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Et mettoit à profit l'absence du soleil,
Un de nos deux Amis sort du lit en alarme;
Il court chez son intime, éveille les valets:
Morphée avoit touché le seuil de ce palais3.
L'Ami couché s'étonne; il prend sa bourse, il s'arme, 10
Vient trouver l'autre, et dit : « Il vous arrive peu
De courir quand on dort"; vous me paroissiez homme
A mieux user du temps destiné pour le somme:
N'auriez-vous point perdu tout votre argent au jeu?
En voici. S'il vous est venu quelque querelle,
J'ai mon épée, allons. Vous ennuyez-vous point
De coucher toujours seul? Une esclave assez belle
Étoit à mes côtés : voulez-vous qu'on l'appelle ?

Non, dit l'Ami, ce n'est ni l'un ni l'autre point1o :

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même verbe avec à, on peut citer en outre ce passage de Mme de Sévigné (lettre du 13 mars 1680, tome VI, p. 305): « Quand nous sommes assez malheureux pour n'être point uniquement occupés à Dieu.... >>

5. Sur Morphée, fabricateur des songes, fils du dieu qui personnifie le sommeil et souvent le personnifiant lui-même, on peut voir, au livre XI des Métamorphoses d'Ovide, les vers 633 et suivants. Morphée revient fréquemment chez la Fontaine, soit en vers, soit en prose, d'ordinaire comme le sommeil, deux fois seulement, croyons-nous, comme auteur des songes.

6. Les vers 14-16 expliquent ce second hémistiche.

7. « Quand on dort, » c'est-à-dire au temps où l'on dort, quand c'est le temps de dormir.

8. Il y a « paroissez », au présent, dans le manuscrit de Trallage, qui, au vers suivant, a « d'un temps » au lieu de « du temps », et, au vers 20, « grâces », au pluriel.

9. « Voici qui paraît bien français, dit Chamfort; et l'on croirait que nous ne sommes point au Monomotapa. » Il ajoute à propos du trait qui suit : « Nous ne sommes plus en France; nous voilà dans le fond de l'Afrique. » Les circonstances du récit sont les mêmes dans la source orientale, sauf une l'offre d'une esclave y est bien faite, mais qu'elle fût aux côtés de son maître est une addition de notre libre conteur.

10. L'Errata veut qu'on lise ici poinct. M. Marty-Laveaux fait

Je vous rends grâce de ce zèle.

Vous m'êtes, en dormant, un peu triste apparu;
J'ai craint qu'il ne fût vrai; je suis vite accouru.
Ce maudit songe en est la cause. »

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Qui d'eux aimoit le mieux? Que t'en semble, lecteur? Cette difficulté vaut bien qu'on la propose12.

Qu'un ami véritable est une douce chose!

Il cherche vos besoins au fond de votre cœur
Il vous épargne la pudeur1

De les lui découvrir vous-même 15;

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remarquer que la Fontaine a constamment, par l'orthographe, distingué ce mot de la négation.

11. Que cela ne fût vrai : sur cet emploi, ordinaire chez les écrivains du dix-septième siècle, d'il au neutre, voyez les Lexiques de la Collection.

12. On peut ajouter : « et ne peut guère se résoudre. » C'est ce que nous fait entendre clairement et sans phrases la question laissée sans réponse.

13. Nous doutons que l'idée de deux âmes lisant au fond l'une de l'autre ait jamais été exprimée avec une aussi insistante énergie que dans ce passage du chapitre déjà cité de Montaigne (le xxvii du livre I, tome I, p. 256): « Nos ames ont charié si uniement ensemble; elles se sont considerees d'une si ardente affection, et de pareille affection descouvertes iusques au fin fond des entrailles l'une de l'aultre, que non seulement ie cognoissoys la sienne comme la mienne, mais ie me feusse certainement plus volontiers fié à luy de moy, qu'à moy. » – Voyez ci-après la note 15.

14. Au sens de « la bonne honte » que lui donne Vaugelas (Remarques sur la langue françoise, 1697, p. 978), et que ce nom a de même, avec une nuance un peu différente, dans l'épilogue à la Rochefoucauld de la fable xiv du livre X: « Vous

Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur
La louange la plus permise. »>

Boissonade, pour montrer que le mot est ici bien à sa place, quoi qu'en dise la critique citée à la fin de la notice, s'appuie aussi d'un exemple de la Bruyère et d'un de Pellisson: voyez le recueil de ses articles publié par Colincamp, tome II, p. 235-236.

15. « Un ami est une chose précieuse : il cherche nos besoins

Un songe1, un rien, tout lui fait peur
Quand il s'agit de ce qu'il aime.

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au fond de notre cœur; il nous épargne la honte de les découvrir nous-mêmes. » (Contes et fables indiennes de Bidpai et de Lokman, tome III, p. 86, à la fin de la fable du Chat, de la Belette et du Rat.) On voit que le traducteur Cardonne (1778), continuateur de Galland, s'est servi ici des expressions mêmes de la Fontaine sans trop se soucier de la littérale exactitude de sa traduction.

