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Taupin lui brûla la cervelle, » écrit tout simplement un autre auteur breton, M. Garnier de Kérigant, dans un livre qui n'est qu'une apologie de la chouannerie en général et de la famille Kérigant en particulier.

Mme Taupin, avait-il dit auparavant, fut arrêtée pour avoir donné asile à deux prêtres qui furent guillotinés avec elle à Tréguier. Ayant demandé à embrasser ses enfants, on les plaça sous la guillotine, où ils furent inondés du sang de leur mère (1).

« Néron et Diocletien n'étaient pas plus barbares, » écrivent en parlant des mêmes faits les conférenciers des Côtes-du-Nord qui, dans un récent ouvrage, ont reproduit bon nombre des erreurs que nous avons déjà signalées. Chose bizarre! Les conférenciers ne sont même pas toujours d'accord. Ainsi, dans le même volume, l'un d'eux accuse positivement Chef-du-Bois d'avoir été l'auteur de la dénonciation de Mme Taupin, tandis que, quelques pages plus loin, un de ses confrères, avec plus de raison, en rend responsable le nommé Guillaume Salaün, de Brélévenez (2),

La tradition orale n'a pas tardé à être égarée par tous ces écrits aussi variés que contradictoires. Puis, comme cela était à prévoir, l'imagination populaire les a agrémentés encore des détails les plus effroyables. Nous renonçons à les reproduire ici, mais nous pouvons affirmer, sans crainte d'être contredits, que, plus d'une fois, dans la cathédrale de Tréguier, du haut de la chaire de vérité, sont tombées des paroles d'anathème contre le misérable Chef-du-Bois, cet émule de Carrier et de Marat, ce tigre à face humaine, qui avait noyé la ville dans des torrents de sang... Ajoutons, enfin, que, tout dernièrement,

(1) Les Chouans, épisodes des guerres de l'Ouest dans les Côtes-du-Nord. Dinan, Bazouge, 1882, 1 vol. in-8° (Voir p. 190).

(2) Conférences ecclésiastiques de 1892. Le Diocèse de Saint-Brieuc et de Tréguier pendant la période révolutionnaire: notes et documents. Saint-Brieuc, Prudhomme, 2 vol. in-8o, 1894 et 1896 (Voir t. II, pp. 364 et suiv., et 434).

un habile conférencier de Saint-Brieuc faisait frissonner son public au récit des crimes abominables et de la fin tragique du fameux Charles Louis Le Roux dit Chef-du-Bois (1).

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Après avoir exposé les différentes versions de la légende de Chef-du-Bois, nous allons, comme nous l'avons promis, l'attaquer de toutes parts, pour la démolir aussi complètement que possible, puis, à l'aide de documents puisés aux meilleures sources, tâcher de faire une œuvre de restauration, en montrant ce que fut en réalité le féroce Le Roux dit Chef-du-Bois.

Et d'abord, fut-il vraiment, avant la Révolution, le pauvre hère sans aveu et sans ressources que l'on nous a représenté? Rien n'est moins vrai.

Le Roux de Chef-du-Bois, c'est ainsi que nous rencontrons fréquemment sa signature dans des pièces des Archives départementales (2), appartenait à une famille de robe, riche et peutêtre noble, de la petite ville de La Roche-Derrien. Peut-être noble, venons-nous de dire? En effet, plusieurs familles de ce

(1) Voici, à titre de curiosité, la lettre de convocation à cette conférence : Saint-Brieuc. Maison des Chapelains de Notre-Dame d'Espérance.

M.

Dimanche, 27 février (1898), à 4 h. 1/2 du soir, M. du Cleuziou veut bien nous faire une conférence sur « LA GUERRE DES PAYSANS BRETONS. » Persuadé qu'elle pourra vous intéresser, je viens, M., vous prier de nous faire l'honneur d'y assister. Veuillez, M., agréer mes salutations respectueuses et dévouées.

L. GUILLO-LOHAN, chanoine honoraire, Directeur de N.-D. d'Espérance.

NOTA: Cette lettre servira de carte d'entrée.

