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rité de la raison est plus forte que l'autorité d'un grand homme. N'oublions jamais que les juges ont fait chez nous un corps, un pouvoir à part; et comment nous en sommesnous trouvés? Je voudrais donc que l'on substituât partout dans cet acte les fonctions judiciaires au pouvoir judiciaire, et que l'on mît tous les magistrats au lieu des juges dans l'avantdernier de tous les articles qui, d'ailleurs, est d'une noblesse, d'une gravité, d'une simplicité bien digne de législateurs et de sages1. L'omission d'un article sur les conventions nationales? a frappé tous les lecteurs; mais j'entends dire que les comités eux-mêmes se proposent de présenter leurs vues à l'Assemblée nationale sur cette matière.

Voici une autre omission importante. Un article est ainsi

conçu :

« Les colonies et possessions françaises dans l'Asie, l'Afrique et l'Amérique ne sont pas comprises dans la présente constitution3. >>>

Il me semble impossible que l'Assemblée nationale laisse passer cet article tel qu'il lui est présenté par les deux comises Réflexions sur les constitutions (Paris, 1814), Benjamin Constant, confusion plus grande encore, comptera quatre pouvoirs, dits constitutionnels le pouvoir royal, le pouvoir exécutif, le pouvoir représentatif et le pouvoir judiciaire.

1 Avant-dernier paragraphe du titre VI: « L'Assemblée nationale constituante en remet le dépôt (de la constitution) à la fidélité du Corps législatif, du roi et des juges, à la vigilance des pères de famille, aux épouses et aux mères, à l'affection des jeunes citoyens, au courage de tous les Français. >>

2 Chénier entend par là les assemblées de révision. L'Assemblée nationale commença à s'en occuper dans la séance du 29 août. C'est Chapelier qui porta la parole comme rapporteur des comités de constitution et de révision. Enfin, au milieu du titre VI, on intercala un titre VII, intitulé De la révision des décrets constitutionnels. Le terme de convention nationale qu'emploie André Chénier est emprunté à la langue anglaise; il désignait un corps de représentants de la nation, revêtus extraordinairement de tous ses pouvoirs, pour revoir, confirmer, modifier ou même changer la constitution. Voyez le discours de Pétion, dans la séance du 30 août 1791.

3 C'est le paragraphe qui suit l'article 8 du titre VII.

tés. Elle veut sans doute, et le bon sens et la raison veulent

que les Français qui habitent des pays si éloignés soient juges de ce qui convient le mieux à leur organisation intérieure et à leurs relations locales; mais elle ne peut pas vouloir renoncer aux conquêtes qu'elle a faites, au nom de la justice et de l'humanité, sur l'intérêt et l'avarice : c'est ce qu'elle aurait l'air de faire, si elle n'ajoutait ici aucune explication, aucun éclaircissement.

Ceux des colons qui n'approuvent pas les mesures qu'elle a prises ne manqueraient pas de voir dans son silence une espèce de rétractation: c'est ce qu'elle doit prévenir. Cela est absolument sans danger, puisqu'elle n'a qu'à répéter ce qu'elle a dit, ce qu'elle a fait plusieurs fois, et surtout lors du dernier décret sur cette matière1, dans lequel elle améliora le sort des gens de couleur, et prit des mesures d'après lesquelles il est permis aux gens de bien d'entrevoir le jour où ces riches et malheureuses contrées n'auront plus à rougir de tant d'outrages à la nature humaine. On ne fait pas évanouir les difficultés en les dissimulant. Il n'est pas digne des législateurs d'une nation libre de s'échapper par des subterfuges, et d'être contents s'ils peuvent soulager leurs épaules d'un pesant fardeau, en le glissant sur les épaules de leurs succes

seurs.

Quelques personnes se plaignent qu'on n'ait point parlé de constitution civile du clergé. Il est fâcheux que l'on puisse croire, ou feindre de croire, que les cultes et les religions peuvent être des objets constitutionnels. Plût au ciel que tous les comités de l'Assemblée nationale s'en fussent aussi peu occupés que les deux comités de constitution et de révision?!

1 Décret du 15 mai 1791, qui assure aux hommes de couleur, nés de pères et de mères libres, l'exercice de leurs droits politiques.

2 C'est le comité ecclésiastique qui avait rédigé le décret sur la constitution civile du clergé, auquel on avait successivement ajouté des articles additionnels. Les comités d'aliénation, des rapports et des recherches s'étaient encore occupés de cette question.

Ainsi les législateurs, au terme de leurs travaux, après avoir détruit et édifié, vont déposer le plus grand pouvoir que jamais des hommes aient exercé légitimement.

Ainsi la nation, par de nouveaux choix, va montrer si elle est digne et capable de la liberté.

Ainsi, après deux années de fatigues et d'inquiétudes1, la loi va parler, pour ne plus se taire jamais!

ANDRÉ CHÉNIER.

Ce dimanche 7 août 1791.

