FABLE V. Comme l'indique Robert, le sujet de cette fable a pu être suggéré à la Fontaine par la xviie épigramme du livre V de Martial : Dum proavos atavosque refers, et nomina magna, Dum tibi noster eques sordida conditio est, — D'Olivet, dans l'Histoire de l'Académie, cite (tome II, p. 141, note 1, édition de M. Livet), sur le même sujet, ces jolis vers de Conrart, qui n'avaient pas été publiés, mais que notre poëte a pu connaître : Au-dessous de vingt ans, la fille, en priant Dieu, Dit : « Donne-moi, Seigneur, un mari de bon lieu, A vingt-cinq ans : « Seigneur, un qui soit supportable, « Un tel qu'il te plaira, Seigneur, je m'en contente. » Cette fable a été mise en chanson, comme la précédente, par Coulanges, sous ce titre : la Fille (p. 65 et 66); voyez la fin de la notice de la fable Iv. Le Noble fait précéder son conte LXVIII, intitulé du Pêcheur et du petit Poisson (tome II, p. 80 et 81), de quelques conseils aux filles qui rappellent le sujet ici traité. Nodier, dans ses notes, fait remarquer la parfaite symétrie qui existe entre les fables iv et v, dans la conclusion comme dans les détails de la composition: voyez plus haut, p. 110 et 113, les notes 1 et 10 de la fable Iv, et ci-après, les notes 2, 6 et 15 de celle-ci. Saint-Marc Girardin (xvre leçon, tome II, p. 87) fait cette réflexion, qui s'adresse aux deux sexes : « Eh! dira-t-on, si les filles sont sages de ne pas trop attendre pour se marier, pourquoi les hommes souvent attendent-ils tant? Ou pourquoi, quand ils se sont pressés de se marier, comme avait fait la Fontaine, ontils l'air de s'en repentir pendant toute leur vie, comme la Fontaine encore? Est-ce par hasard qu'il y a moins de chances pour les hommes que pour les femmes d'être bien mariés? Je ne sais; mais 1. Mot de sens douteux, paraissant désigner un prêtre de bas étage. la Fontaine ne néglige aucune occasion d'attaquer le mariage. La femme, fille ou veuve, a bien des travers; après tout cependant, la Fontaine leur est volontiers indulgent. Mais pour la femme mariée, il est impitoyable. Le mariage a l'air d'aggraver à l'instant pour lui tous les défauts de la femme. » Certaine Fille, un peu trop fière, Jeune, bien fait et beau, d'agréable manière, Point froid et point jaloux: notez ces deux points-ci. Cette Fille vouloit aussi Qu'il eût du bien, de la naissance, De l'esprit, enfin tout. Mais qui peut tout avoir? Il vint des partis d'importance. La belle les trouva trop chétifs de moitié : « 5 10 Quoi ? moi ! quoi? ces gens-là! l'on radote, je pense. A moi les proposer! hélas! ils font pitié : Voyez un peu la belle espèce3 ! L'un n'avoit en l'esprit nulle délicatesse; C'étoit tout, car les précieuses Font dessus tout les dédaigneuses". Après les bons partis, les médiocres gens Vinrent se mettre sur les rangs". Elle de se moquer. « Ah! vraiment je suis bonne 15 20 2. C'est le même mouvement que dans la fable iv; la Fille ajoute: L'on radote, je pense, comme le Héron: Et pour qui me prend-on ? 3. Voyez, p. 97, la fable 1 de ce livre VII, vers 36. I 4. M. A. Darmesteter (Revue critique du 9 mars 1878, p. 163) veut que dessus signifie ici « par-dessus ». Le sens de sur, « sur tout, sur toutes choses,» nous paraît commandé par ce qui précède: « C'étoit ceci, c'étoit cela; C'étoit tout ». 5. Comparez la scène iv des Précieuses ridicules de Molière (1659). 6. Rapprochez ces vers des vers 12-14 de la fable iv. De leur ouvrir la porte! Ils pensent que je suis 25 Sans chagrin, quoique en solitude". » La belle se sut gré de tous ces sentiments; L'âge la fit déchoir: adieu tous les amants. Un an se passe, et deux, avec inquiétude ; Le chagrin vient ensuite; elle sent chaque jour Déloger quelques Ris', quelques Jeux, puis l'Amour 10; Puis ses traits choquer et déplaire; Puis cent sortes de fards. Ses soins ne purent faire 7. « Pourquoi donc le dit-elle ? Pourquoi y pense-t-elle ? La Fontaine nous le dit plus bas (vers 40): Le desir peut loger chez une précieuse. Quelle finesse dans cette peinture du cœur! » (CHAMFORT.) — Dans un passage de Corneille, corrigé, il est vrai, plus tard, la suivante Amarante, se désolant de rester fille, dit tout crûment: Qu'au misérable état où je me vois réduite, (La Suivante, acte V, scène Ix, variante des premières éditions, des vers 1689 et 1690, tome II des OEuvres, p. 213 et note 5.) 