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A contempler les ruines des cités disparues, vestiges d'antiques et florissants empires, on comprend combien l'ethnographie de cette contrée est mêlée. Sans compter les descendants des Galates ou Gaulois, à l'heure présente, en dehors des véritables Turcs, la population comprend des Grecs, des Arméniens, des Circassiens, des représentants d'une série de tribus arabes et bédouines, ces dernières en Syrie. Enfin on trouve encore des Levantins, Syriens, Maronites et autres, auxquels il faut joindre des milliers d'Européens, Italiens plus particulièrement.

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Les richesses minières. - Pour terminer ce coup d'œil d'ensemble sommaire, M. Gallois rappelle qu'il ne faut pas oublier le sous-sol de l'Asie Mineure, encore peu connu et surtout très peu exploité et qui, au dire de certains, renfermerait de multiples richesses minières; l'on y trouve du fer, du plomb argentifère, du chrome, aussi du kaolin de belle qualité qui n'est utilisé qu'à Kutahia, dans le centre de la presqu'ile; enfin dans les environs d'Eski-Chéhir, l'on exploite ce produit à base de silicate de magnésie connu sous le nom d'écume de mer, corps léger et blanc servant plus spécialement à la fabrication des pipes et fume-cigarettes. On en expédie environ 200 000 kilogrammes annuellement, surtout à Vienne, en Autriche. Le prix de cette sorte de minerai varie beaucoup suivant la qualité. Mais pour la mise en valeur des richesses minières de la Turquie d'Asie, malheureusement le gouvernement ottoman, loin d'encourager les tentatives d'exploitation étrangère, les fait échouer par ses lenteurs administratives ou même pour d'autres raisons.

Les chemins de fer. - M. Gallois remarque toutefois que l'Asie Mineure et la Syrie ont bien progressé en ces dernières années au point de vue agricole surtout, grâce aux chemins de fer, grâce à l'intervention de l'Europe. Il y a juste un demi-siècle, les Anglais, les premiers, obtinrent la concession d'une ligne dite de Smyrne à Aïdin, qui fut livrée à l'exploitation dix ans plus tard (en 1866). Elle fut poussée ensuite jusqu'à Dinaïr et récemment jusqu'à Bourdour, comporta des embranchements sur Tireh, Birge (dans la première fraction) et Sokia, puis encore sur Denizli et Tschivril; le tout représentant environ 500 kilomètres. La ligne va être prolongée vers le sud et rejoindra la mer à Adalia, un des principaux ports de la côte australe de la péninsule. Mais la France n'avait pas voulu rester en arrière et elle obtenait l'autorisation de construire une ligne poussant vers le cœur du pays, celle de Smyrne à Kassaba, qui fut inaugurée à la même époque que la ligne anglaise.

Elle envoya un embranchement sur Soma, en attendant qu'il aille atteindre au nord la mer de Marmara; puis elle fut prolongée sur Ouschak et Afion Kara Hissar s'élevant à plus de 1 100 mètres d'altitude et rejoignant les chemins de fer d'Anatolie. Son développement total dépasse 500 kilomètres. Quelques années plus tard, en 1871, on construisait la petite ligne de Mondania à Brousse, et l'amorce des chemins de fer anatoliens partant d'Haïdar-Pacha, à côté de Scutari. Les travaux furent vite arrêtés, puis repris, et la ligne atteignit Ismidt. Ce ne fut qu'en 1888 que les Allemands obtinrent la concession des Anatoliens jusqu'à Eski-Chéhir (à 579 kilomètres), puis la ramification d'Angora, premier projet du chemin de fer de Bagdad qu'on songeait alors à faire passer par Sivas pour aller chercher la haute vallée du Tigre. La ligne de Césarée fut même concédée, mais le projet fut abandonné. Entre temps, on avait livré le petit embranchement sur Ada Bazar. Dans le sud de la péninsule on ouvrait également la ligne de Mersina à Tarsay et Adana (modeste tronçon de 67 kilomètres) qui vient d'être rétrocédé à la compagnie des chemins de fer de Bagdad. Tandis que les Allemands construisaient leur tronçon anatolien, des Français créaient la ligne de Jaffa à Jérusalem, et peu après d'autres Français entamaient la ligne importante de Beyrouth à Damas avec ses prolongements; ils commençaient par franchir le Liban et l'Anti-Liban, poussaient jusqu'à une centaine de kilomètres au sud de Damas, à Nzérib, sans négliger la ligne principale de Rayak à Hony et Hama que l'on poussait activement sur Alep. Mais les Allemands n'étaient pas restés inactifs, ils avaient allongé leurs rails sur les hauts plateaux, atteint Afion Kara

d'Afion) et même Boulgourlou, d'où la ligne peut et doit être prolongée d'une quarantaine de kilomètres plus loin jusqu'au point où commenceront les difficultés que réserve la traversée du massif montagneux du Taurus sur 180 kilomètres environ. Cette fraction doit comporter de nombreux et onéreux travaux d'art, dont près de soixante-dix tunnels, parait-il.

