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FABLE XXV.

LES DEUX CHIENS ET L'Ane mort.

Ésope, fab. 207, Κύνες λιμώττουσαι et Λύκοι καὶ Ἀνήρ (Coray, p. 133 et 134). Phèdre, liv. I, fab. 20, Canes famelici. Marie de France, fab. 49, dou Leu qui cuida de la Lune ce fust un Fourmaige.

Mythologia sopica Neveleti, p. 258, p. 401.

Dans la fable de Marie de France, un Loup voit la lune qui se reflète dans une mare et il la prend pour un fromage: il boit tant, pour chercher à l'atteindre, qu'il se fait crever comme les Chiens de la Fontaine.

:

Dans les Avadanas ou Contes et apologues indiens, traduits du chinois par Stanislas Julien, se trouve (tome II, p. 30-31) un apologue intitulé l'Homme et la Perle de ceux qui déploient tous leurs efforts, qui a quelque analogie avec notre fable, à cette différence près que dans le conte indien les efforts sont récompensés au lieu d'être punis. Il est vrai qu'il s'agit pour l'Homme de retrouver ce qu'il a perdu et non, comme pour les Chiens, de s'emparer d'une proie ardemment convoitée.

Le prologue de cette fable, que Chamfort trouve excellent, a bien pu être inspiré à la Fontaine par le passage suivant de Charron: « La foiblesse humaine se monstre richement au bien et au mal, en la vertu et au vice; c'est que l'homme ne peust estre, quand bien il voudroit, du tout bon ny du tout meschant. Il est impuissant à tout.... L'on ne peust faire tout bien, ny exercer toute vertu d'autant que plusieurs vertus sont incompatibles, et ne peuvent demeurer ensemble, au moins en un mesme subject.... Bien souvent l'on ne peust accomplir ce qui est d'une vertu, sans le heurt et offense d'une autre vertu, ou d'elle-mesme d'autant qu'elles s'entre-empeschent; d'où vient que l'on ne peust satisfaire à l'une qu'aux despens de l'autre. » (De la Sagesse, livre Ier, chapitre Iv, de la première édition; livre I, chapitre xxxix de l'édition donnée par Amaury Duval dans la Collection des moralistes français, Paris, Chassériau, 1820, tome I, p. 250 et 251.) Quant à

la fable en elle-même, Chamfort la trouve bien médiocre. « La Fontaine a beau dire, ajoute-t-il, que chacun est sot et gourmand, il ne l'est pas au point de donner la moindre vraisemblance à cet apologue. Il était aisé d'établir la même morale sur une supposition moins absurde. » Sans doute; mais ne dirait-on pas, à lire cette critique, que notre auteur a inventé le sujet? Il l'a puisé dans ce commun trésor de fables, de proverbes, qu'on a nommé a la Sagesse des nations, » où au bon, à l'exquis, au très-fin se mêlent, quant à l'emblème, à la fiction allégorique qui revêtent la morale, le médiocre, le grossier, le mauvais, disent avec raison les délicats, mais un mauvais qui d'ordinaire a le mérite, fort réel, en ce genre de leçons, de les présenter sous une forme très-frappante. L'« excellent prologue » appliqué à l'absurde supposition, forme avec elle un ensemble qui certes agrée plutôt qu'il ne choque.

Les vertus devroient être sœurs,

Ainsi que

les vices sont frères.

Dès que l'un de ceux-ci s'empare de nos cœurs,
Tous viennent à la file; il ne s'en manque guères :

J'entends de ceux qui, n'étant pas contraires, 5
Peuvent loger sous même toit1.

A l'égard des vertus, rarement on les voit
Toutes en un sujet éminemment placées
Se tenir par la main sans être dispersées.

L'un est vaillant, mais prompt; l'autre est prudent, mais
Parmi les animaux, le chien se pique d'être

Soigneux, et fidèle à son maître2;

Mais il est sot, il est gourmand:

Témoin3 ces deux matins qui, dans l'éloignement,

[froid.

1. C'est la pensée ainsi rendue par Sénèque dans l'expressive sentence (épître xcv, § 32): Nullum intra se manet vitium, « aucun vice ne demeure en lui-même, ne se borne à lui-même, » et qu'il fait suivre de l'exemple: In avaritiam luxuria præceps est. 2. L'éloge semble insuffisant; mais il faut songer qu'il ne s'agit que des qualités méritant le nom de « vertus ».

3. Invariable, adverbialement. Le mot revient ainsi p. 350, vers 50, p. 393, vers 46, et à la fable vii du livre XI, vers 30.

J. DE LA FONTAINE, II

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Virent un Ane mort qui flottoit sur les ondes.
Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos Chiens.
« Ami, dit l'un, tes yeux sont meilleurs que les miens :
Porte un peu tes regards sur ces plaines profondes*;
J'y crois voir quelque chose. Est-ce un bœuf, un cheval ?
- Hé! qu'importe quel animal?

Dit l'un de ces mâtins; voilà toujours curée.
Le point est de l'avoir'; car le trajet est grand,
Et, de plus, il nous faut nager contre le vent.
Buvons toute cette eau; notre gorge altérée
En viendra bien à bout: ce corps demeurera
Bientôt à sec, et ce sera

Provision pour la semaine. »

Voilà mes Chiens à boire : ils perdirent l'haleine,
Et puis la vie; ils firent tant

Qu'on les vit crever à l'instant".

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4. C'est évidemment à la mer que cette expression s'applique, quelque amplifiée que, par là, soit la sottise, surtout avec l'addition de bientôt du vers 26: voyez le vers 38 et la note 15.