Deux jours après, le 2 mars, on lisait dans une feuille locale, l'Indépendance bretonne :

« Au cercle de N.-D. d'Espérance le sympathique secrétaire général de la Société d'Emulation a fait une conférence sur un sujet d'histoire locale : «LA GUERRE EN BRETAGNE A L'ÉPOQUE DE LA CHOUANNERIE. » M. du Cleuziou est un érudit. L'histoire de notre Bretagne n'a pas de secret pour lui. Aussi a-t-il vivement intéressé l'auditoire choisi et nombreux qui se pressait dans la grande salle du Cercle. >>

(2) Le nom est parfois écrit avec deux f. Cheff-du-Bois.

nom figurent à l'Armorial; mais les Chef-du-Bois sont tellement nombreux en Bretagne qu'il n'est pas facile de reconnaître s'il appartenait à l'une d'elles. On sait que Chef-du-Bois se traduit en langue bretonne, par Pen-an-coat ou Pen-an-hoat et par contraction Pen-hoat. Or, surtout dans la Cornouaille, les lieux nobles ou non, ainsi dénommés, sont si répandus qu'il ne serait pas aisé de les cataloguer (1).

Ce que nous pouvons affirmer toutefois, c'est que sa mère, une dame Rolland de Kerloury, était d'extraction noble (2). Voici, du reste, l'acte de naissance de Le Roux de Chef-du-Bois, tel que nous l'avons relevé sur les registres de l'état civil de La Roche-Derrien :

12 août 1744. Charles Louis, fils légitime de Me François LE ROUX et de demoiselle Marie ROLLAND, son épouse, naquit le onzième et fut baptisé le douzième jour d'aoùt mil sept cent quarante quatre sur les fonds de La Roche, par le soussigné recteur. Parrain et marraine ont été Messire Charles DU HALEGOËT, chevalier, seigneur dudit lieu, et Dame Louise Peronelle GESLIN, dame DUBOIS DE LA ROCHE qui signent.

(1) Ainsi, dans une paroisse très proche de La Roche-Derrien, à Hengoat, une déclaration des marguilliers, fournie à la réformation du duché de Penthièvre, le 14 avril 1690, y mentionne deux lieux nobles distincts portant le nom de Chef-du-Bois. L'un, Chef-du-Bois Coat-Glazran, est possédé en partie par Jean Le Caro, demeurant à Hengoat, et en partie par la dame du Rumen-Trolong. L'autre, Chef-du-Bois, appartient aux dames Ursulines de Tréguier (Arch, des Côtes-du-Nord).

D'après la Bio-Bibliographie bretonne, des familles nobles du nom de Chefdu-Bois habitaient, aux XV et XVI siècles, les paroisses de Pommerit-Jaudy et de La Roche-Derrien.

Les Archives départementales possèdent, en effet, une « assiette » faite le 23 mars 1415, par Roudrigo-Yanes, de La Roche-Derrien, pour l'un de ses fils. Elle concerne des biens sis en Pommerit-Jaudy, sous la juridiction de sieur Ollivier du Chieff du Bois (Voir ce nom, Série E).

(2) M. Pol Potier de Courcy mentionne ainsi cette famille dans son Nobiliaire et Armorial de Bretagne :

ROLLAND, sieur de Kerloury, paroisse de Plounez, de Kermarquer, paroisse Du Roscoat, paroisse de Plouha,

de Penvenan,

Coëtmen,

maec,

de Kerhuelvar,

De Saint-Jean,

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de

De Kerénez, de Kermainguy et de Runtannic, paroisse de Guivicomte de Chesnay-Pignolay, paroisse de Guipel. Ancienne extraction, réforme de 1668 et maintenu à l'intendance en 1704, réformation et montres de 1469 à 1513, paroisse de Ploubaznalec et Plounez, évêché de Saint-Brieuc.

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V. K

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Ont signé au registre: Louise Peronnelle GELIN dame Du Bois de la ROCHE MICHEL, Charles Maurice DU HALEGOËT, BOIS DE LA ROCHE MICHEL COATBOUC, Marianne JOUEN, KERNISANT-COHARS, Louis ROLLAND, CHEF DU BOIS LEROUX, Y. LE COZMEUR, recteur de La Roche-Derrien (1).

Charles-Louis Le Roux de Chef-du-Bois fut, croyons-nous, l'aîné d'une famille qui compta au moins trois autres enfants, un garçon, Pierre-Marie, né le 27 juin 1749 (2), et deux filles, dont nous n'avons pas retrouvé les actes de naissance, lesquelles épousèrent plus tard deux négociants de La Roche-Derrien, René Stéphan et Honoré-Bernard Le Corre.

De bonne heure Charles-Louis vint habiter Tréguier comme homme de loi et bientôt il y acheta une place de procureur devant la juridiction de cette ville (3). Il n'avait pas encore trente ans et habitait alors au bas du Martrait, paroisse de Saint-Sébastien-de-la-Rive. Quelques années après, le 12 mars 1775, il était pourvu « de l'office de procureur fiscal des juridictions des regaires, comté et prévôté de Tréguier, à lui octroyé par l'évêque Jean-Augustin de Frétat de Sarra (4). »

Quand éclata la Révolution, Le Roux de Chef-du-Bois et sa famille en acceptèrent les principes avec enthousiasme. En attendant la liquidation de son office de procureur fiscal, il continua à habiter Tréguier comme avocat ou homme de loi), Aucun des siens, d'ailleurs, ne paraît avoir eu à se plaindre du

(1) Un dernier nom est illisible. C'est probablement celui d'un homme de loi, car la signature est d'une main assurée, avec paraphe fort compliqué.

