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FABLE XXVII.

LE LOUP ET LE CHASSEUR.

Livre des lumières, p. 216.

et le Loup.

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Bidpaï, tome II, p. 292, le Chasseur

Calila et Dimna, p. 203, le Chasseur, la Gazelle, le Sanglier et le Chacal. Pantchatantra, p. 161, le Chasseur, le Sanglier et le Chacal. Hitopadesa, p. 68, le Chasseur, le Daim, le Sanglier, le Serpent et le Chacal; nous donnons cette version à l'Appendice, comme la plus pittoresque des indiennes (à leur sujet, voyez Benfey, tome I, p. 319-320). Camerarius, fab. 387, Ursus, Venator, Lupus. Doni, Filosofia morale (Venise, 1606), fol. 66.

La morale et surtout le prologue ont pu être inspirés à la Fontaine par deux épigrammes de Martial, la xvro du livre I (voyez ciaprès la note 6), et la LVIII du livre V. Voici la seconde :

Cras te victurum, cras dicis, Posthume, semper.

Dic mihi, cras istud, Posthume, quando venit?
Quam longe est cras istud? ubi est? aut unde petendum?
Numquid apud Parthos, Armeniosque latet?
Jam cras istud habet Priami vel Nestoris annos.
Cras istud quanti, dic mihi, possit emi?
Cras vives: hodie jam vivere, Posthume, serum est.
Ille sapit quisquis, Posthume, vixit heri.

« Cette fable, dit Chamfort, commence avec la même violence qu'une satire de Juvenal; c'est contre les avares que la Fontaine exerce le plus sa satire. » Puis, après avoir loué, dans le prologue, « la vivacité et la précision admirables » du dialogue, il ajoute : << Des deux apologues suivants, le premier, sans être excellent, me paraît beaucoup meilleur que l'autre. Il n'est pas impossible qu'un chasseur, ayant tué un daim et un faon, y veuille joindre une perdrix; mais qu'un loup, devant quatre corps, se jette sur une corde d'arc, cela ne me paraît pas d'une invention bien heureuse. Les meilleurs apologues sont ceux où les animaux se trouvent dans leur naturel véritable. » M. Taine (p. 265–266) cite la première de nos deux fables pour prouver que la Fontaine ne décrit ja

mais pour décrire; que tous ses traits scnt calculés pour produire une impression unique; que ce sont autant d'arguments dissimulés qui tendent tous à un même effet. Plus loin (p. 319-320), il revient sur le même morceau pour y étudier le mélange des mètres, l'harmonie, et montre comment « les grands poëtes seuls savent mettre d'accord l'expression et l'idée, la sensation et le sentiment. >> Voyez la note 11, sur le vers 23.

Fureur d'accumuler, monstre' de qui les yeux
Regardent comme un point tous les bienfaits des Dieux,
Te combattrai-je en vain sans cesse en cet ouvrage3?
Quel temps demandes-tu pour suivre mes leçons?
L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage*, 5
Ne dira-t-il jamais : « C'est assez, jouissons? »
- Hâte-toi, mon ami, tu n'as pas tant à vivre.
Je te rebats ce mot, car il vaut tout un livre :

Jouis. Je le ferai. - Mais quand donc?-Dès demain3. — Eh! mon ami, la mort te peut prendre en chemin : 10

1. Dans ce début, si justement appelé violent par Chamfort, l'application personnifiante du nom monstre, non à un mot unique, mais à une périphrase: « Fureur d'accumuler », peut, au point de vue de la langue, étonner quelque peu.

2. Comme à peu près rien, comme la moindre des choses.

3. Comme il a fait dans les fables xx du livre IV; x du livre V; et fera encore, après cette fable-ci, dans les xvi° du livre IX; Iv du livre X; ° du livre XII, où nous retrouvons, au vers 2, dans le même sens qu'ici, le mot fureur.

4. « Remarquons, dit Chamfort, comme la Fontaine évite toujours de se donner pour un sage. »>

5. L'abbé Guillon nous avertit, avec raison croyons-nous, que ce « dialogue est imité de Perse, » du moins pour le tour et la vivacité, dans ces vers (132-133) de sa satire v :

Mane piger stertis : « Surge, inquit Avaritia; eia,
Surge. Negas? » Instat : « Surge, inquit, etc. »,

vers que Boileau, de son côté, imite ainsi de bien plus près (satire vIII, vers 70-71):

« Debout, dit l'Avarice, il est temps de marcher.

Hé! laissez-moi. — Debout! - Un moment. - Tu répliques?

Jouis dès aujourd'hui®; redoute un sort semblable
A celui du Chasseur et du Loup de ma fable.

Le premier, de son arc, avoit mis bas un daim.

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Un faon de biche passe, et le voilà soudain

Compagnon du défunt : tous deux gisent sur l'herbe. 15
La proie étoit honnête, un daim avec un faon;
Tout modeste chasseur en eût été content :
Cependant un sanglier, monstre énorme et superbe,
Tente encor notre Archer, friand de tels morceaux.
Autre habitant du Styx : la Parque et ses ciseaux
Avec peine y mordoient; la déesse infernale
Reprit à plusieurs fois l'heure au monstre fatale.
De la force du coup pourtant il s'abattit".

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6. C'est le carpe diem d'Horace (livre I, ode x1, vers 8); Martial a dit aussi, dans la première des épigrammes auxquelles renvoie la notice :

Non est, crede mihi, sapientis dicere: « Vivam. »

Sera nimis vita est crastina: vive hodie.