ANDRÉ CHÉNIER AU MONITEUR

SUR LE CHOIX DES DÉPUTÉS A LA PROCHAINE LÉGISLATURE 2

J'ai lu, monsieur, dans plus d'une feuille publique, des réflexions et des conseils sur le choix des personnes qu'il est utile d'élever à la dignité de membres du Corps législatif, et sur les qualités qui doivent fixer les yeux des électeurs. Cette matière est aussi étendue que l'intérêt qu'elle inspire est puissant et universel.

Plusieurs, se jugeant dignes et capables d'obtenir cet hon

1 L'Assemblée nationale constituante termina ses travaux le 30 septembre 1791, et céda la place à l'Assemblée législative, qui siégea le 1er octobre.

2 Cet article fut publié dans le Moniteur du 4 septembre 1791. L'assemblée électorale de Paris était réunie depuis le 25 août. Après avoir employé les premiers jours à s'organiser, elle allait procéder à l'élection successive des députés à l'Assemblée législative. On peut lire, en regard de cette lettre d'André Chénier, un article, inséré dans le n° 112 des Révolutions de Paris. Les quelques réflexions insérées dans l'Ami des patriotes, du 3 septembre, sont, on le pense, plus conformes aux idées que développe André Chénier.

neur, ne demandent à un représentant de la nation que les passions qu'ils sentent en eux-mêmes. Il nous promettent le portrait d'un député, et ils ne nous donnent que le leur.

D'autres, sûrs de leurs talents et de leurs forces, ressemblent aux fondateurs du christianisme, qui ne cherchaient dans leurs adeptes que foi et qu'abnégation de soi-même. Ils ne veulent, eux, asseoir parmi les législateurs, que ces hommes bons et ardents, sans jugement et sans critique, à qui ces mots de patriotisme et de liberté n'inspirent que des contorsions, sans leur laisser aucune idée claire ; sur qui des cris et le son de quelques syllabes sont tout-puissants, et qu'on entraîne sans avoir besoin de les convaincre.

Une haine violente contre la cour, contre l'ancien régime, contre tous les ci-devant privilégiés1, ne me semble pas suffire dans un représentant du peuple. J'exigerais davantage. C'est d'abord une chose qu'il est très-aisé de feindre ; c'est un voile sous lequel on peut facilement couvrir des inimitiés et des vengeances particulières; et, en outre, on peut, je crois, raisonnablement douter que ceux qui se sont le plus répandus en invectives contre les tyrans féodaux de la France, après leur destruction ; qui ont applaudi aux rigueurs illégales, aux outrages, aux meurtres dont quelques insensés ont été les victimes, et qui ont encouragé la partie peu éclairée du peuple à user de représailles, soient en effet ceux qui ont le mieux senti l'inestimable bienfait de l'égalité, sans laquelle il n'est point de justice.

Le législateur ne doit être passionné que pour les lois et pour la justice; il ne doit s'abandonner qu'à la raison. J'ai toujours peur que ces hommes qui ont besoin de tant d'efforts pour s'élancer, ne sachent que courir, et ne puissent pas mar

1 C'est, en général, le point de vue auquel se placent les journaux avancés; c'est celui où se met le rédacteur de l'article que nous avons cité des Révolutions de Paris.

cher longtemps d'un pas égal et ferme. Je me défie du courage qui naît de l'ivresse.

Le législateur ne doit pas embrasser un, deux, trois principes il faut qu'il les sente, qu'il les connaisse, qu'il les embrasse tous; il faut qu'il mesure les limites précises de tous, puisque c'est à lui de nous les indiquer, puisque c'est lui que nous chargeons de montrer sans cesse à tous les citoyens, par ses discours, par ses exemples, à quel point fixe la volonté individuelle doit s'arrêter et se prosterner devant la loi.

Chacun dit: Les représentants du peuple doivent être indépendants; mais je les veux entièrement indépendants, c'està-dire non-seulement des grâces et des corruptions de la cour, mais de toute espèce d'influence qui ne serait pas celle de la justice et de la raison

La flatterie sera toujours agenouillée devant le pouvoir suprême. Ce pouvoir suprême, où est-il maintenant? Est-il encore dans les mains de la cour? Le peuple nomme ses juges, tous ses magistrats, ses représentants. C'est son suffrage qui dispense les honneurs, le pouvoir, la renommée, la gloire.

La cour dispose de quelques emplois auxquels on parvient par d'autres chemins, ou bien ceux dont elle est seule maîtresse peuvent lui être arrachés, comme de force, par de longs et éclatants succès dans des places populaires. La cour a, de plus, de l'argent, et trop peut-être. Mais cet infâme genre de séduction ne peut tenter que les âmes les plus viles; au lieu que les récompenses qui sont dans les mains du peuple, retraçant toujours des idées de gloire, d'utilité, de reconnaissance publique, flattent et irritent un orgueil qui, de sa nature, est conforme à l'honnêteté, et semble toujours annoncer de l'élévation dans l'âme. Ainsi, dans un Etat libre, avec un roi, les flatteurs de la cour seront toujours des hommes abjects et au-dessous du médiocre; au lieu que les flatteurs

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