Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

L'humble maison de Mme Taupin devint le dépôt des communications secrètes du saint pasteur avec son troupeau, l'asile de tous les émigrés partant de France ou y revenant, le refuge des ecclésiastiques honorės du nom de réfractaires. Deux de ces infortunės, poursuivis comme criminels à cause de leurs vertus, se cachaient chez elle; ils sont dénoncés par un patriote de Guingamp, nommé Chef-du-Bois, un de ces niveleurs de bas étage qui ne demandent que du sang, que de l'or, pour être plus tard libres et riches à leur manière. Chef-du-Bois s'est épris d'une violente passion pour la femme Taupin qui a résisté à ses séductions et à ses menaces. Dédaigné dans ses vœux, le révolutionnaire a fait un effroyable calcul: il conduit lui-même un détachement de soldats et le citoyen vengeur du peuple, afin de vaincre les dédains de Mme Taupin (sic). Une fouille fait découvrir chez elle les deux prêtres... Les abbés Le Gall et Lageat sont condamnés à mort comme prêtres réfractaires et exécutés à Lannion...

Mme Taupin, qui doit être punie révolutionnairement à Tréguier, attachée sur un cheval au milieu du détachement, suit la guillotine couverte du sang des deux prêtres. Bientôt le funèbre cortège s'arrête à une modeste auberge tenue par le père de l'abbé Lageat... Il faut que le vieillard serve à boire au bourreau, à Chef-du-Bois et à ses satellites; il faut qu'il soit témoin de leur orgie...

... Un autre de ses fils devient fou à ce spectacle.

Dans cette seconde version, on le voit, rien ne manque, pas même l'intrigue amoureuse. C'est un drame passionnel.

Nous faisons grâce au lecteur des tableaux affreux, mais peu croyables qui suivent : Mme Taupin, sollicitée en route par ses bourreaux de jurer fidélité à la République, avec promesse d'être épargnée à ce prix; cette offre, renouvelée jusque sur l'échafaud, en présence de ses enfants, que des patriotes ont eu la cruauté de placer à une fenêtre pour assister au supplice de leur mère (1)... Nous n'insistons pas, car aucun de ces détails

(1) Les mêmes affirmations se rencontrent dans un ouvrage en langue bretonne, de M. A. Durand, curé de Tréguier: Ar feiz hag ar vro (Vannes, 1847, p. 263). M. l'abbé Tresvaux, dont l'Histoire de la persécution révolutionnaire en Bretagne a paru la même année, donne la plupart de ces détails, mais en restant moins affirmatif : « On dit que les agents du pouvoir révolutionnaire, sans doute pour l'éprouver (car nous ne pensons pas qu'ils eussent les moyens de faire révoquer la sentence de mort portée contre elle), lui parlèrent en ces termes Songez à vos enfants, jurez fidélité à la République et vous êtes sauvée... etc. » (Réimpression, II, 37).

ne se rapporte directement à Chef-du-Bois, quoique tous n'aient évidemment d'autre but que de le rendre aussi odieux que possible.

Il est aisé de reconnaître que M. Crétineau-Joly, dans la narration qu'il fait ensuite de l'assassinat, s'est visiblement inspiré du récit anonyme que nous avons reproduit en entier. Il n'a pu toutefois s'empêcher d'y glisser quelques traits de sa façon.

Ainsi l'auteur anonyme écrit :

La nuit était sombre. Chef-du-Bois dormait profondément sous les doubles rideaux de mousseline et de damas du lit somptueux dont il avait forcé le maître à s'exiler pour y venir occuper sa place...

Chez M. Crétineau nous trouvons cette variante :

Par une nuit obscure, Taupin pénétrait dans le château que Chef-duBois avait accordé à son amour de l'égalité. L'assassin (sic) dormait sur le lit d'une de ses dernières victimes, lorsque le bras d'un homme écarte violemment les rideaux de soie qui protègent son sommeil...

