés pour la médaille militaire.

2. Les observations de la colonne Lapérrine qui furent effectuées par le lieutenant Niéger avec un très grand soin, ont été soumises à l'examen de M. Trépied, directeur de l'observatoire d'Alger. M. Trépied a bien voulu nous communiquer la latitude de Taodéni corrigée et nous tenons à le remercier de son obligeance, ainsi que M. le lieutenant Niéger, auteur de la détermination de ce point important. (Note de la Rédaction.)

Entre Taodéni et Tombouctou trois zones doivent être distinguées dans le désert. D'abord la dépression de Taodéni, puis la zone comprise entre le Lernachich au nord et la ligne Araouan-Guir-El Mraheti au sud, zone de sables où les dunes, sans cesse modifiées par les vents, ont leur pente abrupte vers le sud; enfin, la région de l'Azaouad, entre cette même ligne Araouan-GuirEl Mraheti au nord, et le Niger au sud, zone de sables fixés par la végétation où les dunes arrondies ont leurs pentes abruptes vers le nord.

Il s'ensuit que la direction dominante des vents dans l'Azaouad est sudnord, et, que dans la zone intermédiaire leur direction est nord-sud. Ne faudrait-il pas voir là l'effet d'un centre de dépression barométrique que nous n'avons pas été à même de constater pendant notre voyage, mais qui existerait au moment de l'hivernage et des grands vents dans la région Araouan Bou-Djebeha? Là, l'air s'élevant vers les hautes régions de l'atmosphère créerait un appel du nord et du sud; mais, tandis que du désert septentrional ne viendraient que des vents secs, impropres à l'extension de la végétation, l'afflux du sud serait formé par des vents qui se seraient chargés d'humidité dans la boucle du Niger et qui seraient ainsi la cause de la végétation progressante de l'Azaouad.

L'avenir économique des régions que nous avons parcourues est des plus problématiques. Les cultures y sont impossibles et le sel de Taodéni même souffre à Tombouctou de la concurrence du sel de France.

Ces pays sont, cependant, utiles à connaître dans le désert, pour n'être point tracées, les routes jalonnées par les puits, n'en sont que plus fixes. En occupant temporairement certains points d'eau, un très petit effectif peut barrer le chemin aux rezzous du nord, et quelques postes préparés et prévus au nord de l'Azaouad peuvent y empêcher tout pillage ou toute razzia.

Dans ce but il serait important de dresser une carte assez précise de la région pour que les puits puissent y être retrouvés sans guide. Il ne faut point songer à des repères visibles de très loin; il serait à désirer seulement que tous les puits soient repérés astronomiquement. Une carte ainsi faite rendrait d'importants services aux détachements de méharistes chargés de la police du pays et serait un important et utile complément aux travaux déjà si avancés du colonel Lapérrine et de M. Villatte.

Lieutenant CORTIER.

Note sur un fragment de manuscrit arabe

copié à Araouan par le lieutenent Cortier

Pendant son séjour à Arouâne, le lieutenant Cortier a fait copier un passage d'un manuscrit arabe que lui avait montré le chef de ce village, le grand marabout Araouta.

C'est un prétendu fragment historique sur la conquête du Sahara par Okba ben Nafi (au 1° siècle de l'hégire) le fondateur de la Mosquée de Kaïrowân, etc. Le conquérant, poussant sa marche au sud jusqu'à l'Adrâr, aurait bàti une ville nommée Souk aujourd'hui ruinée et sur l'emplacement de laquelle s'élève la ville (?) actuelle de Arawân. Il y aurait laissé une colonie de pieux musulmans dont plusieurs avaient pris part aux expéditions militaires du prophète et qui seraient les ancêtres des habitants actuels. Tout cela est de pure fantaisie, jamais le chef arabe n'a pénétré aussi loin dans le Sahara, et il ne faut voir dans ce fragment apocryphe qu'une de ces tentatives fréquentes au Soudan, de rattacher les populations musulmanes qui l'habitent aux plus anciens souvenirs de la conquête arabe. C'est ainsi qu'au Wadaï on a fabriqué des chroniques du même genre pour démontrer une filiation directe avec les Omeyyades de Syrie, aux deux premiers siècles de l'hégire.

La pièce en question n'offre pas d'autre intérêt que celui-là. Elle est d'ailleurs mal rédigée et déparée par de nombreuses fautes d'orthographe. Elle est pourtant écrite par un indigène, contrairement à ce que dit la suscription du verso.

A. BARBIER DE MEYNARD.

Membre de l'Institut.

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