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Grâce te soit rendue, ô Dieu conservateur!

Toi, dont j'ai si long-temps éprouvé la clémence!
Deux fois quarante hivers ont suivi ma naissance :
Ce grand âge a passé comme un songe flatteur.
Quand je parcours l'espace immense

Où se perd loin de moi le berceau de mes ans,
Que je me sens ému! dans quels ravissements
Je me rappelle encor leur douce jouissance !
D'un air contagieux mes troupeaux, ni mes champs,
N'essuyèrent jamais la mortelle influence :
Jamais de mon réduit n'approcha l'indigence.
Si le malheur m'a visité,

Si quelquefois mes yeux ont répandu des larmes,
Aux jours de la félicité

Ces orages légers prêtoient de nouveaux charmes.
Hélas! sous un ciel pur, au bord de mes ruisseaux,
J'ai vu couler ces jours, comme coulent leurs eaux;
Je les ai vu suivis de paisibles ténèbres;
Un sommeil bienfaisant suspendoit mes travaux,
Et jamais le souci, pour troubler mon repos,

N'agita ses ailes funèbres.

Dans le cours fortuné de mes lustres nombreux,
Je ne compte aucun jour perdu pour la nature.
J'eus des amis; je fis quelquefois des heureux;
J'aimois et je connus cette volupté pure

Qui nait du doux accord d'un couple vertueux.
O jeunesse! ô saison dont tout m'offre l'image!
Lorsque, sur mes genoux, je portois mes enfants,

Qu'en me livrant comme eux aux plaisirs de leur âge,
Je me sentois pressé de leurs bras innocents,
Que je goûtois alors un bonheur sans nuage!
En voyant s'élever ces tendres arbrisseaux,
Mes yeux de l'avenir pénétroient la nuit sombre;
Je disois : ils croîtront; leurs utiles rameaux
Recevront ma vieillesse à l'abri de leur ombre.
J'ai joui, grâce au ciel, du fruit de mes travaux,
Et j'ai vu le succès passer mon espérance.
En rappelant les soins que j'eus de votre enfance,
De votre père, un jour, bénissez le repos;
Mes fils! si je n'ai pu vous laisser l'abondance,
Je vous ai fait des cœurs à l'épreuve des maux :
Ah! quel est le mortel exempt de leurs assauts?

Pour la première fois, quand je connus la peine,
Ce fut, ô ma Zélis! ce jour où sur mon sein
Ton âme s'échappa comme une douce haleine,
Où le froid du trépas glaça ta foible main,
Que tu tentois encor d'attacher sur la mienne;
Combien ce souvenir m'a fait verser de pleurs !
Mais de tous nos chagrins le temps tarit la source :
Douze fois la saison des fleurs

Au gazon de ta tombe a mêlé ses couleurs,
Et le moment approche où doit finir ma course.
J'ai de ce terme heureux de sûrs pressentiments:
Ce soir, sur la colline où repose ta cendre,

Je veux assembler mes enfants:

Toi qui me fis l'objet de tes bienfaits constants ! Au dernier de mes jours daigne encore m'entendre ; O ciel! fais-moi mourir dans leurs embrassements.

LA PIÉTÉ FILIALE.

Lycoris et Sélime.

Au déclin d'un beau jour, Lycoris et Sélime
Ayant rassemblé leur troupeau,

Se reposoient sur un coteau
Dont le soleil doroit la cime:

Ils s'occupoient de Philémon;

Car ces jeunes enfants, modèles de tendresse, N'avoient d'autres plaisirs que d'en parler sans cesse. Si nous sommes heureux, j'en sais bien la raison, Disoit Lycoris à son frère,

Les Cieux protégent notre père :

Il le mérite; il est si bon!

SÉLIME.

N'en doute point, ma sœur; sa vertu leur est chère.
Un soir, sous le berceau voisin de sa chaumière,
Il dormoit d'un sommeil aussi doux que son cœur :
Sur son front j'imprimai ma bouche,

Et soudain (soit amour, ou soit que son bonheur
Se fasse ressentir à tout ce qui le touche),
Des larmes de plaisir coulèrent de mes yeux.
Ce bon père! disois-je, à quel point il nous aime !

Il a veillé pour nous; et dans son sommeil même, Il sait encor nous rendre heureux !

LYCORIS.

Hier, dans quel état il revint de la plaine !
Ah! si tu Favois vu se traîner avec peine,
Accablé du travail et du poids de ses ans !...
Sélime!

Tu pleures,

SÉLIME.

Quel père !...

Nous lui devons aussi des soins reconnoissants.
Écoute; mais, surtout, que ce soit un mystère;.
Du prix de ces paniers que tu me voyois faire,
Je viens d'acheter un mouton;

Je le destine à Philémon...

LYCORIS.

Et moi, pour l'amuser, quand il est solitaire,
De mon oiseau chéri, je veux lui faire un don.
Leur père entendit ce langage;

Il sortoit d'un buisson voisin :

Il court à ses enfants, les tient contre son sein ;
Et des larmes de joie inondent son visage.

O Dieu! dit-il, ô Dieu! témoin de mon bonheur,
Dans mes bras paternels, tu vois tout ce que j'aime!
Laisse-moi mes enfants, c'est la seule faveur
Que je demande encor à ta bonté suprême.

Le Bonheur.

HEUREUX qui des mortels oubliant les chimères,
Possède une compagne, un livre, un ami sûr,
Et vit indépendant sous le toit de ses pères !
Pour lui, le ciel se peint d'un éternel azur;
L'innocence embellit son front toujours paisible;
La vérité l'éclaire et descend dans son cœur ;
Et par un sentier peu pénible,

La nature qu'il suit le conduit au bonheur.
En vain près de sa solitude,

La Discorde en fureur fait retentir sa voix :
Livré dans le silence, au charme de l'étude,
Il voit avec douleur, mais sans inquiétude,
Les États se heurter pour la cause des Rois.
Tandis que la veuve éplorée,

Aux pieds des tribunaux va porter ses clameurs,
Dans les embrassements d'une épouse adorée,
De la volupté seule il sent couler les pleurs.

Il laisse au loin mugir les orages du monde :
Sur les bords d'une eau vive, à l'ombre des berceaux,
Il dit en bénissant sa retraite profonde :
C'est dans l'obscurité qu'habite le repos;
Le sage ainsi vieillit, à l'abri de l'envie,

Sans regret du passé, sans soin du lendemain ;

Et quand l'Etre éternel le rappelle en son sein,

Il s'endort doucement, pour renaître à la vie.

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