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FABLE IX.

LE RAT ET L'huître.

Cette fable parut, pour la première fois, dans le recueil intitulé Fables nouvelles et autres poésies de M. de la Fontaine, 1671.

Robert indique, avec raison, avant toute autre source, une épigramme de l'Anthologie grecque, mise sous le nom d'Antiphile (Anthologie palatine, chapitre 1x, n° 86; dans la Bibliothèque Didot, tome II, p. 17). En voici la traduction : « Toujours furetant, s'accommodant de tout, mais friand de bons morceaux, un Rat aperçut une Huître, épanouie dans sa maison entr'ouverte; il effleura de ses dents la frange humide de cette chair trompeuse; aussitôt les écailles avec bruit se referment; la douleur les resserre: le Rat est pris, il n'échappera plus de ce piége, de ce tombeau, où il est venu de lui-même chercher la mort. » Francisco del Tuppo et Alciat ont librement imité cette petite pièce en vers latins, le premier à la fin de la confirmatio exemplaris de sa fable XXXIV (édition d'Aquilée sans titre, mais datée à la dernière page de 1493), le second dans son emblème xciv, composé, comme l'original, en trois distiques1. Gilbert Cousin (Cognatus), dans sa Narrationum sylva (p. 69 de l'édition de Bâle, 1567), semble aussi y avoir fait une allusion, citée par Robert, tome I, p. ccxxxiv. C'est bien ce sujet de l'épigramme grecque qu'a développé la Fontaine, en ajoutant, comme d'ordinaire, beaucoup à son modèle. On ne saurait donc voir dans le Rat et l'Huitre une transformation de la fable 208 d'Ésope ou de la 1 fable d'Abste mius, que Guillon, Robert et Walckenaer n'ont pu rappeler ici que pour une bien lointaine analogie. Dans Ésope (Kúwv, Coray, p. 134, Nevelet, p. 258), c'est un Chien qui avale un Limaçon qu'il prend pour un œuf; et quand il sent ses entrailles déchirées « C'est bien fait, dit-il; je n'ai que ce que je mérite. »

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1. Le commentateur d'Alciat, Claude Mignault (Minos en latin), connaissait bien l'origine de l'emblème il le dit emprunté au Ior livre des épigrammes grecques.

Dans Abstemius (de Mure in cista nato, Nevelet, p. 536), c'est un Rat novice qui est en scène comme ici; mais qu'il est loin d'intéresser comme le Souriceau ou le Rat de la Fontaine ! Né dans un coffre où il se nourrit de noix, un jour il en tombe, et aperçoit une table chargée de mets : « Que j'étais fou, dit-il, de croire qu'il n'y avait rien au monde de meilleur que mon ordinaire ! » << On reconnaît, dit Chamfort, tout le talent de la Fontaine dans le discours du Rat, dans la peinture de l'Huître bâillant au soleil, dans celle du Rat surpris au moment où l'Huître se referme.... » Il critique seulement, dans le discours du Rat, le vers 16, qui lui paraît contenir « quelque propos populaire et trivial dont on se passerait bien » (voyez la note 10). Il est vrai qu'il ajoute « Mais il n'appartient qu'à la Fontaine de rendre cette sorte de naturel supportable aux honnêtes gens; nous en verrons plus bas un autre exemple dans la fable du Singe et du Léopard (fable du livre IX, au vers 20). » Quant à la moralité, il regrette qu'elle soit multiple; on peut en effet énumérer ici jusqu'à trois enseignements outre les deux de l'épilogue, le vers 33 en contient un, sur le danger de l'ignorance, qui est précisément celui que fait ressortir l'affabulation du Chien d'Esope. « Il n'en faut qu'un, dans une fable bien faite, ajoute Chamfort. J'aurais voulu que la Fontaine exprimât l'idée suivante : « Quand on est ignorant, il << faut suppléer au défaut d'expérience par une sage réserve et par « une défiance attentive. >> · Cette condition de l'unité de morale, comme plus d'une autre que l'on a voulu imposer à la « fable bien faite, » est-elle de rigueur ? Sans manquer au respect qui est dû aux législateurs du Parnasse et à leur sage idéal de perfection, on peut savoir gré à la fantaisie du poëte de franchir, à l'occasion, des limites de ce genre.

