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Un ciel transparent abaisse le cercle de ses horizons sur la terre et sur les mers, et semble enfermer l'édifice de la religion sous un globe de cristal. La fleur capucine, remplaçant le lierre religieux, brode de ses chiffres de pourpre les murs sacrés; le Lamaz traverse le torrent sur un pont flottant de lianes, et le Péruvien infortuné vient prier le Dieu de Las Casas.

Tout le monde a vu en Europe de vieilles abbayes cachées dans les bois, où elles ne se décèlent aux voyageurs que par leurs clochers perdus dans la cime des chênes. Les monuments ordinaires reçoivent leur grandeur des paysages qui les environnent; la religion chrétienne embellit au contraire le théâtre où elle place ses autels et suspend ses saintes décorations. Nous avons parlé des couvents européens dans l'histoire de René, et retracé quelques-uns de leurs effets, au milieu des scènes de la nature; pour achever de montrer au lecteur ces monuments, nous lui donnerons ici un morceau précieux que nous devons à l'amitié. L'auteur y a fait de si grands changements, que c'est, pour ainsi dire, un nouvel ouvrage. Ces beaux vers prouveront aux poëtes que leurs Muses gagneroient plus à rêver dans les cloîtres, qu'à se faire l'écho de l'impiété.

LA CHARTREUSE DE PARIS.

Vieux cloître où de Bruno les disciples cachés
Renferment tous leurs vœux sur le ciel attachés;
Cloître saint, ouvre-moi tes modestes portiques!
Laisse-moi m'égarer dans ces jardins rustiques
Où venoit Catinat méditer quelquefois,
Heureux de fuir la cour, et d'oublier les rois.

J'ai trop connu Paris: mes légères pensées,
Dans son enceinte immense au hasard dispersées,
Veulent en vain rejoindre et lier tous les jours
Leur fil demi-formé, qui se brise toujours.
Seul, je viens recueillir mes vagues rêveries.
Fuyez, bruyants remparts, pompeuses Tuileries,
Louvre, dont le portique à mes yeux éblouis
Vante après cent hivers la grandeur de Louis!
Je préfère ces lieux où l'âme moins distraite,
Même au sein de Paris, peut goûter la retraite :
La retraite me plaît, elle eut mes premiers vers.
Déjà, de feux moins vifs éclairant l'univers,
Septembre loin de nous s'enfuit, et décolore
Cet éclat dont l'année un moment brille encore.
Il redouble la paix qui m'attache en ces lieux;
Son jour mélancolique, et si doux à nos yeux,
Son vert plus rembruni, son grave caractère,
Semblent se conformer au deuil du monastère.
Sous ces bois jaunissants j'aime à m'ensevelir;
Couché sur un gazon qui commence à pâlir,
Je jouis d'un air pur, de l'ombre et du silence.

Ces chars tumultueux où s'assied l'opulence,
Tous ces travaux, ce peuple à grands flots agité,
Ces sons confus qu'élève une vaste cité,
Des enfants de Bruno ne troublent point l'asile;
Le bruit les environne, et leur âme est tranquille.

Tous les jours, reproduit sous des traits inconstants,
Le fantôme du siècle emporté par le temps'

Passe, et roule autour d'eux ses pompes mensongères.
Mais c'est en vain: du siècle ils ont fui les chimères;
Hormis l'éternité tout est songe pour eux.
Vous déplorez pourtant leur destin malheureux !
Quel préjugé funeste à des lois si rigides
Attacha, dites-vous, ces pieux suicides?

Ils meurent longuement, rongés d'un noir chagrin;
L'autel garde leurs vœux sur des tables d'airain;
Et le seul désespoir habite leurs cellules.

Hé bien, vous qui plaignez ces victimes crédules,
Pénétrez avec moi ces murs religieux :
N'y respirez-vous pas l'air paisible des cieux ?
Vos chagrins ne sont plus, vos passions se taisent,
Et du cloître muet les ténèbres vous plaisent.

Mais quel lugubre son, du haut de cette tour,
Descend et fait frémir les dortoirs d'alentour?
C'est l'airain qui, du temps formidable interprète,
Dans chaque heure qui fuit, à l'humble anachorète
Redit en longs échos: Songe au dernier moment.
Le son sous cette voûte expire lentement;

Et quand il a cessé l'âme en frémit encore.

