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vaisin, c'est-à-dire Beaumanoir lui-même qu'on n'avait pas

reconnu.

Ces faits, et bien d'autres, dont la réalité s'est révélée par l'examen des documents, m'ont paru mériter d'être recueillis comme étant de nature à former le fond d'un utile mémoire sur la vie et les ouvrages de cet homme qui fut assez riche pour fournir si longtemps à l'histoire l'étoffe de deux personnages complétement différents.

Voici d'ailleurs les renseignements précis que j'avais soumis sur ce sujet, en 1835, à la société des antiquaires de Picardie et qui ont paru (sauf deux ou trois rectifications que j'ai dù y introduire depuis) dans son Bulletin.

« Un manuscrit de la grande bibliothèque de Paris (7,6092 fonds fr.), en écriture du XIIIe siècle, contient les pièces suivantes dont on ne connaît pas d'autre copie :

1o Le roman de la Manekine (8,590 vers), par Philippe de Remi. 2o Le roman de Jean de Dammartin et Blonde d'Oxford (7,145 vers), par le même.

3o Le salut d'amour, par Philippe de Beaumanoir.

4° La complainte d'amour, par le même.

5o Le dit de folle largesse, par le même.

6o En grand évcil suis, pièce de vers sans nom d'auteur.

7° Ave Maria, idem.

8° Chansons d'amour, idem.

9o Le chant d'une raine, idem.

10o Le roman de Ham (non terminé), par Jean Sarrasin.

« Les pièces 3, 4 et 5, signées de Beaumanoir, ont été remarquées et citées par la plupart de ses biographes. Quant à ce Philippe de Reim, qui commence le volume 76092 (1), ses deux romans ont été publiés en Angleterre, et il a obtenu diverses

(1) Dans une refonte générale de tous les numéros des manuscrits latins et français de la grande Bibliothèque de Paris, opération récente, dont le but est, dit-on, de donner plus de commodités au service intérieur de l'établissement, mais dont le résultat ne devrait pas être de supprimer et de détruire les anciens numéros sous lesquels ces précieux manuscrits sont connus et cités depuis des siècles, l'on a donné pour compagnon au no fr. 76092 le chiffre d'ordre 1583. Je cite toujours les numéros anciens.

biographies: 1o de ses éditeurs; 2o de l'abbé de La Rue, dans ses Trouvères anglo-normands; 3o de M. Thomas Wright, dans son Biographia britannica litteraria; 4o des auteurs de l'Histoire liltéraire de la France (t. xx1). Tous ces auteurs s'accordent à dire que c'est un poète anglo-normand, dont on ne connaît rien autre que les deux ouvragès qu'il a composés. Quelques-uns le rattachent à une famille de Rames, célèbre en Angleterre.

« Or, plusieurs chartes provenant de l'abbaye de Saint-Denys, et d'autres documents, constatent que cette abbaye comptait parmi ses vassaux du Beauvaisis une famille seigneuriale qui portait le nom du village de Remy ou plutôt Remin, près Compiègne, et que pendant presque tout le cours du XIe siècle, cette famille fit hommage à l'abbé de Saint-Denys pour le fief de Beaumanoir qui encore aujourd'hui est un hameau dépendant de la commune de Remy.

« Cette observation suffit pour jeter une lumière toute nouvelle sur le précieux manuscrit mentionné ci-dessus, et pour faire concevoir au premier coup-d'œil une très-forte présomption que les éditeurs de Philippe de Reim auraient dû lire Philippe de Remi; que Remi est le nom de famille de l'illustre Beaumanoir; que la Manekine et Jean de Dammartin sont aussi son ouvrage; enfin que le trouvère Philippe de Reim ou de Reimes est un être imaginaire. Et même la présomption se change en certitude dès qu'on rencontre des actes passés de 1250 à 1270 par des personnages se nommant: Philippe ou Girard de Remi, sire de Beaumanoir.

« Maintenant, quand on prend le manuscrit lui-même, qu'on le lit avec cette pensée, qu'on voit dans quels lieux se passent et dans quel esprit sont conçues les scènes des deux romans, lorsqu'on retrouve dans les pièces 6, 7, 8 et 9, qui ne portent pas de nom d'auteur, des désignations géographiques, telles que Clermont, Pont, Verberie, Ressons et jusqu'à la simple ferme de Warnaviller près Remy, il n'y a plus de place possible au moindre doute. Sauf la pièce due à Sarrasin, le manuscrit 76092 est tout entier l'œuvre du jurisconsulte Beaumanoir.

« Cette première donnée en amène une autre. Avec le nom de Remi j'ai pu recueillir un certain nombre de chartes relatives à la famille de Beaumanoir. C'était une des grandes familles du Beauvaisis; le Pierre de Remin que Guillaume le Breton cite dans

sa Philippide comme s'étant distingué à Bouvines à la tête des milices de Compiègne, était je crois le grand-père du jurisconsulte; son père, nommé Philippe comme lui, avait été bailli du Gatinais pour la maison des comtes d'Artois, Boulogne et Dammartin; sa mère était la fille du petit seigneur de Bailleul-leSoc, près Remy; lui-même était un serviteur des comtes de Clermont. Par tous les liens possibles donc, Beaumanoir était attaché au sol du Beauvaisis; or, le roman de Jean de Dammartin est l'histoire des exploits en France et en Angleterre d'un des plus grands seigneurs de la contrée avant que le comté de Clermont ne fût acquis par saint Louis (ce qui arriva seulement en 1245); c'est une légende, c'est-à-dire une fable mêlée d'histoire. La Manekine participe de ce caractère, mais à un degré beaucoup moindre. Il est superflu d'ajouter que les éditeurs de ces deux poëmes (malgré leur mérite bien connu, ce sont MM. Francisque Michel et Le Roux de Lincy) n'ayant pas la clef de ces récits, en ont ignoré la principale valeur, et ont pris pour un simple roman d'aventures ou roman de mœurs ce qui est une véritable épopée Beauvaisine. »