16. Les deux textes de 1678, ainsi que le manuscrit de Trallage, portent une ombre »; mais l'Errata avertit qu'il faut lire « un songe ». Ce vers en rappelle un autre, bien ressemblant, le 18° de la fable xiv du livre II, le Lièvre et les Grenouilles :

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre.

FABLE XII.

LE COCHON, LA CHÈVRE, ET LE MOUTON.

Ésope, fab. 176, Δέλφαξ καὶ Ἀλώπηξ, Δέλφαξ καὶ Πρόβατα (Coray, p. 109, p. 361-362, sous quatre formes; dans la première, c'est un Renard qui demande au Porc la raison de ses cris).— Aphthonius, fab. 30, Fabula Suis, singulos sua scire volens : c'est la version qu'a suivie la Fontaine.

Mythologia sopica Neveleti, p. 235, p. 345.

L'apologue a été mentionné, comme étant d'Ésope, par Élien (Histoires diverses, livre X, chapitre v1); et par Clément d'Alexandrie (Stromates, livre VII, tome II, p. 849, de l'édition de Potter, Oxford, 1715), en ces termes : « De là vient qu'Ésope disait que, si les porcs crient quand on les entraîne, c'est qu'ils comprennent qu'ils ne sont utiles que pour le sacrifice. » — « Cette fable est trèsbien écrite et parfaitement contée, » dit Chamfort. Puis, s'obstinant à vouloir enfermer le poëte dans le cercle étroit de la fable proprement dite, qui, toujours selon lui, doit donner des leçons à suivre, il ajoute « Mais quelle morale, quelle règle de conduite peut-on en tirer? Aucune. La Fontaine l'a bien senti.

Dom Pourceau raisonnoit en subtil personnage:
Mais que lui servoit-il?

Il en conclut, avec raison, que, dans les malheurs certains, le moins prévoyant est encore le plus sage. Mais peut-on se donner ou s'ôter la prévoyance ? Dépend-il de nous de voir plus ou moins loin? Il ne faut pas conduire ses lecteurs dans une route sans issue. » Les affabulations jointes aux fables grecques disent simplement qu'on ne saurait blâmer personne de gémir des maux qu'il prévoit, ou que la plainte est bien naturelle à ceux qui sont menacés de la perte, non de leurs biens, mais de leur existence même. Celle d'Aphthonius dit plus simplement encore. « Chacun

1. Élien compare au porc d'Ésope les tyrans, toujours en proie aux soupçons, à la crainte, sachant que leur vie appartient à tous.

a ses raisons qu'il connaît mieux que personne, »> sait bien où le bât le blesse. Comparez, dans ce même livre VIII, la fable xxi, le Faucon et le Chapon, qui a, pour la vérité qui s'en déduit, une grande analogie avec celle du Cochon, la Chèvre, et le Mouton.

Une Chèvre, un Mouton, avec un Cochon gras,
Montés sur même char', s'en alloient à la foire.
Leur divertissement ne les y portoit pas3;

On s'en alloit les vendre, à ce que dit l'histoire* :
Le Charton' n'avoit pas dessein

De les mener voir Tabarin".

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2. Char est encore usité, à la campagne, en bien des lieux, pour désigner les chariots, les charrettes qui servent au transport de la moisson, de la vendange, des animaux, du fumier : voyez Littré, 3°. La Fontaine l'a dit ailleurs au sens de voiture à foin (livre VI, fable xvIII, vers 2), de coche ou voiture publique (livre VII, fable 1x, vers 11), de corbillard (même livre VII, fable x1, vers 30).

3. C'est-à-dire, comme l'explique plaisamment la suite de la phrase, ils n'y allaient pas pour s'y divertir, comme on fait aux foires, où accourent des teneurs de jeux, de bals, des charlatans et des baladins de toutes sortes.

4. Notre auteur aime cette incise, qui donne autorité au récit : nous la verrons aux fables Iv (vers 29), XII (vers 113), xx1 (vers 7) du livre XII.

5. Charreton ou, en abrégeant l'écriture, charton, vieux mot formé naturellement de charrette, comme charron de char; on disait de même charretier et chartier: voyez ci-dessus, livre VI, fable xviii.

6. Célèbre bouffon, probablement d'origine italienne, dont Boileau parle également au chant I de son Art poétique, vers 86:

Apollon travesti devint un Tabarin,

et au chant III, vers 398, en opposant son nom à celui de Térence. Voyez aussi les vers où il figure, sous le nom de « l'illustre Tabarin, » vers la fin de la scène i de l'acte IV du Ragotin de la Fontaine et Champmeslé. « Devenu l'associé, plutôt que le valet, d'un empirique appelé Mondor, il acquit assez vite une grande vogue en débitant sur un théâtre en plein vent de joyeux propos et des gaillardises, qui, souvent de mauvais goût, ne manquaient pourtant pas une piquante originalité. L'apparition de Tabarin dans la capitale date de la fin de 1618 au plus tôt, mais ce n'est guère qu'en 1622 qu'il y fut à l'apogée de sa gloire. La place Dauphine, théâtre de ses exploits, ne suffisait plus alors aux spectateurs de

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