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Et l'avenir ne peut vous sauver d'elle,
Puisqu'elle est femme, et qu'elle est immortelle,
Souffrez ce mot, sans montrer de courroux.
Moi, qui du sien devrois me croire indigne,
J'en suis aussi l'objet infortuné,

Et mon exemple est une preuve insigne
Que son cœur dur n'a jamais pardonné.
Or, si ce cœur nous unit dans sa haine,
Dès lors, Vénus, elle voit avec peine,
Nos citoyens, enfants de votre choix :
Ils sont à vous, et vivent sous mes lois,
C'en est assez, la commune ennemie,
Renversant l'île encor mal affermie,
Veut de nous deux se venger à la fois.

« Elle est puissante, et les bords du Scamandre,
Beaux lieux, changés en un séjour d'horreur,
Ces tours, qu'en vain vous voulûtes défendre,
Cet Ilion, dont fume encor la cendre,
Ont éprouvé ce que peut sa fureur.
Cette fureur aujourd'hui se ranime,
Mais sans éclat, et cherchant sourdement
A nous creuser un invisible abîme,
Avec plus d'art, agit plus sûrement.
Ce couple aimable en sera l'instrument;
Il en sera la première victime,

Si le destin n'en ordonne autrement :
Car le destin, par son vouloir suprême,

Peut rendre vain ce qu'elle a résolu;
Mais je crains bien que ce maître absolu,
Dans ses projets ne la serve lui-même.
Tendres amants, tout me présage assez
Qu'il doit vous perdre ; et mes malheurs passés
De vos malheurs sont l'image et l'emblême.
Pour me porter les plus sensibles coups,
On me poursuit aussi dans ce que j'aime,
Et c'est moi seul que l'on punit en vous.
On vous punit, et je suis le coupable!
Eh quoi! Junon ne se contente pas
De tous les maux dont sa rage implacable
A jusqu'ici frappé Tirésias !

Je l'offensai; mais des traits d'imprudence,
Dignes, au plus, d'un châtiment léger,
Méritoient-ils cet excès de vengeance?
Daignez, Vénus, m'entendre et me juger.

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Sorti des murs, qu'aux accents de sa lyre
Un fils des dieux, architecte nouveau,
Près de l'Euripe autrefois sut construire,
Sacrés remparts qui furent mon berceau,
Je voyageois curieux de m'instruire,
Jaloux de voir, dès mes plus jeunes ans,
L'esprit, les mœurs des peuples différents.
Je parcourois ces îles renommées
Que voit la Grèce à l'orient semées,

Et dont le cercle environne Délos.

Une tempête, un dieu plutôt m'égare
Près de l'Asie, au sein des vastes flots
Rendus fameux par la chute d'Icare;
Et le destin me conduit à Samos.

Que n'ai-je, ô ciel! péri dans cet orage!
Mais mon malheur me sauva du naufrage.

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Ce fut, déesse, en ce triste séjour,

Que de Junon j'excitai la colère.

Comme à Cadmus, le ciel m'offrit un jour

Deux grands serpents qui, près d'une onde claire,
Gardoient ses bords et les bois d'alentour.

L'amour s'apprête à les unir ensemble.
Mais quel amour! à la haine il ressemble.
Ces fiers dragons, près de se caresser,
En s'abordant sembloient se menacer.
Entre les dents dont leur gueule est armée,
Sort en trois dards leur langue envenimée,
Organe impur qu'anime le désir;

Signal affreux de leur affreux plaisir.

D'un rouge ardent leur prunelle enflammée
Jette autour d'eux des regards foudroyants.
Mais tout à coup ils sifflent et s'embrassent,
Etroitement l'un l'autre ils s'entrelacent
Dans les replis de leurs corps ondoyants.
De vingt couleurs l'éclat qui les émaille,
Varie au gré de ces longs mouvements,
Et mon œil voit, dans leurs embrassements

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D'un feu changeant s'allumer leur écaille.
Telle est l'Iris, quand un nuage obscur,
Chargé de pluie, altéré de lumière,
Boit le soleil, et vers notre paupière
Réfléchit l'or, et la pourpre et l'azur.

« Un javelot (sans en prévoir l'usage,
Dans une main j'avois deux javelots)
Lancé d'abord sur ce couple sauvage,
De leur sang noir, qui couloit à ruisseaux,
Teignit près d'eux les herbes et les eaux.
Blessés tous deux, tous deux avec courage
Dressent la tête, et recourbent de rage
Leur queue immense, en cercles redoublés,
Puis, jusqu'à moi s'allongent, se déploient
D'un saut agile, et devant eux m'envoient
Tous leurs poisons en vapeurs exhalés.
De l'autre dard j'arrête leur furie,

Et

par mon bras, malgré leur force unie,
Le double monstre, à la fois combattu,
Dans la poussière, à la fois abattu,
Laisse à mes pieds sa colère et sa vie.

« Ils expiroient. Une voix dans les airs, Au bruit des vents, au milieu des éclairs, S'ouvre un passage, et me glace de crainte : « Ah! malheureux! près d'une source sainte, « Et sur des bords à Junon consacrés,

« Oses-tu bien, dans tes fureurs impies, « De ce lieu même attaquer les génies,

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Ces demi-dieux à Samos adorés?...
Tremble... frémis. Junon qui les protège
Saura punir ce forfait sacrilége.

Ta cruauté, sans respecter leurs feux,

« Les a privés des plaisirs amoureux;

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Bientôt toi-même, avec plus de justice,
Eprouveras un semblable supplice,
Et tu verras tes élèves un jour,

Ainsi que toi, l'éprouver à leur tour. »
Ah! j'ai rempli de l'oracle funeste

Une partie; ils rempliront le reste.

« Je n'avois pas, en ce temps fortuné,

Ce front bruni, de rides sillonné,

Ce grand front chauve, et cette barbe épaisse Que tous les jours argente la vieillesse.

Que mon bel âge a fui d'un vol léger!

Que promptement, dans son cours passager,
Chacun de nous touche au soir de la vie!
Le temps cruel et sa faux ennemie
N'approchent point de l'Olympe immortel,
Et les dieux seuls ont un jour éternel.

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Avant le temps de mes longues disgrâces,

Jadis en moi se trouvoient réunis

Les doux attraits, la jeunesse, les grâces

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