Un Rat, hôte d'un champ, rat de peu de cervelle,
Des lares paternels un jour se trouva sou3.

2. C'est d'Abstemius ou de Joachim I Camerarius (p. 249 de l'édition de Leipsick, 1564) que G. Haudent a tiré la fable 62 de sa 2o partie, d'une Souris procréée en une huche.

3. Dans les textes de 1671 et de 1678, l'orthographe est ainsi « sou », pour rimer avec « trou ». Même orthographe et même rime aux vers 10-11 de la fable xvII du livre III. - Pour lares, voyez ci-après, p. 320 et note 5.

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Il laisse là le champ, le grain, et la javelle*,
Va courir le pays, abandonne son trou.

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Sitót qu'il fut hors de la case":

Que le monde, dit-il, est grand et spacieux!
Voilà les Apennins, et voici le Caucase".

La moindre taupinée étoit mont à ses yeux1.
Au bout de quelques jours, le voyageur arrive
En un certain canton où Téthys sur la rive
Avoit laissé mainte huître; et notre Rat d'abord
Crut voir, en les voyant, des vaisseaux de haut bord.
« Certes, dit-il, mon père étoit un pauvre sire' :
Il n'osoit voyager, craintif au dernier point.

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4. Javelle, mot collectif, poignées, petits tas de blé coupé qu'on laisse sur la terre, pour qu'il sèche, avant d'en faire des gerbes. Littré cite des exemples de Malherbe, Racan, André Chénier.

5. Case, petite et chétive demeure, ici bien opposé à l'exclamation admirative : «< grand et spacieux!» Il y a une opposition semblable dans les vers 6-7 de la fable vin du livre III.

....

6. Parmi les traits tout humains que la fable donne aux bêtes, en voilà un bien inattendu et plaisamment choisi, auquel le vers 17 a pour objet de donner vraisemblance. Le Rat sait sa géographie, comme, au reste, même le Chêne (livre I, fable xx11, vers 7), et comme, tout autre genre d'instruction, la Belette et le Lapin (livre VII, fable xv) savent le pour et le contre du droit de propriété. 7. C'est ainsi que le Souriceau de la fable v du livre VI parle aussi (vers 4) de monts à sa mère.

8. Voyez, au tome I, la note 5 de la fable vi du livre V. On a omis de dire là que, dans les éditions originales de la Fontaine, l'orthographe est toujours Thetis, soit qu'il s'agisse, comme ici, et au vers 6 de la fable vi du livre V, et mainte fois dans le reste des œuvres, de la Déesse qui personnifie la mer, et dont le nom, correctement transcrit du grec, est Tethys, soit que le nom propre, qui doit bien alors s'écrire Thétis, désigne, comme dans la pièce de notre auteur intitulée Achille, la mère de ce héros. Cette confusion est ordinaire au dix-septième siècle; nous la trouvons chez Corneille plusieurs fois (voyez la Table alphabétique des OEuvres), et chez Racine même (au tome IV, p. 59, vers 130 de la Nymphe de la Seine).

9. « Ce Rat, dit M. Taine (p. 143), fait comme l'écolier de

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Pour moi, j'ai déjà vu le maritime empire;
J'ai passé les déserts, mais nous n'y bùmes point1o.
D'un certain magister "le Rat tenoit ces choses,
Et les disoit à travers champs 13,

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N'étant pas de ces rats qui, les livres rongeants,
Se font savants jusques aux dents 13.
Parmi tant d'huîtres toutes closes

Une s'étoit ouverte ; et, bâillant au soleil,
Par un doux zéphir réjouie,

Humoit l'air, respiroit, étoit épanouie,

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Blanche, grasse, et d'un goût, à la voir, nompareil. 25