L'auteur anonyme écrit encore:

Taupin appuya la main sur la garde du poignard qui touchait la puitrine de Chef-du-Bois, et la lame s'y cacha tout entière. Le malheureux bondit dans son lit et parvint un instant à se dégager du bras qui l'étreignait, mais il retomba presque aussitôt sans vie.

M. Crétineau, concis comme Tacite, se contente de dire:

Au même instant, le révolutionnaire expirait sans convulsion, sans agonie. Taupin lui avait percé le cœur...

Un

autre écrivain royaliste, dramaturge à ses heures,

M. Muret (Théodore-César), dans son Histoire des guerres de l'Ouest (1), paraît s'être préoccupé surtout de combiner les deux

(1) Paris, Proux et Dentu, 1848, 5 vol. in-8° (Voir t. III, pp. 347 et suiv.).

premières versions de la légende, et non seulement il a su habilement réunir toutes les erreurs de ses devanciers, mais encore, ce qui aurait pu paraître impossible, il a trouvé le moyen d'en ajouter d'autres de son propre cru. On pourra s'en rendre compte par ce passage que nous donnons comme un simple échantillon du style coloré de l'auteur de Jacques le Chouan:

... Mme Taupin avait recueilli chez elle trois prêtres réfractaires... mais quelques mots inconsidérés d'une servante trahirent le secret. Dans ce pays, il y avait alors un de ces affreux agens de la Terreur, un Robespierre de bas étage. Cet homme s'appelait Le Roux Chef-duBois; il était accusateur public près le tribunal révolutionnaire. Ce scélérat avait déjà fait couler bien du sang. La femme de Taupin fut dénoncée, arrêtée; sa tête roula sur l'échafaud... De Lannion où elle fut condamnée, on la reconduisit à Tréguier pour y mourir. Chef-duBois présidait l'horrible voyage. D'atroces tortures morales furent infligées à la martyre. La promesse de sa grâce, la vue de ses enfants, qu'on plaça exprès sous ses yeux, ne purent lui arracher un cri de : Vive la République.

Une année se passa. Chef-du-Bois croyait n'avoir plus qu'à jouir du fruit de ses forfaits. La soif de l'or se joignait chez lui à celle du sang. S'il avait livré au niveau d'acier tant d'aristocrates, ce n'était pas seulement pour l'égalité révolutionnaire, c'était aussi, et plus encore, pour s'enrichir de leurs dépouilles.

Un soir d'été, l'accusateur public se dirigeait vers une jolie maison de campagne, située entre Tréguier et la Roche-d'Airien, et dont il allait prendre possession. Il venait d'en ramasser les titres de propriété dans le sang du maître, un ci-devant noble, auquel il avait fait, selon son expression, danser la carmagnole sur la place de Guingamp... Il se coucha dans le lit de l'homme qu'il avait fait périr; bientôt après, il dormit profondément. Tout à coup l'accusateur public est brusquement tiré de son sommeil et de ses rêves dorés...

Suit, entre les deux auteurs du drame, le dialogue haletant qui se termine par le coup de poignard fatal.

Justice était faite, s'écrie M. Muret, en guise de conclusion morale.

Signalons dans ce récit deux autres erreurs d'abord aucune servante ne se trouva mêlée à cette affaire. Ensuite Chef-duBois, qui ne fut jamais accusateur public auprès d'un tribunal quelconque, n'aurait pas même pu le devenir auprès du tribunal révolutionnaire des Côtes-du-Nord, puisqu'il n'en fut pas créé dans ce département.

Quelques années avant la publication de l'Histoire des guerres de l'Ouest, un savant breton, aussi modeste que consciencieux, M. Charles Le Maout, en fouillant les archives locales, avait essayé, mais sans beaucoup de succès, de faire un peu de lumière sur cette histoire mystérieuse.

Voici un fragment de son travail :

...