(2) Reg. de l'état civil de La Roche-Derrien. Aux tables décennales nous relevons le nom d'un Pierre Le Roux qui meurt à Pommerit-Jaudy, le 24 avril 1807.

(3) Pour la première fois, le 9 juillet 1773, nous le trouvons agissant « en qualité de procureur de fabrique et au nom du chapitre » pour des biens dépendant de la fabrique de l'église cathédrale (Arch. des Côtes-du-Nord, série G. Fonds de la fabrique de l'église cathédrale de Tréguier).

(4) Il fut installé, le 26 avril 1775, à l'audience ordinaire de la juridiction des regaires et, le 29 avril, à l'audience ordinaire de la juridiction de la prévôté (Id.). (5) Ainsi, le 30 mars 1790, le corps municipal de La Roche-Derrien, au sujet d'une usurpation de terrain communal, décide par un arrêté qu'« il prendra l'avis de trois anciens avocats: MM. Chef-du-Bois Le Roux, Duval-Lesandini (de Tréguier) et Rivoalan (de Lannion). »

nouvel ordre de choses établi. Son frère, Pierre-Marie, ne tarda pas, en effet, à devenir procureur de la commune de La Roche-Derrien. Le 26 janvier 1790, nous trouvons Stéphan, un de ses beaux-frères, présidant l'Assemblée électorale de cette commune, proclamé maire le même jour, et, pour accepter ces fonctions, démissionnant de son grade de colonel de la milice nationale, qui avait été réorganisée au mois de juillet 1789.

Dans les premières délibérations municipales, nous rencontrons la signature de son autre beau-frère, Le Corre; mais à la séance du Conseil général de la commune du 9 février 1790, il n'est plus désigné que comme « ancien délibérant. » Une question d'incompatibilité peut-être l'avait fait démissionner (1).

Tous les quatre faisaient naturellement partie de la Chambre littéraire de Tréguier, qui s'appela bientôt Bureau de Correspondance, puis Société des Amis de la Constitution, quand ses membres se furent affiliés à la Société mère de Paris (2).

Ce club, dès sa fondation, était entré en lutte ouverte avec

(1) Le Corre (Honoré-Bernard), lors de la réorganisation des administrations municipales, en l'an VI, devint agent national de La Roche-Derrien (Voir Reg. des dél. du Directoire du dép., séances du 19 brumaire et du 7 frimaire — 9 et 27 novembre 1797). Il figure aussi sur la liste des jurés dressée par le Directoire du dép. pour les mois de nivôse, pluviôse, ventôse an VI.

Dans la séance du corps municipal de La Roche-Derrien du 9 février 1790, Charles-Louis Le Roux et Stéphan furent députés à la fédération qui se tint à Pontivy, du 15 au 21 du même mois. Plus tard, Stéphan entra dans l'administration départementale, à son troisième renouvellement (et non à la première formation comme l'avance M. Le Maout, dans ses Annales armoricaines, p. 295). Il y siégea jusqu'au moment où la loi du 14 frimaire an II (4 décembre 1793) sur le mode du gouvernement provisoire et révolutionnaire vint désorganiser les administrations départementales, en supprimant les Conseils généraux, pour ne conserver en fonctions que les membres du Directoire. Ceux-ci ne pouvant suffire à l'expédition des affaires, durent, maintes fois, avec l'autorisation des représentants en mission, faire appel au concours de leurs anciens collègues des Conseils généraux. Stéphan, sollicité, dut refuser, à cause de sa qualité de membre du comité de surveillance de La Roche-Derrien (Dél. du Directoire du dép., 2 nivôse, 15 pluviôse, 5 ventôse et 14 messidor an II 22 décembre, 3, 23 février et 2 juillet 1794).

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(2) Tréguier, Saint-Brieuc, Guingamp, Brest, Quimper, Carhaix, Morlaix, Fougères, Rennes, Saint-Malo, Lorient et Pontivy furent les premières villes bretonnes qui s'affilièrent à la Société des Amis de la Constitution, plus tard Société des Jacobins (V. Moniteur, 7 mars 1791.-AULARD, La Soc. des Jacobins, t. I, p. LXXXI).

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