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Je vous sacrifierai cent moutons : c'est beaucoup
Pour un habitant du Parnasse ;
Cependant faites-moi la grâce

De prendre en don ce peu d'encens;
Prenez en gré9 mes vœux ardents,

Et le récit en vers qu'ici je vous dédie.

Son sujet vous convient, je n'en dirai pas plus:
Sur les éloges que l'envie

Doit avouer qui vous sont dus 10

Vous ne voulez pas qu'on appuie.

Dans Athène autrefois, peuple" vain et léger,
Un Orateur12, voyant sa patrie en danger,
Courut à la tribune ; et d'un art tyrannique 13,

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8. Comme à un dieu. C'est ce que Virgile, dans une plus sérieuse apothéose, disait indirectement à Octave (1o églogue, vers 7-8):

....

Erit ille mihi semper deus, illius aram
Sæpe tener nostris ab ovilibus imbuet agnus.

9. « Prendre en don, prenez en gré, » répétition que Nodier reprend comme une négligence, mais qui pourrait bien être faite à dessein et qui, en tout cas, n'a rien, ce semble, qui choque, dans cet envoi familier.

10. Même tour que plus haut, livre VII, fable 11, vers 44 : voyez la note 11 de la page 105.

11. Syllepse à noter : la ville confondue avec le peuple qui l'habite. 12. L'anecdote grecque racontée ici par la Fontaine nomme Démade, orateur contemporain de Démosthène; mais la Fontaine l'a sans doute prise, non dans une des sources grecques où est ce nom propre, mais dans le prologue d'Abstemius, où il n'est aussi parlé que d'un orateur athénien quelconque.

13. L'abbé Guillon, à propos de cette expression, rappelle que << l'antiquité avait peint l'éloquence sous l'emblème de la force ellemême, d'un Hercule jeune, plein de vigueur, tenant à la bouche un double rang de chaînes qui tombent et embrassent un grand nombre d'hommes accourus pour l'entendre. » C'est un souvenir, mais fort inexact, d'un passage de Lucien, bien connu (Præfatio, Hercules, SS 1-4), où il est dit que, chez les Gaulois, non dans l'anti

Voulant forcer les cœurs dans une république,
Il parla fortement sur le commun salut.
On ne l'écoutoit pas. L'Orateur recourut

A ces figures violentes

Qui savent exciter les âmes les plus lentes :
Il fit parler les morts, tonna, dit ce qu'il put.
Le vent emporta tout, personne ne s'émut;
L'animal aux têtes frivoles 14,

Étant fait à ces traits, ne daignoit l'écouter;
Tous regardoient ailleurs; il en vit s'arrêter
A des combats d'enfants, et point à ses paroles.
Que fit le harangueur? Il prit un autre tour.
« Cérès, commença-t-il, faisoit voyage un jour15
Avec l'Anguille et l'Hirondelle;

Un fleuve les arrête; et l'Anguille en nageant,

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quité grecque ou latine, comme le donne à entendre l'annotateur, ce n'est pas Mercure, mais Hercule qui représente l'éloquence, non pas un Hercule jeune et vigoureux, mais un Hercule très-vieux, de la bouche duquel, ou plutôt d'un trou percé dans sa langue, sortent des chaînes qui traînent une multitude d'hommes attachés par les oreilles, non tyrannisés, mais tout joyeux d'être conduits. La Fontaine lui-même est plus exact dans ce joli passage : « (Jules César) a même plaidé des causes. Cela ne lui étoit pas plus séant qu'à notre Hercule gaulois de se servir du discours aussi bien que d'une massue. On le peint avec des chaînes qui lui sortent de la bouche, comme s'il eût entraîné les hommes par ses paroles. C'est un équipage qui m'a étonné plus d'une fois.... Je ne me serois jamais avisé de proposer (lisez : « préposer »?) à l'éloquence un dieu comme Hercule, et encore moins un gaulois. » (Comparaison d'Alexandre, de César et de Monsieur le Prince, tome III de M. MartyLaveaux, p. 252.)

14. Bellua multorum es capitum, dit Horace, s'adressant au peuple romain, livre I, épître 1, vers 76; et Gabriel Naudé : « Beste à plusieurs testes, vagabonde, errante, folle, estourdie, sans conduite, sans esprit ny jugement. » (Considérations politiques sur les coups d'Estat, chapitre Iv, p. 152, Rome, 1639.)

15. Tour, du vers 48, est répété ici dans les deux textes de 1678: faute évidente, corrigée dans les éditions suivantes.

Comme l'Hirondelle en volant,

Le traversa bientôt. » L'assemblée à l'instant

Cria tout d'une voix : « Et Cérès, que fit-elle?
Ce qu'elle fit? Un prompt courroux

L'anima d'abord contre vous.

Quoi? de contes d'enfants son peuple 16 s'embarrasse! Et du péril qui le menace

Lui seul entre les Grecs il néglige l'effet!

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Que ne demandez-vous ce que Philippe 17 fait 18? »

A ce reproche l'assemblée,

Par l'apologue réveillée,

Se donne entière à l'Orateur 19:

Un trait de fable en eut l'honneur.

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Nous sommes tous d'Athène en ce point 20; et moi-même, Au moment que je fais cette moralité,

16. Athènes était surtout la ville de Pallas; mais Cérès était particulièrement adorée à Éleusis, ville de l'Attique; et la Fontaine lisait dans Abstemius: Vobis.... dea nostra succensuit.

17. Au lieu de Démade, gagné par Philippe, la Fontaine fait donc parler, sinon Démosthène lui-même, du moins l'un des orateurs du parti opposé au roi de Macédoine.