Le Roux avait acheté, comme domaine national, près La RocheDerrien, où il avait pris naissance, le château, ou plutôt l'habitation de Pen-an-Hoat, mot breton qui veut dire Tête-du-Bois, et qu'il crut devoir ajouter à son nom de famille. Cette propriété appartenait à la famille du comte de Retz, qui avait, en partie, émigré. Le Roux venait d'en prendre possession. Il s'y était rendu de La Roche-Derrien, assez tard, malgré les instances de sa sœur qui lui représentait Taupin et sa bande rôdant continuellement dans les environs et menaçant d'accomplir ses projets. Chef-du-Bois avait renvoyé son guide et s'était couché dans sa nouvelle demeure. Sa chambre était au premier étage. Pour y parvenir du rez-de-chaussée, il fallait passer trois portes, dont une à secret, au bas de l'escalier. Taupin avait gagné un domestique de Chef-du-Bois, qui lui facilita l'entrée de la maison, en le faisant passer par la fenêtre de la cuisine. Ce fut de là qu'il se rendit dans la chambre du nouveau propriétaire. Il le fit, paraît-il, assez doucement pour ne pas l'éveiller. Sitôt entré, il alla droit au lit... (1).

On devine la suite: Taupin, le justicier, dédaignant tout ce qui lui est offert pour réclamer invariablement sa femme, et Chef-du-Bois affolé poussant ce dernier cri de désespoir : « Ah! tu veux donc que je meure! »

(1) Ch. LE MAOUT: Annales armoricaines et histoire physique, civile et ecclésiastique du département des Côtes-du-Nord, Saint-Brieuc, Guyon frères, 1846, 1 vol. in-12 (Voir pp. 396 et suiv.).

Mais il ne faudrait pas tenter de deviner plus loin. Cette fois, le dénouement est un peu modifié et il n'y est plus du tout question de coup de poignard. Voyons plutôt :

... Ce furent, dit-on, les dernières paroles de cet affreux colloque qui n'eut que Dieu pour témoin. Taupin, armé du pistolet même de Chefdu-Bois, lâcha la détente et lui brûla la cervelle. Telle fut, assure-t-on, la fin de Le Roux Chef-du-Bois.

Les relations plus ou moins dramatiques de cet assassinat qui ont paru jusqu'à ce jour, et dans lesquelles on fait Chef-du-Bois mourir d'un coup de poignard, sont remplies d'inexactitudes. La seule chose que nous ne puissions expliquer dans celle-ci, c'est qu'on remarque, dans la cloison, en face de l'alcôve où il se passa, le trou d'une balle de pistolet.

Plus récemment, d'autres écrivains se sont occupés de la mort de Chef-du-Bois. MM. Geslin de Bourgogne et de Barthélémy, qui disent avoir eu entre les mains le dossier du procès de M Taupin, reproduisent néanmoins à ce sujet des détails apocryphes et même en grande partie erronés. Citons quelques lignes :

... Un an après (l'exécution de Mme Taupin), le malheureux qui avait dénoncé la femme chrétienne, venait de prendre possession de la belle terre de Pen-an-Coat qu'il avait achetée à vil prix...

Ils terminent ainsi la scène du crime :

- Pitié pour mes enfants, dit le lâche (Chef-du-Bois). Tu n'as eu pitié de ma femme ni de mes enfants. »

[ocr errors]

En prononçant ces paroles, Taupin lui cassa la tête d'un coup de pistolet; puis il leva une troupe de Chouans et il continua sa vengeance. Son nom est compté parmi ceux des chefs de bande les plus redoutés (1).

(1) Les Anciens Evêches de Bretagne, 1856-1869 (Voir t. II, pp. 417 et suiv.). - Etudes sur la Révolution en Bretagne, Paris: Dumoulin; Saint-Brieuc : Guyon, 1858, 1 vol. in-8° (Voir pp. 85 et suiv.).

Ce dernier ouvrage n'est qu'un extrait du précédent.

« ZurückWeiter »