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ou de chanvre, et sur les bords, des haies de rosiers aux nuances variées.

Les travailleurs retournent-ils au phalanstère, ils aperçoivent de loin un palais immense que l'architecture a élevé sur un plan grandiose, et que la sculpture a orné de toutes ses richesses. Ce palais, haut de deux étages, est terminé par une terrasse qui le parcourt tout entier; bordée d'une élégante balustrade qui se découpe dans le ciel, et sur laquelle à intervalles égaux se dressent, comme des fleurons, les statues des grands hommes, cette terrasse semble un diadème colossal placé au front de ce noble édifice. Cette masse énorme qui renferme dans son sein tant de mouvement et tant de vie, semble respirer et voir par les mille fenêtres de ses magnifiques façades; et la nuit, lorsque le gaz enflammé circule dans toutes les parties de cette splendide demeure, de longs regards étincelants se prolongent à travers l'espace, et vont se mêler à ceux des palais qui se correspondent de lieue en lieue. Quelle éblouissante illumination pour les harmoniens qui, attardés par le travail des champs, retournent au phalanstère! Si leur chemin les conduit au sommet d'une colline, quel magnifique spectacle les y attend! Un vaste horizon resplendissant de feux, se déroule sous leurs pieds, et la terre, dans l'ombre de la nuit, leur apparaît comme un ciel étoilé; ces palais ruisselants de lumière, qui, dans le lointain se serrent les uns sur les autres, ferment cet horizon d'un cercle lumineux. C'est le moment des fêtes : les cris de joie, les chants, le son des instruments de musique s'échappent dans les airs, mélés aux rayons de lumière; et de toute part converge vers nos travailleurs de la colline ce double éclat des fêtes du phalanstère. Un

sublime concert, une symphonie céleste s'élève de la terre; après avoir joui quelque temps de cette harmonie lointaine, si douce, si suave dans une belle nuit d'été, nos travailleurs se dirigent vers un de ces palais de feu et de mélodie, où les attend la plus délicieuse hospitalité.

Nous ne les y suivrons pas; notre faible pinceau ne pourrait donner qu'une esquisse trop imparfaite du palais sociétaire; car les salles de travail, les simples ateliers, seront plus resplendissants de magnificence que les salons du riche de nos jours.

Ainsi, au dehors, la belle nature qu'ont chantée les poëtes; au dedans, une richesse, une splendeur dont n'approchent pas les hôtels les plus luxueux, les palais les plus beaux qui ornent les capitales des empires.

C'est au milieu de cette éternelle féerie que les phalanges harmoniennes se déploieront dans une ordre dithyrambique, qu'elles exécuteront chaque jour leurs

savantes manoeuvres.

Combien je crains que, dans ces palais, dans ces jardins enchantés, les hommes ne restent froids et ennuyés comme ces héros des romans de chevalerie que les magiciens plaçaient pour des siècles dans des palais de porphyre ou de cristal.

Je conviens qu'un ordre de choses si nouveau, s'il était possible, présenterait, d'abord, un spectacle magique; qu'il serait salué de cris de joie, d'explosions d'enthousiasme. Mais ces grands mouvements de l'âme ne tarderaient pas à se ralentir, et à se changer en une complète indifférence.

Fourier, encadrant tous les actes, tous les mouvements de ses harmoniens dans des groupes qui alternent sans cesse entre le travail qui est du plaisir,

et des plaisirs qui seront probablement des joies délirantes, perd tout à fait de vue la nature humaine, et établit pour ses harmoniens un milieu de joies perpétuelles qui ne peuvent finir que par inspirer la lassitude et le dégoût. Quels sont les hommes les plus ennuyés du monde ? Les oisifs, pour qui aucun travail sérieux ne vient rompre la monotonie de plaisirs sur lesquels ils sont bientôt blasés. Il oublie aussi que l'enthousiasme ne peut être continuel. Les joies et les douleurs trop vives ne peuvent être de longue durée : l'homme n'est pas assez fort pour supporter longtemps ces mouvements convulsifs; l'enthousiasme prolongé se perd dans l'indifférence, comme les cruelles douleurs dans l'abattement. Il ne peut pas davantage éprouver un état de calme durable: il s'agite pour en sortir, il lui faut de loin en loin de vives émotions.