Le chemin de fer de Bagdad doit toucher Adana, puis Marasch, sans doute pour se diriger sur Biredjik, Orfa et Mosserel, d'où il descendrait le long du Tigre jusqu'à Bagdad se poursuivant sur Bassorah ou Koweit. Un embranchement doit aussi desservir Alep qui devra un jour ou l'autre être reliée à un port plus proche que Beyrouth, Alexandrette, son véritable port.

L'enseignement en Asie Mineure. Enfin M. Gallois termine en exposant la question de l'enseignement en Asie Mineure. Il rappelle que ce n'est pas d'hier que nous avons entrepris la tâche d'éduquer la jeunesse en ces régions, où nous avions à lutter contre des préjugés et où surtout la religion semblait avoir creusé un infranchissable abîme. Si les débuts ont été pénibles, rien n'a rebuté les audacieux pionniers de l'expansion de l'influence française; ils se sont tenacement implantés dans le pays où ils ont dû imposer le respect et ils ont poursuivi leur tâche avec un désintéressement admirable, donnant sans compter l'instruction et apprenant avec notre belle langue à faire respecter et aimer la France. C'est ainsi que les élèves affluent encore dans nos écoles; on peut dire qu'il n'est pas un centre de quelque importance où un Français ne puisse se faire tout au moins comprendre dans sa langue.

Aussi peut-on conclure que l'influence morale de la France n'a pas diminué et que notre prestige est encore grand dans la Turquie d'Asie.

En remerciant l'infatigable voyageur et le conférencier expérimenté qu'est M. Gallois, le président loue le sens artistique qu'il déploie dans tous ses voyages et dont les auditeurs pourront se faire juges en admirant la belle exposition qui ornera jusqu'au 25 courant la salle des Pas-Perdus de la Société. Il signale la présence au bureau de M. le gouverneur Clozel et donne la parole au comte de Nettancourt.

L'Anatolie, par M. le comte J. de Nettancourt. — M. Gallois, ayant dégagé les aspects physiques généraux de l'Asie Mineure, M. de Nettancourt en note l'âpreté et la nudité singulières, mais parfois grandioses. Une partie même de la contrée portait dans l'antiquit grecque le nom significatif de « Kataxexaupsvn », c'est-à-dire : « pays brûlé », et cette appellation n'était pas étrangère à la composition volcanique de ce sol, composition qui se manifeste encore aujourd'hui par des érosions locales et des secousses sismiques réitérées, principalement dans la région de Smyrne.

Cependant ces contrées méridionales, disgraciées d'aspect, offrent aux yeux des compensations de lumière et de couleur: ces paysages si nus, si dépouillés ont leur revanche au déclin du jour, et la beauté de leur coloration s'accroit de leur nudité même. Cette lumière met précisément en valeur les ruines multiples qui parsèment le sol et s'accumulent principalement dans l'ouest de l'Asie Mineure, où florissaient les vieilles colonisations.

Son importance historique. On connait le mot de l'historien allemand Curtius sur l'Asie Mineure: « Il y a peu de pays où plus d'histoire se soit pressée en moins d'espace », et de fait, aujourd'hui, rien qu'à contempler la carte, partout ou presque partout où paraît le nom d'un village moderne, se lève le fantôme d'une ville antique. Si un grand nombre de vestiges historiques se trouvent à la surface du sol, ses entrailles en recèlent bien d'autres qui se sont enfoncés sous leur propre poids et celui des siècles. Présentement, l'est du pays attire plutôt l'œil par ses souvenirs seldjoucides, tandis que l'ouest est principalement fertile en ruines grecques et romaines.

La fécondité du sol et les dentelures du littoral sollicitaient doublement les colons d'Occident. L'histoire se répète à deux mille et trois mille ans de distance, et aujourd'hui encore les Grecs forment la partie la plus industrieuse de la population.

Les villes antiques. Parmi les noms de villes antiques de premier ordre, on peut citer au hasard Nicée, Pergame, Éphèse, Hiérapolis. D'abord le panorama de Nicée et de son lac se déroule du haut d'un massif de montagnes; voici ces murailles épaisses fortifiées par Constantin et au-dessus desquelles jaillit, floraison d'un autre âge, le fût svelte des minarets. Voici ses portes voûtées, son aqueduc alimentant encore le village qui remplace la ville. On conjecture simplement l'emplacement du concile de 325. Parmi les monuments musulmans, il faut admirer les émaux de la mosquée verte.

