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degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence.Un méridien décide de la vérité, ou de peu d'années de possession. Les lois fondamentales changent, le droit a ses époques : plaisante justice qu'une rivière ou une montagne borne; vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà. »

Certes, le penseur le plus hardi de ce siècle, l'écrivain le plus déterminé à généraliser les idées pour bouleverser le monde, n'a rien dit d'aussi fort contre la justice des gouvernements et les préjugés des nations.

Les insultes que nous avons prodiguées par philosophie à la nature humaine ont été plus ou moins puisées dans les écrits de Pascal. Mais, en dérobant à ce rare génie la misère de l'homme, nous n'avons pas su, comme lui, en apercevoir la grandeur. Bossuet et Fénélon, le premier, dans son Histoire universelle, dans ses Avertissements et dans sa Politique tirée de l'ÉcritureSainte, le second, dans son Télémaque, ont dit sur les gouvernements toutes les choses essentielles. Montesquieu lui-même n'a souvent fait que développer les principes de l'évêque de Meaux, comme on l'a très-bien remarqué. On pourroit faire des volumes des divers passages favorables à la liberté et à l'amour de la patrie qui se trouvent dans les auteurs du dix-septième siècle.

Et que n'a-t-on point tenté dans ce siècle 1? L'égalité des poids et mesures, l'abolition des coutumes provinciales, la réformation du code civil et criminel, la répartition égale de l'impôt : tous ces projets dont nous nous vantons ont été proposés, examinés, exécutés même quand les avantages de la réforme en ont paru balancer les inconvénients. Bossuet n'a-t-il pas été jusqu'à vouloir réunir l'Église protestante à l'Église romaine? Quand on songe que Bagnoli, Le Maître, Arnauld, Nicole, Pascal, s'étoient consacrés à l'éducation de la jeunesse, on aura de la peine à croire, sans doute, que cette éducation est plus belle et plus savante de nos jours. Les meilleurs livres classiques que nous ayons sont encore ceux de Port-Royal, et nous ne faisons que les répéter, souvent en cachant nos larcins, dans nos ouvrages élémentaires.

Notre supériorité se réduit donc à quelques progrès dans les études naturelles; progrès qui appartiennent à la marche du temps, et qui ne compensent pas, à beaucoup près, la perte de l'imagination qui en est la suite. La pensée est la même dans tous les siècles, mais elle est accompagnée plus particulièrement ou des arts ou des sciences: elle n'a toute sa grandeur poé

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tique et toute sa beauté morale qu'avec les pre

miers.

Mais si le siècle de Louis XIV a conçu les idées libérales, pourquoi donc n'en a-t-il pas fait le même usage que nous? Certes, ne nous vantons pas de notre essai. Pascal, Bossuet, Fénélon ont vu plus loin que nous, puisqu'en connoissant comme nous, et mieux que nous, la nature des choses, ils ont senti le danger des innovations. Quand leurs ouvrages ne prouveroient pas qu'ils ont eu des idées philosophiques, pourroit-on croire que ces grands hommes n'ont pas été frappés des abus qui se glissent partout, et qu'ils ne connoissoient pas le foible et le fort des affaires humaines? Mais tel étoit leur principe, qu'il ne faut pas faire un petit mal, même pour obtenir un grand bien, à plus forte raison pour des systèmes, dont le résultat est presque toujours effroyable. Ce n'étoit pas par défaut de génie, sans doute, que ce Pascal, qui, comme nous l'avons montré, connoissoit si bien le vice des lois dans le sens absolu, disoit dans le sens relatif: «Que l'on a bien fait

1 Barbarisme que la philosophie a emprunté des Anglois. Comment se fait-il que notre prodigieux amour de la patrie aille toujours chercher ses mots dans un dictionnaire étranger?

2 Hist. de Port-Royal.

de distinguer les hommes par les qualités extérieures! Qui passera de nous deux? qui cédera la place à l'autre? le moins habile? mais je suis aussi habile que lui; il faudra se battre pour cela. Il a quatre laquais, et je n'en ai qu'un; cela est visible, il n'y a qu'à compter : c'est à moi à céder, et je suis un sot si je le conteste. »

Cela répond à des volumes de sophismes. L'auteur des Pensées, se soumettant aux quatre laquais, est bien autrement philosophe que ces penseurs que les quatre laquais ont révoltés.

En un mot, le siècle de Louis XIV est resté paisible, non parce qu'il n'a point aperçu telle ou telle chose, mais parce qu'en la voyant, il l'a pénétrée jusqu'au fond; parce qu'il en a considéré toutes les faces et connu tous les périls. S'il ne s'est point plongé dans les idées du jour, c'est qu'il leur a été supérieur : nous prenons sa puissance pour sa foiblesse; son secret et le le nôtre sont renfermés dans cette pensée de Pascal:

« Les sciences ont deux extrémités qui se touchent: la première est la pure ignorance naturelle où se trouvent tous les hommes en naissant; l'autre extrémité est celle où arrivent les grandes âmes qui, ayant parcouru tout ce que les hommes peuvent savoir, trouvent qu'ils ne savent rien, et se rencontrent dans cette même

ignorance d'où ils sont partis; mais c'est une ignorance savante qui se connoît. Ceux d'entre eux qui sont sortis de l'ignorance naturelle, et n'ont pu arriver à l'autre, ont quelque teinture de cette science suffisante, et font les entendus. Ceux-là troublent le monde, et jugent plus mal que tous les autres. Le peuple et les habiles composent pour l'ordinaire le train du monde; les autres les méprisent, et en sont méprisés. >>

Nous ne pouvons nous empêcher de faire ici un triste retour sur nous-même. Pascal avoit entrepris de donner au monde l'ouvrage dont nous publions aujourd'hui une si petite et si foible partie. Quel chef-d'œuvre ne seroit point sorti des mains d'un tel maître! Si Dieu ne lui a pas permis d'exécuter son dessein, c'est qu'apparemment il n'est pas bon que certains doutes sur la foi soient éclaircis, afin qu'il reste matière à ces tentations et à ces épreuves, qui font les saints et les martyrs.

TOME XIII.

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