Et m'attendoit pour cette horrible scène.
Irêne!..... ô dieux! criai-je avec transport,
Vois ton amant que le ciel te ramène,
« Entends ma voix »..... Elle fait un effort, Étend les bras, me cherche, ouvre avec peine Des yeux nageant dans l'ombre de la mort, Me reconnoît..... Un doux rayon de joie Sur son visage, où régnoit la pâleur,
Fait un moment renaître la couleur.
Seroit-ce toi? Que faut-il que j'en croie? Se peut-il bien qu'enfin je te revoie?
Mais dans quel temps? Ah! je n'ai pu souffrir
Ton autre hymen; ma tendresse jalouse
M'a consumée..... Adieu, je vais mourir,
« Heureuse au moins de mourir ton épouse!
« Retiens tes pleurɛ. Puissé-je, à l'avenir,
Alors elle perd la lumière. Hélas! en vain, la serrant dans mes bras, Je la voulois disputer au trépas;
Il me fallut lui fermer la paupière, Et sur sa bouche on me vit recueillir Ses feux, son âme et son dernier soupir.
« Dès cet instant, pardonnez, ô déesse! Je pris en haine et l'hymen et l'amour : Dès lors, mon cœur, flétri par la tristesse, A vos plaisirs se ferma sans retour.
Si mon image a dans le sein d'Irene
Régné jadis jusqu'à son dernier jour, Je veux moi-même occupé de la sienne, Dans le tombeau l'emporter à mon tour.
« Je voulois fuir une île que j'abhorre; Mais le destin qui fit tous mes malheurs, De ces premiers peu satisfait encore, M'y préparoit de nouvelles douleurs.
« C'est à Samos que Junon prit naissance; C'est à Samos, séjour de son enfance, Que de son frère elle fit son époux. Elle s'y plaît, et cette heureuse terre Lui sert d'asile, en ces moments jaloux Où, pour un temps, la déesse en courroux Renonce au lit du maître du tonnerre.
Souvent aussi Jupiter suit ses pas;
Dans ces bosquets il la trouve plus belle. A leur aspect, son cœur se renouvelle, Et brûle encor de ces feux délicats Qu'il y sentit pour ses jeunes appes; Et son amour met à profit, près d'elle, Les souvenirs que ce lieu nous rappelle; Mais quelquefois elle vient s'y cacher, Respirer seule et jouir d'elle-même : Sans cour, sans pompe, elle vient y chercher La liberté, qui fuit le rang suprême;
De son front grave elle y vient détacher Tous ses ennuis, avec son diadême;
Elle y vient rire; on rit peu dans les cieux. Je la plaindrois, je plaindrois tous les dieux D'être immortels, si ces dieux qu'on révère Devoient traîner leur triste éternité
Sans dépouiller la majesté sévère, Si, pour l'honneur de la divinité, Ils ne pouvoient briser la chaîne austère De la contrainte et de la dignité. Junon commande à la nature entière, Je le confesse, et pour ce cœur si fier Il est flatteur de marcher la première Parmi les dieux, et près de Jupiter. Il faut pourtant à cette reine altière D'autres plaisirs, des plaisirs plus touchants. Samos lui rouvre un sein qui l'a nourrie; Et Junon trouve en cette île fleurie
Ces plaisirs purs qui naissent dans les champs.
« Elle y parut, alors que toute prête, Sur le rivage, en ses replis flottants, Déjà ma voile emprisonnoit les vents. J'allois partir; mais son ordre m'arrête. Conduit près d'elle, et près de son époux, Dans un salon de fleurs et de verdure, Orné des mains de la simple nature, Je viens, je tombe à leurs sacrés genoux.
De l'univers je contemple les maîtres.
Ils étoient seuls; car les dieux de leur cour Étoient restés au céleste séjour ;
Et le troupean des demi-dieux champêtres, Par Jupiter enivrés en ce jour,
Trop échauffés de nectar et d'amour, L'avoient quitté, pour suivre sous les hêtres Le jeune essaim des nymphes d'alentour L'exemple entraîne, et le fils de Saturne Avoit aussi, sur la fin du repas, Pressé Junon, et volé dans ses bras. Tout l'annonçoit! on remarquoit une urne Sur le gazon, renversée auprès d'eux,
Et cent cristaux qui, brisés dans leurs jeux, Témoins récens d'une gaîté folâtre,
Du grand combat, parsemoient le théâtre.
Sages enfin, après l'emportement,
Ils jouissoient de ce repos charmant
Où tombe une âme heureuse et satisfaite : Calme enchanteur, tranquillité parfaite, Pure, sans trouble et sans égarement. Ils raisonnoient, ils demandoient comment L'enfant Amour, qui paroît si paisible, Porte en nos sens ce tumulte terrible, Tel que celui de l'humide élément, Quand l'Aquilon de son souffle invincible Le bouleverse impétueusement.
Ils demandoient si sa flamme invisible
Sur chaque sexe agit également,
Lequel des deux, la maîtresse ou l'amant, Prend plus de part, se montre plus sensible A ses plaisirs, dans un tendre moment. Junon disoit : Faut-il qu'on délibère?
Ne sait-on pas qu'en ces instants si doux, L'homme plus vif est plus flatté que nous ? Mais Jupiter prétendoit le contraire. C'est aux experts d'expliquer ce mystère; Mais des experts, en est-il sur ce point? L'expérience, en ce cas nécessaire, Qui peut l'avoir? Eh! Cypris ne l'a point; Cypris pourtant du plaisir est la mère. »
A ce propos la déesse sourit, Et le vieillard en ces termes reprit :
« On me fit juge, en cette conjoncture; J'étois fameux; et ma double aventure, Dont les détails ont été mal connus, A Jupiter donnoit droit de conclure Que je pouvois, instruit sur la nature, N'ignorant pas l'une et l'autre Vénus, Développer cette matière obscure. Il ne savoit mes destins qu'à demi, Et je le crois; sa sagesse profonde
Peut bien mouvoir les grands ressorts du monde,
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