8. Ses sentiments. (1688, 1708.)- 9. Quelque Ris. (1688, 1729.) 10. Solvet cite ici, à propos, ces vers de la comédie de Clymène où notre poëte a exprimé la même pensée avec tant de grâce : Vous n'aurez pas toujours Ce qui vous rend si fière et si fort redoutée : Charon vous passera sans passer les Amours; (Édition de M. Marty-Laveaux", tome IV, p. 139.) Nodier, nous l'avons dit plus haut, p. 75, rapproche de cette image de la fuite, du déclin, l'élégante peinture du retour de la jeunesse et de l'espoir, dans la Jeune Veuve (livre VI, fable xx1, vers 40–42): Toute la bande des Amours Revient au colombier; les Jeux, les Ris, la danse a Où nous corrigeons, au troisième vers, nous en vous, leçon de l'original de 1671. Qu'elle échappât au temps, cet insigne larron". Se peuvent réparer : que n'est cet avantage Sa préciosité 13 changea lors de langage". 35 11. Horace (livre II, épître 1, vers 55 et 56) développe ainsi l'idée contenue dans ce nom : Singula de nobis anni prædantur euntes : Eripuere jocos, venerem, convivia, ludum. 13. Racine dira dans Athalie (1691, acte II, scène v, vers 494-496): Même elle avoit encor cet éclat emprunté Dont elle eut soin de peindre et d'orner son visage, - Chez la Bruyère, nous trouvons, comme ici, le mot de ruine : « Il a le visage décharné, le teint verdâtre, et qui menace ruine. » (De l'Homme, tome II, p. 59, § 124.) — Ce passage de Psyché (livre II, tome III, p. 125, de l'édition de M. Marty-Laveaux) rappelle également l'image d'un monument délabré: « Cette puînée étant de deux ans plus jeune,... le rétablissement de ses charmes n'étoit pas une affaire de si longue haleine.... L'autre (l'ainée des sœurs) avoit des réparations à faire de tous les côtés. » Figure analogue aussi chez Saint-Simon, qui dit de Mme de Montauban : << Avec du noir, du blanc, du rouge et je ne sais combien d'autres soutiens de décrépitude. » (Addition à Dangeau, tome X, p. 145.) 13. Chamfort croit que preciosité pourrait bien être de l'invention de la Fontaine. C'est une erreur : « Ce mot, dit Boissonade dans une lettre insérée au Mercure du 30 messidor an V, et citée par Solvet, n'était alors ni tout à fait nouveau, ni de l'invention de la Fontaine.... Il se trouvait dans la seconde partie des Observations de Ménage sur la langue françoise, volume publié dès 1676...; même il y est employé trois à quatre fois, à l'égard du P. Bouhours, pour lui reprocher son purisme affecté voyez les pages 210, 448 et 458.... » Mme de Sévigné en avait fait un joli emploi dans une lettre du 21 octobre 1671 (tome II, p. 393). Il ne semble pas, du reste, qu'il faille voir ici, avec Aimé-Martin et Geruzez, un « titre comique que la Fontaine donne à une précieuse, comme on donne aux princes ceux de Son Altesse, Sa Grandeur; » l'expression peut bien naturellement s'entendre ainsi : son humeur jusque-là si dédaigneuse changea lors de langage. 14. Tout le rôle d'Armande, dans les Femmes savantes, est comme Son miroir lui disoit : « Prenez vite un mari. » Je ne sais quel desir le lui disoit aussi : 40 un développement de ce vers voyez particulièrement la scène n du IVe acte. 15. Ici encore, il y a bien, comme nous écririons nous-mêmes, deux fois tout, et non toute, dans les éditions originales. 16. Ce mot se trouve au vers 373 de la satire x de Regnier, et antérieurement, au moins deux fois, dans Rabelais : au chapitre xxv de Gargantua, tome I, p. 98, et au livre V de Pantagruel, chapitre XII, tome III, p. 50. Littré traduit ici malotru par « personne maussade et mal bâtie, » et cite plusieurs exemples du sens ancien d'« incommodé en sa personne, chétif, infirme, » sens que lui donne encore, en 1676, Mme de Sévigné (tome IV, p. 536); il dit, en outre, qu'il y avait deux vieilles formes, l'une française, malestrut (du latin male instructus), l'autre provençale, mal astrug (de male et astrum), et qu'elles se sont confondues dans l'acception actuelle de malotru. Cette fin a déjà été comparée plus haut (p. 113, note 10) à celle de la fable précédente. Solvet en rapproche cette phrase de Psyché (livre I, tome III, p. 31): « Je ne veux pas dire que cette belle.... fût de l'humeur de beaucoup de filles, qui aiment mieux avoir un méchant mari que de n'en avoir point du tout. » |