7. « Mis bas,» abattu, tué. Voyez, chez Littré, les sens trèsdivers de mettre bas, dans l'article Bas (adverbe), 2o, où notre exemple eût dû trouver place.

8. « Fan » est l'orthographe des anciennes éditions (1678-1729), ici comme au vers 16, et au livre X, fable x11, vers 1, etc. De même pan pour paon voyez, au tome I, la note 1 de la page 181, et la note 2 de la page 298.

9. Modéré dans ses désirs.

10. Voyez ci-dessus, fable xxiv, vers 11, note 5.

11. « Ce long vers, dit M. Taine (p. 319), qui tombe sur un son étouffé, ne peint-il pas à l'oreille la chute sourde du pesant sanglier? » Au sujet des trois vers précédents, il fait remarquer (p. 226) que la Fontaine « ne peint pas les Dieux vaguement, avec des souvenirs de classe. Il distingue les détails de leurs mouvements, et voit Atropos à son métier « reprendre à plusieurs fois «l'heure fatale au monstre. » Il est chez lui dans l'Olympe, » c'est-à-dire voit comment les choses s'y passent, et nous le dit, sachant bien que les particularités, semées dans le récit sobrement, avec goût, lui donnent de l'intérêt et, aux fictions mêmes, comme

12.

C'étoit assez de biens. Mais quoi? rien ne remplit
Les vastes appétits d'un faiseur de conquêtes 12.
Dans le temps que le porc revient à soi, l'Archer
Voit le long d'un sillon une perdrix marcher,
Surcroît chétif aux autres têtes :

De son arc toutefois il bande les ressorts.

Le sanglier, rappelant les restes de sa vie,

Vient à lui, le découd 13, meurt vengé sur son corps,
Et la perdrix le remercie.

Cette part du récit s'adresse au convoiteux 14:
L'avare aura pour lui le reste de l'exemple.

«

Un Loup vit, en passant, ce spectacle piteux 15 :
Ô Fortune! dit-il, je te promets un temple 16.
Quatre corps étendus! de biens! mais pourtant

que

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dit Walter Scott, dans sa notice sur Daniel de Foe, l'auteur du Robinson, un air de vraisemblance.

12. « Que cette transition, remarque Nodier, est simple et piquante! » et comme elle étend et agrandit la pensée !

13. Le déchire, terme de chasse; surtout pour parler des blessures faites par les défenses du sanglier. Même mot au vers 388 du poëme d'Adonis.

14. A l'homme qui désire immodérément, au conquérant, à Alexandre, par exemple, « auquel un seul monde ne suffit pas. » Voyez les exemples cités par Littré à l'Historique du mot.

15. Digne de pitié. Ce mot, qui n'est plus guère usité que dans le style familier, éveille plutôt aujourd'hui l'idée du ridicule que celle de la pitié.

16. Cet enthousiasme, remarque Nodier, n'est-il pas tout à fait digne d'Harpagon, qui veut faire graver en lettres d'or la sentence de son intendant? (L'Avare de Molière, acte III, scène 1.)

17. Quis, inquit, Deus tantum boni obtulit mihi ? (CAMERARIUS.)

a « Ce sont de ces détails qui semblent ne pouvoir venir à l'esprit qu'à qui a vu ou entendu les choses. » (Miscellaneous prose Works, tome III, p. 323, Paris, 1837.)

JUVENAL, satire x, vers 168.

Il faut les ménager, ces rencontres sont rares.

(Ainsi s'excusent les avares.)

J'en aurai, dit le Loup, pour un mois, pour autant 18: 40
Un, deux, trois, quatre corps", ce sont quatre semaines,
Si je sais compter, toutes pleines.

Commençons dans deux jours; et mangeons cependant
La corde de cet arc: il faut que l'on l'ait faite
De vrai boyau ; l'odeur me le témoigne assez. »
En disant ces mots, il se jette

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Sur l'arc qui se détend, et fait de la sagette
Un nouveau mort: mon Loup a les boyaux percés.

Je reviens à mon texte". Il faut que l'on jouisse;
Témoin ces deux gloutons punis d'un sort commun:
La convoitise perdit l'un;
L'autre périt par l'avarice".

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18. Addition affirmative: oui, pour autant que cela, pas moins. 19. « Cette exactitude de calcul (nouvelle remarque de Nodier) est encore tout à fait caractéristique. Il n'y a que l'avare qui puisse se complaire à multiplier, en quelque sorte, ses jouissances par une supputation si scrupuleuse. » Et la suite! commencer par le moins bon et trouver pour cela raison ingénieuse.

20. Au moyen de la flèche. Sagette, saette, formes vieillies, du latin sagitta; Walckenaer cite des exemples de Regnier, de Marot, de Scarron. N'était le mot sagette, qui détermine et force le sens, la clarté de ce passage laisserait peut-être à désirer : le Loup aborde étourdiment, par le côté convexe, l'arc dont la corde, restée tendue, porte encore la flèche; et le mot arc désigne ici une arbalète, c'est-à-dire une sorte d'arc qui peut demeurer tendu sans l'aide de la main et se détendre par l'effet d'une secousse. C'est bien une arbalète que nous représente la vignette de l'édition originale.

21. C'est-à-dire à la morale que j'ai annoncé plus haut (vers 33 et 34) vouloir prouver par ces deux exemples et que je vais répéter. 22. Camerarius borne sa morale à l'avarice, exprimée par deux mots, quelquefois joints de même par les anciens: Fabula narratur contra avaritiam et sordes.

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