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Le Village détruit.

ENFIN je vous revois, délicieux vallons!
Lieux où mes premiers ans couloient dans l'innocence!
Campagne où régnoit l'abondance!

Je reviens fouler tes gazons.

Mes regards vont chercher, du haut de la colline,
Le ruisseau qui fuyoit d'une roche voisine,
Intarissable dans son cours,

La ferme cultivée où je passois mes jours,
L'église vénérable, et le bois d'aubépine

Qui servoit d'asile aux amours...

Comme tout est changé! ce ruisseau solitaire
Roule couvert de mousse au milieu des roseaux :
On n'entend sur ses bords que les tristes vanneaux,
Et ce haut peuplier, dont la feuille légère

Frémit autour de ses rameaux.

Sur le rivage de cette onde,

Je prétendois fixer ma course vagabonde :
Je voulois, heureux casanier,

Vivre avec mes voisins dans une paix profonde,
Les attirer souvent auprès de mon foyer,

Végéter dans l'insouciance,

Et vieillir sous le maronnier,

Dont la cime touffue ombragea mon enfance.
Combien de fois sous son berceau,

Qui maintenant protège une triste bruyère,

J'ai vu les jeux naïfs des filles du hameau,

Les danses qu'on formoit sous les yeux d'une mère,
Les prix donnés par un vieillard,

Et leur gaîté sans feinte, et leur plaisir sans art!
Combien de fois, le soir, dans la saison fleurie,
J'entendis résonner les frêles chalumeaux,
Le cornet des bouviers rappelant leurs taureaux,
Le bruit d'une rustique orgie,

Le chant du villageois libre de ses travaux,
Et le bêlement des agneaux

Qui regagnoient la bergerie !

Dans cette friche inculte où rampe le chardon,
Le pasteur vertueux avoit son presbytère :
C'étoit un bon vieillard adoré du canton,
Occupé des devoirs de son saint ministère,
Riche avec peu de bien, n'ayant d'ambition
Que celle d'aider la misère.

A tous les malheureux il ouvroit sa maison;
Sa bourse leur étoit commune.

De jeunes orphelins, des soldats mutilés,

Et d'humbles passagers, jouets de l'infortune,
Près de son feu, l'hiver, se trouvoient rassemblés.
Tous ces rebuts de l'indigence

A sa table frugale étoient sûrs d'être admis,
Et recevoient l'accueil qu'après sa longue absence,
On fait au meilleur des amis.

Ici, du Magister la demeure bruyante

A fait place aux buissons qui bordent le chemin

De leur muraille verdoyante.

Dès qu'il paroissoit le matin,

Les enfants à sa voix paisible ou menaçante,
Étoient instruits de leur destin.

Quand parfois un bon mot s'échappoit de sa bouche,
Sont front épanoui brilloit d'un ris flatteur;
Mais il inspiroit la terreur

Sitôt qu'il reprenoit son air dur et farouche.
Ses grands talents le rendoient vain;
Car il se connoissoit un mérite suprême :
Il savoit lire, écrire, et chanter au lutrin,
Prédire la marée, arpenter un terrain ;
Il chiffroit aisément, et le bruit couroit même
Qu'il savoit un peu de latin.

Sa gloire a disparu, triste effet de la guerre ! Le toit qu'il habitoit n'entend plus ses accents.

Plus loin sur ces débris un feston de lierre
Attiroit les regards des avides passants.

Là, le joyeux convive, en buvant à la ronde,
Débitoit son histoire et régloit le canton.

Là, tout en gouvernant le monde,
Le grave politique oublioit sa raison.
J'aime à me rappeler encore
L'humble appareil de ce réduit,
Le mur blanc, le plafond sonore

9

Le meuble savamment construit,

Servant le jour d'armoire, et d'alcove la nuit,
Le jeu de l'oie, et les images,

Les foyers égayés, dans la belle saison,
D'une tenture de feuillages,

Et le chambranle orné de tasses du Japon,
Qui du temps ennemi laissoient voir les ravages,
Et l'horloge de bois suspendue au salon.
Agréable séjour! ta rustique opulence,
Qui donnoit à chaque buveur
Un soupçon de son importance,
N'a pu retarder ton malheur.
Le bûcheron sous la tonnelle

Ne va plus dire sa chanson,

L'épouse du fermier, raconter sa nouvelle :
L'artisan, pour l'entendre, immobile auprès d'elle,
N'a plus le coude à table et les mains au menton,
Et l'hôte à les servir, prodigue de son zèle,
Ne fait plus circuler l'écumante boisson.

Maintenant exilés dans les champs du tropique,
Ils vont s'ensevelir au fond de ces déserts,
Où les flots irrités de la mer Atlantique,
De leurs mugissements épouvantent les airs.
Quel contraste à leur vue offrira ce rivage!
Des traits de feu tombant d'un soleil sans nuage,
Des bois qu'aucun oiseau n'anime par ses sons,
Un marécage impur et fertile en poisons,

Des animaux cruels, l'homme encor plus sauvage! Combien de fois, dans ces prisons,

Ils regretteront leur village

Et la fraîcheur de son bocage,

Et son ruisseau limpide et ses riches vallons!

Qu'ils ont maudit le jour où loin de leur patrie
Ils fuyoient sous un nouveau ciel!

Que de pleurs, en quittant leur cabane chérie!
Comme ils tournoient les yeux vers ce toit paternel
En proie à la flamme ennemie !

L'adieu qu'ils lui disoient devoit être éternel.
Près de s'en séparer, leur troupe fugitive
Y retournoit, pleuroit, baisoit encor la rive.
Hélas! s'écrioient-ils dans leurs sanglots amers,
Sur des bords inconnus nous trouverons peut-être
Un asile semblable au lieu qui nous vit naître :
Mais comment traverser ces effroyables mers?
Un vieillard, le premier, s'approcha du rivage.
Il pleuroit, mais pour eux.; car le monde nouvear
Dont l'espoir flattoit son courage,

Étoit au-delà du tombeau.

Sa fille, jeune objet embelli par ses larmes,
De ses débiles ans unique et cher appui,

Morne et les yeux baissés, marchoit auprès de lui,
Abandonnant les bras d'un amant plein de charmes.
Une mère éplorée exhaloit sa douleur,

Frappoit de ses deux mains ses mamelles tremblantes,

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