« Outre les dépôts littéraires de Paris, j'ai visité plusieurs fois toutes les bibliothèques et les archives dont on a bien voulu m'ouvrir l'accès à Beauvais, Compiègne, Clermont et Senlis. J'y ai recherché avec soin tous les documents qui peuvent avoir subsisté jusqu'à nos jours sur la famille de Remi. J'ai ainsi rassemblé un grand nombre de documents entièrement nouveaux sur la famille de Beaumanoir et sur les fonctions administratives qu'il a exercées. Malheureusement il n'y a que trèspeu de chose dans toutes ces pièces sur sa personne même. Ou y voit seulement qu'il fut marié deux fois, qu'il avait pour armoiries trois quinte-feuilles, qu'il habitait ordinairement, du moins vers la fin de sa vie, un manoir qu'il possédait à Pontpoint, près Pont-Sainte-Maxence; qu'il mourut le 7 janvier 1296, agé, suivant mes conjectures, de cinquante ans, et qu'il fut inhumé entre ses deux femmes, dans l'église des Jacobins de Compiègne. Cette église est devenue une maison particulière, dans diverses parties de laquelle on trouve encore des fragments de pierres tumulaires et d'inscriptions mutilées. Malgré l'assistance obligeante et éclairée du propriétaire actuel, M. le baron de Bicquilley, je n'ai rien pu y découvrir qui se rapportât à

la sépulture de Beaumanoir, et ma recherche n'a pu être compléte. »

J'ai aussi inséré dans mon Histoire de France d'après les documents originaux (1862, t. 1er, p. 378), une courte notice sur mon héros où j'ajoutais ces nouveaux détails : « Beaumanoir, dans sa jeunesse, avait visité l'Angleterre où il paraît avoir été attaché à la fortune de Simon de Montfort qui commandait les barons révoltés contre le roi Henri III, et qui fut à peu près le maître du royaume pendant les années 1264 et 1263. »

Il s'agit de justifier maintenant par les preuves toutes ces données lentement acquises.

CHAPITRE Ier.

Origine du jurisconsulte Philippe de Beaumanoir.

A trois quarts d'heure au nord du village de Remy (1), la petite rivière d'Aronde coule paisiblement dans un fond resserré. Sur la rive gauche s'élève en pente douce le mamelon sur lequel est assis le château de Monchy-Humières; à droite la prairie se dresse brusquement à plus de dix mètres de hauteur; un petit moulin placé sur le rivage, une demi-douzaine de maisons étagées sur la pente et une vaste ferme carrée dont les murailles élevées bordent le sommet de la colline, forment en cet endroit un hameau de triste et chétive apparence. Ce sont le hameau, la ferme et le moulin de Beaumanoir.

Au commencement du XIIe siècle, il n'y avait encore là que des champs (2) qu'on appelait la terre Bernard et qui apparte

(1) Arr. de Compiègne, cant. d'Estrées-Saint-Denys, 881 habitants en 1813. (2) Cependant on y a découvert en 1837 des sarcophages, et le meunier de Beaumanoir, M. Lesguillons, conserve chez lui, avec quelques objets du moyen-âge trouvés sur le bord de l'Aronde ou dans son lit, une statuette romaine en bronze, une ampliore en terre cuite et quelques autres débris antiques.

naient à l'une des familles seigneuriales du pays, celle qui portait le nom du village de Remy. Leur propriétaire, Pierre de Remi ou de Remin (1), chevalier, tenait ce domaine en fief de l'abbaye de Saint-Denys à laquelle il en abandonna une partie au mois de mars 1222. Nous avons l'acte, daté de Moinvillers (2), par lequel, en présence du prévôt de Senlis et sous. son autorité, Pierre de Remi, chevalier, cède en pur don à l'abbaye la dime de la terre Bernard, qu'il estime à la valeur de trois muids par an, et qui devra fournir chaque année aux religieux ces trois muids au moins. Il y ajoute cent verges de terrain, à prendre par les religieux en quelque lieu qu'ils voudront du dit domaine, pour y construire la grange dont ils auront besoin à l'avenir.

Il se constitue en outre, avec deux chevaliers du voisinage, Jean d'Estrées et Dreux de Francières, comme garant de ces dispositions, et comme obligé ainsi qu'eux, en cas d'inexécution, d'aller se rendre tous trois prisonniers à Pont-SainteMaxence ou à Compiègne.

Ce Pierre de Remi si bien établi dans ce pays, lié si étroitement avec deux des meilleures familles de la contrée, les d'Estrées et les Francières, et vivant dans la banlieue de Compiègne huit années après la bataille de Bouvines, pourrait fort bien être le même Pierre de Remi, chevalier, qui dans cette célèbre affaire, commandait les milices de Compiègne et se conduisit de manière à mériter l'honneur d'ètre mentionné dans les chroniques du temps et dans les vers de la Philippide (3).

(1) Dans les textes du moyen-âge: Remiacus, et plus souvent Reminus. On trouve aussi Riminus. Beaumanoir se nomme lui-même Remi dans ses poésies; mais dans ses Coutumes, il parle du village de Remin.

(2) Village près de Remy. Voyez pièces justificatives, no I.

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« A cele meslée sorvient Pierre de Remi et cil de sa compagnie par

T. VII.

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