Troie, à la suite des fouilles faites par Schliemann, découvre assez nettement la superposition de sept ou huit civilisations depuis les temps mythiques jusqu'aux périodes néoromaines. A mesure qu'on descend vers le sud, les noms historiques n'offrent pas moins d'éclat; c'est d'abord Pergame et sa cité antique dominant pittoresquement la contrée d'alentour, puis les riches vallées de l'Hermos et du Méandre, et l'on n'en finirait pas si l'on énumérait tous les noms de localités historiques se rattachant à la région. Priène, Milet, Héraclée, Didyme, Magnésie, Sardes, brillent parmi ceux du premier rang; Éphèse dont les ruines imposantes se déploient aux contours d'une montagne et où l'on parcourt pas à pas le tracé d'une ancienne métropole. Le théâtre se signale notamment par l'ensemble de sa conservation. Remontant la vallée du Méandre, on arrive à Gondscheli, pauvre village gisant entre deux emplacements de villes antiques, Loodicée et Hiérapolis. A Hiérapolis, les merveilles de la nature rehaussent l'éclat des vestiges archéologiques. Du plateau où s'élevait la ville jaillit une source d'eau chaude gazeuse et chargée de chaux, qu'elle a déposée en étonnantes formations sur toutes les parois de ce plateau.

De toutes parts, ce plateau est revêtu de blanches pétrifications que, de loin, on croit voir ruisseler comme des cataractes. C'est une des merveilles de l'Anatolie. La ville antique découvre des ruines classiques, thermes, théâtre, basiliques, nécropole cette dernière est peut-être la partie la plus curieuse et la mieux conservée.

Avant de quitter l'ouest, on parcourt encore une ligne de chemin de fer français, la ligne de Cassaba, allant de Smyrne sur les hauts plateaux, et dont l'exécution a nécessité de la part des ingénieurs une certaine hardiesse en raison des pentes qui s'imposaient.

Puis on avance vers le centre de la péninsule jusqu'à Angora, dont le nom résonne d'une façon familière comme la patrie de races de chèvres et de chats. La ville se déroule à flanc de hauteur pour finir brusquement au bord d'un escarpement inaccessible. Cette forte position porte les marques de trois civilisations successives: romaine, byzantine, seldjoucide. C'est dans cette ville que se dresse encore le temple d'Auguste, fameux par le testament bilingue de ce personnage. On retrouve dans l'ethnographie de la région des indices des anciennes colonies gauloises.

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Sur la ligne Afion Kara Hissar. En descendant vers le sud par la ligne de chemin de fer allemande, on passe par la ville d'Afion Kara Hissar qui se déploie d'une façon impres sionnante autour d'un massif rocheux conique que couronne une vieille forteresse turque. L'humeur des habitants reste quelque peu farouche. En allant maintenant vers l'est, on gagne Koniah, ancienne capitale seldjoucide; divers monuments, notamment des mosquées de toute beauté, parlent éloquemment de ce passé glorieux. C'est à Koniah que se trouve le fameux couvent des derviches mervlawi et que réside leur prince, chef spirituel de tous les derviches tourneurs, et qui est tenu ici dans une semi-captivité. Les habitants sont assez fanatiques. Dans les environs de Koniah, l'on peut citer des sites pittoresques, notamment le vieux couvent grec de Saint-Chariton, ainsi que le gracieux village de Sileh. Enfin, en rayonnant plus loin, on peut étudier la vie du paysan turc, dans ses villages et ses yaïla.

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Sur la ligne de Bagdad. Prenant maintenant à Koniah la ligne de Bagdad, on va à Eregli, près de son terme actuel, à 200 kilomètres de là, en vue des contreforts du

revers d'une gorge, un curieux bas-relief de style « hittite », cet art antique particulier à l'Asie Mineure.

La montagne les Portes Ciliciennes. C'est d'Eregli que l'explorateur a gagné la bande du littoral cilicien, en trois longues journées tour à tour de voiture et de cheval, par la célèbre passe des Portes Ciliciennes d'une importance majeure dans l'histoire de la stratégie. Cette grande artère commerciale, la seule voie encore praticable dans cette région du Taurus, en attendant que la ligne de Bagdad la remplace un jour, voit se succéder avec une grande fréquence des caravanes et des convois transportant leur chargement de denrées, de tabac, de sel, etc. La plupart des sites qu'elle traverse sont d'une sauvagerie grandiose, et l'œil ne perd pas de vue une couronne de neiges éternelles.