Faust. Du haut de son expérience improvisée, il contemple avec mépris la génération arriérée qui le précède, et sourit d'un air de grand homme, savant et pédant, en pensant à son père. »

10. Allusion à un passage, déjà cité en partie (p. 151, note 17), de l'entretien de Picrochole avec ses gouverneurs, qui commence par ces mots : « Ha, pauures gens. Quoy? dirent-ilz, que boyrons-nous par ces desers? Car Iulian Auguste et tout son oust y moururent de soif, comme l'on dict, » et finit par ceux-ci : « Nous ne beumes poinct frais. » (RABELAIS, Gargantua, chapitre xxxIII, tome I, p. 126.)

11. Dont, de l'entrée de son trou, ou, en rôdant inaperçu, il avait attrapé quelques mots.

12. Quoique ici on soit tenté d'abord de prendre cette expression au sens propre, il paraît bien, par les deux vers suivants, que la Fontaine lui a donné la signification d'à tort et à travers, au hasard. C'est ainsi que Littré (à l'article TRAVERS, 14°) a expliqué les mêmes mots. Au vers 14 de la fable xr du dernier livre, notre fabuliste a dit encore:

13.

L'homme d'Horace'

Disant le bien, le mal, à travers champs, n'eût su
Ce qu'en fait de babil y savoit notre Agasse.

Ladis un antique Prophete de la nation Iudaïque (Ézéchiele) mangea un liure, et fut clerc iusques aux dents : presente

a Le Bachelier (Baccalaureus), au début de l'acte II de la 2o partie du Faust de Goethe.

Le Fâcheux de la satire Ix du ler livre.

• Voyez le chapitre III de sa Prophétie, versets 1-2; et comparez l'Apocalypse, chapitre x, versets 9-10.

D'aussi loin que le Rat voit cette Huître qui bâille :
Qu'aperçois-je ? dit-il, c'est quelque victuaille;

α

Et, si je ne me trompe à la couleur du mets,
Je dois faire aujourd'hui bonne chère, ou jamais.
Là-dessus, maître Rat, plein de belle espérance,
Approche de l'écaille, allonge un peu le cou,

>>

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Se sent pris comme aux lacs1; car l'Huître tout d'un coup Se referme et voilà ce que fait l'ignorance.

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Cette fable contient plus d'un enseignement 16:
Nous y voyons premièrement

Que ceux qui n'ont du monde aucune expérience
Sont, aux moindres objets, frappés d'étonnement;
Et puis nous y pouvons apprendre

Que tel est pris qui croyoit prendre".

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ment vous en boirez un, et serez clerc iusques au foye. » (Rabelais, livre V, chapitre XLV, tome III, p. 171.) Au lieu de l'étymologie, plus ingénieuse que probable, qu'implique ce passage, les Dictionnaires de Furetière, et, d'après lui, de Trévoux, donnent celle-ci : « Ce proverbe vient de ce qu'autrefois on ne tenoit personne pour savant jusqu'à ce qu'il fût passé docteur : ce qui ne se faisoit point qu'après de fort grands repas, où on exerçoit ses dents. » Littré rattache bien plus naturellement cette locution à celle d' «< armé jusqu'aux dents, » la science étant comparée à une armure. Scarron (Virgile travesti, 1648-1652) a dit de même « savant jusqu'aux dents, » dans la paraphrase des vers 359-361 du livre III.

14. Au lacs, au singulier, dans les textes de 1671 et de 1679 Amsterdam. Pour l'orthographe de ce nom, voyez ci-après, la note du vers 13 de la fable xxII de ce livre VIII.

15. « Voyez comme ce dernier mot est rejeté au commencement du vers, par une suspension qui met la chose sous les yeux, et le naturel de la leçon qui termine la phrase. » (CHAMFORT.) renferme. (1679 Amsterdam.)

16. Voyez ci-dessus, p. 252, la fin de la notice.

17. Morale analogue à celle de la fable x1 du livre IV :

Tel.... cuide engeigner autrui

Qui souvent s'engeigne soi-même.

Se

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