La méditation qui, seule dès l'aurore,

Dans ces sombres parvis marche en baissant son œil,
A ce signal s'arrête, et lit, sur un cercueil,
L'épitaphe à demi par les ans effacée,
Qu'un gothique écrivain dans la pierre a tracée.
O tableaux éloquents! oh! combien à mon tour
Plaît ce dôme noirci d'une divine horreur,
Et le lierre embrassant ces débris de murailles
Où croasse l'oiseau chantre des funérailles;
Les approches du soir, et ces ifs attristés
Où glissent du soleil les dernières clartés;

Et ce buste pieux que la mousse environne,

Et la cloche d'airain à l'accent monotone;

Ce temple où chaque aurore entend de saints concerts
Sortir d'un long silence, et monter dans les airs;
Un martyr dont l'autel a conservé les restes,
Et le gazon qui croît sur ces tombeaux modestes
Où l'heureux cenobite a passé sans remord
Du silence du cloître à celui de la mort!

Cependant sur ces murs l'obscurité s'abaisse,
Leur deuil est redoublé, leur ombre est plus épaisse,
Les hauteurs de Meudon me cachent le soleil;

Le jour meurt, la nuit vient : le couchant moins vermeil,
Voit pâlir de ses feux la dernière étincelle.

Tout à coup se rallume une aurore nouvelle
Qui monte avec lenteur sur les dômes noircis

De ce palais voisin qu'éleva Médicis 1;

Elle en blanchit le faîte, et ma vue enchantée
Reçoit par ces vitraux la lueur argentée.

L'astre touchant des nuits verse du haut des cieux,
Sur les tombes du cloître un jour mystérieux,

Et semble y réfléchir cette douce lumière

Qui des morts bienheureux doit charmer la paupière.
Ici, je ne vois plus les horreurs du trépas :
Son aspect attendrit et n'épouvante pas.

Me trompé-je ? Écoutons : sous ces voûtes antiques
Parviennent jusqu'à moi d'invisibles cantiques,
Et la Religion, le front voilé, descend:
Elle approche : déjà son calme attendrissant,
Jusqu'au fond de votre âme en secret s'insinue;
Entendez-vous un Dieu dont la voix inconnue
Vous dit tout bas : Mon fils, viens ici, viens à moi,
Marche au fond du désert : j'y serai près de toi?

Le Luxembourg.

Maintenant, du milieu de cette paix profonde,
Tournez les yeux: voyez, dans les routes du monde,
S'agiter les humains que travaille sans fruit
Cet espoir obstiné du bonheur qui les fuit.
Rappelez-vous les mœurs de ces siècles sauvages
Où, sur l'Europe entière apportant les ravages,
Des Vandales obscurs, de farouches Lombards,
Des Goths, se disputoient le sceptre des Césars.
La force étoit sans frein, le foible sans asile:
Parlez, blâmerez-vous les Benoît, les Basile,
Qui, loin du siècle impie, en ces temps abhorrés,
Ouvrirent au malheur des refuges sacrés ?
Déserts de l'Orient, sables, sommets arides,
Catacombes, forêts, sauvages Thébaïdes,
Oh! que d'infortunés votre noire épaisseur
A dérobés jadis au fer de l'oppresseur!

C'est là qu'ils se cachoient, et les chrétiens fidèles,
Que la Religion protégeoit de ses ailes,

Vivant avec Dieu seul dans leurs pieux tombeaux,
Pouvoient au moins prier sans craindre les bourreaux.
Le tyran n'osoit plus y chercher ses victimes.

Et
que dis-je ? accablé de l'horreur de ses crimes,
Souvent dans ces lieux saints l'oppresseur désarmé
Venoit demander grâce au pied de l'opprimé.
D'héroïques vertus habitoient l'hermitage.
Je vois dans les débris de Thèbes, de Carthage,
Au creux des souterrains, au fond des vieilles tours,
D'illustres pénitents fuir le monde et les cours.
La voix des passions se tait sous leurs cilices;
Mais leurs austérités ne sont point sans délices:
Celui qu'ils ont cherché ne les oublîra pas;
Dieu commande au désert de fleurir sous leurs pas.
Palmier, qui rafraîchis la plaine de Syrie,
Ils venoient reposer sous ton ombre chérie !
Prophétique Jourdain, ils erroient sur tes bords!
Et vous, qu'un roi charmoit de ses divins accords,

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