Economie des ressorts est un principe de l'école fouriériste. N'est-elle pas alors en flagrante contradiction avec elle-même, puisque l'art de conduire les hommes au travail serait une science des plus compliquées ? Avant de jouer un simphonie harmonienne, ce qui, en langage plus humain, veut dire avant de commencer la journée, il faudra que chaque groupe soit bien pondéré, bien équilibré; que l'ordre musical soit bien observé dans la distribution sériaire : il faudra que les séries et les groupes se meuvent dans des espaces disposés d'avance, au milieu de cultures échelonnées et engrenées selon de savantes combinaisons. C'est toute une science que devront étudier les directeurs des travaux; car le clavier humain qui comprend huit cent dix caractères ou tons, est bien plus étendu que celui de tout autre instrument de musique. Fourier n'est donc pas le Newton de la science sociale: il

en est tout au plus le Ptolémée, et on pourrait lui appliquer le mot de ce roi d'Arragon qui, se perdant au milieu des cristallins et des épicycles, s'écria que, s'il eût été appelé en conseil par le suprême géomètre, il lui eût conseillé de mettre plus de simplicité dans l'arrangement du monde, plus d'économie dans les

ressorts.

En voilà assez sur cette prétention de Fourier, de rendre le travail attrayant. Son application de la gamme passionnelle aux travaux manuels et en général à toutes les relations sociales, est la conception la plus bizarre qui jamais ait traversé un cerveau humain.

Souvent je me suis demandé si ce n'était pas à tort que je m'attachais à combattre de pareilles chimères, et s'il n'aurait pas été plus sage de les couvrir d'un silencieux dédain. Mais j'ai pensé que les erreurs d'un génie tel que Fourier et de ses savants disciples, valaient la peine d'être combattues. L'humanité devra à cette école célèbre sa régénération, la science économique de grandes vérités au milieu de grandes erreurs : car telle est pour notre infime nature la condition à laquelle est attachée la découverte de la vérité; c'est à la suite ou en compagnie de l'erreur qu'elle nous apparaît. C'est donc un travail utile et nécessaire que de l'en séparer. Il l'est d'autant plus, que le prestige d'une grande vérité, que son éclat va jusqu'à jeter les reflets d'une trompeuse lumière sur les erreurs qui forment son cortége. Ainsi, lorsqu'un sombre rideau d'épais nuages nous dérobe la vue du ciel, si un rayon de soleil vient à percer cette masse obscure, il la colore au loin de teintes lumineuses.

Cette idée du travail attrayant n'est pas nouvelle ; un philosophe du milieu du dix-huitième siècle,

Morelly, en a parlé dans sa Basiliade et dans son Code de la nature, et il n'a pas eu besoin pour cela de la gamme passionnelle.

Entendons-nous une fois pour toutes sur cette épithète d'attrayant, étonnée de se voir accolée au mot travail.

Il y a évidemment ici un abus de mots. Qu'on dise que le travail peut être rendu beaucoup moins ennuyeux et moins rebutant qu'il ne l'est aujourd'hui, nous concevons cela, et c'est ce qui va faire le sujet de la section suivante; mais nous n'admettons pas que le travail puisse être attrayant par lui-même : nous entendons parler des travaux manuels obligés (a).

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151. Après avoir vu s'évanouir les discords, les accords, les intrigues et l'enthousiasme continuel qui devaient rendre le travail attrayant, revenons tout simplement à ce qui est; considérons le travail dans sa propre nature, c'est-à-dire comme un effort plus ou moins pénible, rude, rebutant ou ennuyeux, et qui est imposé à l'homme par la force des choses.

Mais, aussi, empressons-nous d'adopter tous les moyens de le dépouiller le plus possible de ses conditions mauvaises, et reconnaissons que l'école fourié

(a) Je ne parle pas ici de ces travaux mécaniques auxquels on se livre spontanément par suite d'un goût particulier, mais sans aucune vue d'intérêt ; car cette circonstance leur donnerait aussitôt un caractère de nécessité qui en ferait disparaître tout l'attrait.

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