18. Tout ce mouvement de l'orateur est indiqué dans le récit grec traduit par Abstemius; mais le dernier trait, si naturellement amené, appartient à la Fontaine; on y peut voir une réminiscence, une ingénieuse imitation d'un passage célèbre de la In Philippique de Démosthène, que Fénelon a traduit ainsi (Lettre sur les occupations de l'Académie françoise, Iv, tome XXI, p. 170171): « Chacun ira-t-il encore çà et là dans la place publique, faisant cette question : « N'y a-t-il aucune nouvelle ? » Eh! que peut-il y avoir de plus nouveau que de voir un homme de Macédoine qui dompte les Athéniens et qui gouverne toute la Grèce? » 19. Comparez le vers 55 de la fable xvIII du livre VII:

Quand pourront les François

Se donner comme vous entiers à ces emplois ?

et voyez ci-dessus, la note 19 de la page 202.

20. «Transition, comme dit Chamfort, très-heureuse. »

Si Peau d'âne m'étoit conté",

J'y prendrois un plaisir extrême.

Le monde est vieux, dit-on : je le crois; cependant
Il le faut amuser encor comme un enfant ".

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21. Quoi qu'ait prétendu l'abbé Guillon, la Fontaine ne fait point allusion à la dernière et très-insignifiante nouvelle de Bonaventure des Périers, n'ayant de commun que le nom propre de Peau d'asne avec le vieux conte, si connu sous ce titre, que Louison, dans le Malade imaginaire (1673, acte II, scène vII), offre de dire à son père « pour le désennuyer. » C'est bien de celui-ci qu'il s'agit ici. Perrault le fit paraître, et non en prose, mais en vers, en 1694 seulement voyez la Dissertation de Walckenaer sur les Contes de fées attribués à Perrault, § 1, p. 108-111 (à la suite de ces contes, Paris, 1861), et l'édition des mêmes de M. André Lefèvre, p. LIX-LXII.

22. A partir d'ici, nous pouvons, grâce à une obligeante communication de M. le marquis de Queux de Saint-Hilaire, qui possède une sténographie du cours de Saint-Marc Girardin sur la Fontaine et les fabulistes, comparer les leçons faites de vive voix avec les deux volumes imprimés. Il y a de l'intérêt à voir comment, la plume à la main, et surtout pourquoi, pour quels motifs, qu'on sent et devine presque toujours, le spirituel professeur, préparant l'impression, change, abrége, élague. Ces motifs étant en général fort bons, la comparaison nous fournira peu d'utiles additions pour notre commentaire. Nous pensons toutefois qu'on nous saura gré des quelques rapprochements que nous croirons devoir faire çà et là. En voici un, comme premier exemple, qui se rapporte à cette fable et à la xr° leçon du cours imprimé, tome I, p. 388: << La Fontaine croit que la fable a un grand pouvoir dans le monde. En cela je suis de son avis: il y a dans la fable quelque chose de plus retentissant et de plus général que je ne l'aurais cru au premier abord. J'ai cru jusques ici que la fable n'était faite que pour les loisirs du cabinet. Je vois qu'elle a aussi un accent populaire, un accent qui se fait entendre de tout le monde. » C'est bien dit, et la fin est juste, mais l'ensemble ne l'est pas, et cela explique la suppression: il fallait faire une distinction, nécessaire aussi pour d'autres genres, entre le temps où les fables sont devenues œuvres de lettré et du « cabinet, » et celui où elles furent, comme nous le voyons en Orient, en Grèce, comme elles l'ont été partout sans doute au début, œuvre et chose populaire.

FABLE V.

L'HOMME ET LA PUCE.

Ésope, fab. 62, Ψύλλα, Ψύλλα καὶ Ἀθλητής (Coray, p. 38, p. 313). Haudent, 2o partie, fab. 47, d'une aultre Pulce. — G. Cognatus, fab. 56, de Morso a Pulice.

Mythologia sopica Neveleti, p. 141.

Balzac, dans ses Entretiens (Paris, 1657, in-4o, p. 322-323), raconte une anecdote qui a quelque analogie avec cette fable: « Il ne faut qu'un petit mal pour gâter une infinité de biens, et la délicatesse des princes estime grands les plus petits maux. N'avezvous point ouï parler de ce moucheron qui entra dans l'œil du roi Jacques d'Angleterre 1, un jour qu'il étoit à la chasse ? Aussitôt l'impatience prit le roi : il descendit de cheval en jurant, ce qui lui étoit assez ordinaire; il s'appela malheureux, il appela insolent le moucheron, et, lui adressant sa parole : « Méchant animal, lui << dit-il, n'as-tu pas assez de trois grands royaumes que je te laisse « pour te promener, sans qu'il faille que tu te viennes loger dans « mes yeux ? » Ne pensez pas que la colère du roi fût artificielle et qu'il eût seulement dessein de dire un bon mot. Il étoit véritablement en colère lorsqu'il parloit de la sorte. Mais il y a des colères qui sont éloquentes, il y a des passions qui ont de l'esprit, et celle du roi Jacques étoit de celles-là. »

Saint-Marc Girardin, dans sa XXIII° leçon (tome II, p. 265266), après avoir cité quelques vers de la fable de la Motte intitulée la Magicienne, les rapproche de notre fable, et trouve qu'il y a chez la Motte « un peu trop d'apparat et de fracas, quoique cet apparat soit destiné à produire un contraste. La Fontaine produit le même contraste d'une manière plus simple, plus naturelle et par conséquent plus piquante. » L'abbé Guillon, qui parfois pousse l'enthousiasme jusqu'à la naïveté, est fort dédaigneux pour l'apologue de l'Homme et la Puce, qui ne lui paraît « guère

1. Jacques I, fils de Marie Stuart, roi d'Angleterre de 1603 à 1625.

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