5. N'y a-t-il pas là une distraction? Après l'un du vers 17, il faudrait l'autre.

6. De quoi faire curée. Voyez l'Essai de M. Marty-Laveaux (p. 20), qui compare le vers 28 de la fable x1 du livre IV. – Dans le quatrain ccvi de Benserade, ce n'est, modification peu ingénieuse, qu'« un gros morceau de pain. »

:

7. Ce qui importe, c'est de l'avoir voyez le conte iv de la IIIe partie, vers 201 et 342.

8. Ce vers semble en contradiction avec le vers 16:

Le vent de plus en plus l'éloignoit de nos Chiens. L'auteur a certainement voulu dire, sans tenir assez de compte du sens usuel: « Il nous faut lutter contre le vent; nous avons contre nous le vent qui éloigne l'objet. >>

9. Non pas « tout d'un coup, » comme l'explique Geruzez, mais sur place, « à l'instant, » c'est-à-dire dans le temps où ils buvaient, sans qu'ils eussent eu le temps de faire autre chose. C'est le latin illico, qui s'applique également au temps et à l'espace. L'expression française ne semble pas très-exacte, ni, par suite,

L'homme est ainsi bâti1o : quand un sujet l'enflamme,
L'impossibilité disparoît à son âme".

Combien fait-il de vœux, combien perd-il de pas,
S'outrant 12 pour acquérir des biens ou de la gloire !
Si j'arrondissois mes États!

«

13

Si je pouvois remplir mes coffres de ducats 13!

Si j'apprenois l'hébreu, les sciences, l'histoire 14! >>
Tout cela, c'est la mer à boire 15

Mais rien à l'homme ne suffit.

15;

Pour fournir aux projets que forme un seul esprit,
Il faudroit quatre corps; encor, loin d'y suffire,
A mi-chemin je crois que tous demeureroient :
Quatre Mathusalems 16 bout à bout ne pourroient
Mettre à fin ce qu'un seul desire.

assez claire.

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Chez Benserade, qui parle de « chiens affamés »

et ne borne pas le nombre à deux :

.... S'efforçants à tarir l'eau du fleuve,

Tous crevèrent de boire et moururent de faim.

10. Voyez la note du vers 16 de la fable xv du livre IX.

II. On connaît le mot attribué à Napoléon I", que bien des sujets enflammaient : « Impossible! ce mot n'est pas français. >

12. Allant au delà de ses forces, sens où aujourd'hui on dit plutôt s'excédant. Mme de Sévigné emploie le même mot (tome VIII, p. 305): « Ne vous outrez pas sur l'écriture. »

13. « Sorte de monnaie d'or valant cent dix sous, » dit Richelet (1680). Voyez plus haut, p. 175, la note 8 sur le « double ducat ». 14. Voyez ci-dessus, p. 311, la note 18 de la fable xix.

15. « M. de Voltaire critique ce vers, dit Chamfort, comme plat et trivial. Il me semble que ce qui rend excusable ici cette expression populaire, c'est qu'elle fait allusion à une fable où il s'agit de boire une rivière. » Excusable dit trop peu, et l'observation de Chamfort est, il ne le voit pas, d'autant plus juste qu'il ne s'agit pas, comme chez les autres fabulistes, d'une rivière, mais bien de la mer (ci-dessus, vers 18 et note 4).

16. On sait que l'aïeul de Noé, Mathusalem, qui, dans l'ancien Testament, est nommé Mathusala, dans le nouveau Mathusalė, est, dans la Bible, l'exemple de la plus haute longévité : la Genèse (chapitre v, verset 27) le fait vivre neuf cent soixante-neuf ans.

FABLE XXVI.

DÉMOCRITE ET LES ABDÉRITAINS.

Diogène de Laërte, Démocrite (édition de Leipsick, 1831, tome II, p. 370 et suivantes). -Tzetzès, chiliade I, 61, IIept Anμoxpitev.

Cette histoire de Démocrite, Hippocrate' et les Abdéritains n'a d'autre garant qu'une sorte de roman épistolaire composé de vingttrois lettres de et à Hippocrate, évidemment apocryphes, comme cela se reconnait sur-le-champ à la lecture. Les deux premières sont un appel à venir guérir Démocrite de la folie, adressé par le Sénat et le peuple d'Abdère à l'illustre médecin, et une réponse de celui-ci pour annoncer qu'il va se rendre à l'invitation. Parmi les suivantes, la principale est la seconde au Rhodien Damagète, où est racontée l'entrevue des deux grands hommes; Robert en a inséré une traduction française par Pariset, dans son tome II, p. 178-190. Les dernières sont de savants échanges de communications entre Hippocrate et Démocrite, dont la plus curieuse est l'envoi, par le prétendu fou d'Abdère, d'un Discours sur la folie. Littré a donné, au tome IX des OEuvres d'Hippocrate (p. 321-399, no 10–21 et 23), le texte grec et la version française de ces lettres, et des autres, aussi peu authentiques, de et à Hippocrate, et il en montre la fausseté au chapitre XII de son Introduction (tome I, p. 430-432). La Fontaine avait pu les lire dans mainte ancienne édition, particulièrement au tome I (1638) de la grande de Chartier (grec et latin), et dans le livre du médecin Bompart intitulé: Conférences d'Hippocrate et de Démocrite, traduites du grec en français, avec un commentaire (1632, in-8°). On verra dans les notes que plusieurs détails de l'apologue sont tirés de telle ou telle des lettres et qu'il avait pris connaissance de tout le roman, de l'ensemble duquel ni Robert ni aucun commentateur n'ont fait aucune mention. Solvet, contre sa coutume, n'a point regardé de bien près quand il a dit, n'ayant en vue que la seconde lettre à Damagète, que ce n'était point là, mais plutôt dans Diogène de Laërte que notre auteur avait puisé. Diogène ne parle

1. Voyez livre III, fable vin, vers 19 et note 7.

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