A l'étape du soir, dans les pauvres khans de caravane, on éprouve un intime frisson de délaissement dû à l'isolement de la contrée. A partir du Gulek Boghaz, la pente se déroule à travers une région semi-boisée de pins, et on arrive à huit heures du soir, le troisième jour, dans la plaine détrempée de Tarse, lieu natal de l'apôtre Paul, où quelques monuments sans grand intérêt ont emprunté son nom. De là un chemin de fer local conduit à Mersine. FRÉDÉRIC LEMOINE.

En remerciant M. de Nettancourt d'avoir réservé à la Société la primeur de cette communication sérieusement documentée, M. le président rend hommage à son souci de l'exactitude, à sa clarté et à la diversité de ses connaissances.

La prochaine séance est fixée au vendredi 9 novembre.

Membres admis.

M. CHAUTARD (Jean), M. NIVOIT (Paul).

Candidats présentés et admis.

S. A. la Princesse Marie BONAPARTE, présentée par MM. LE MYRE DE VILERS et HULOT.
MM. CONSTANS, ambassadeur de France à Constantinople, présenté par MM. LE MYRE DE
VILERS et Ch.-E. BOMIN.

BOURGEOIS (Charles), lieutenant au 112 d'Infanterie, présenté par MM. LE MYRE DE
VILERS et le baron HULOT.

DUPONT (Charles-Louis-Joseph), commis des Affaires indigènes, présenté par MM. le lieutenant BROT et GEORGES BROUSSEAU.

FLEURIEU (le comte Alphonse de), présenté par M. LE Myre de Vilers et Bouquet de LA GRYE.

HALAIS (Charles), Gouverneur honoraire des Colonies, professeur à l'École des Hautes Études commerciales, présenté par MM. le baron DE GUERNE et le baron HULOT. ZÉDÉ (Laurent lieutenant au 1er régiment Étranger, présenté par MM. LE MYRE DE VILERS et le baron HULOT.

MOULIN, rédacteur en chef de la Revue hebdomadaire, présenté par MM. le baron HULOT et le comte Gabriel de LABRY.

IDEVILLE le baron Jean d'), par MM. le lieutenant DESPLAGNES et le baron Hulot.

NÉCROLOGIE

La Société a été éprouvée par la perte de plusieurs de ses membres Mme la comtesse de Beaumont; MM. Bischoffsheim; Aimé Pastré; Paul Fazendé; J. Colette; Archambault; Georges Sanville; le comte d'Alcantara; le comte de Cintré.

Le Secrétaire général de la Société.

Le gérant P. BOUCHEZ.

Coulommiers. - Inp. PAUL BRODARD

Le plateau d'Aubrac

A 35 kilomètres au sud du Plomb du Cantal, la Truyère, issue des monts de la Margeride, roule ses flots écumants dans une gorge profonde et sauvage, en décrivant une immense courbe dont la convexité est tournée du côté du nord. Au delà de cette vallée d'un pittoresque grandiose, s'étend une région de pâturages peu connue des touristes, parce qu'elle est peu accessible, mais à laquelle son immense solitude, la richesse et la variété de sa flore, le nombre et la beauté des troupeaux qui y séjournent pendant la belle saison, donnent un caractère tout particulier « de grandeur et d'originalité ». C'est là le pays d'Aubrac si magistralement décrit par M. E.-A. Martel dans son bel ouvrage sur les Cévennes '.

L'Aubrac occupe un plateau de forme elliptique, de 35 kilomètres de longueur sur 40 kilomètres de largeur. Circonscrit à l'est, au nord et à l'ouest par la Truyère, qui le sépare du Cantal, il est borné au sud par le Lot, dont les eaux tumultueuses se pressent dans une gorge resserrée, aux parois abruptes hérissées de rochers, qui s'élargit seulement entre Saint-Côme et Estaing pour former le riche bassin d'Espalion, au sud-est par la Colagne, qui descend du Truc de Randon (1 554 m. d'altitude) pour se joindre au Lot, près de Chirac. Le plateau se rattache vers l'est aux monts de la Margeride par une série de hauteurs resserrées entre les vallées de la Truyère et de la Colagne, formant une sorte d'isthme dont la largeur ne dépasse pas 1300 mètres entre Estables et Laubies et aboutissant au Truc de Randon.

Sur le pourtour, le plateau, que nous venons de décrire, offre la configuration mollement ondulée des régions granitiques. C'est, en effet, le granite et les schistes qui en forment le substratum; mais ce substratum est recouvert dans la partie moyenne du plateau par des coulées basaltiques qui constituent le faîte et les contreforts de la chaîne d'Aubrac. L'altitude moyenne de ce massif, dirigé du sud-est au nord-ouest en travers du plateau et recourbé en forme de croissant, est de 1300 mètres; ses points culminants atteignent 1451 et 1 471 mètres.

1. E.-A. Martel, Les Cévennes, Paris, 1890, Delagrave.

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