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se dire seulement: Frères, il faut mourir. Ces ordres rigoureux du christianisme étoient des écoles de morale en action, instituées au milieu des plaisirs du siècle : ils offroient sans cesse des modèles de pénitence et de grands exemples de la misère humaine, aux yeux du vice et de la prospérité.

Quel spectacle que celui du Trappiste mourant! quelle sorte de haute philosophie! quel avertissement pour les hommes! Étendu sur un peu de paille et de cendre, dans le sanctuaire de l'église, ses frères rangés en silence autour de lui, il les appelle à la vertu, tandis que la cloche funèbre sonne ses dernières agonies. Ce sont ordinairement les vivants qui engagent l'infirme à quitter courageusement la vie; mais ici, c'est une chose plus sublime, c'est le mourant qui parle de la mort. Aux portes de l'éternité, il la doit mieux connoître qu'un autre; et, d'une voix qui résonne déjà entre des ossements, il appelle avec autorité ses compagnons, ses supérieurs même à la pénitence. Qui ne frémiroit, en voyant ce religieux qui vécut d'une manière si sainte, douter encore de son salut à l'approche du passage terrible? Le christianisme a tiré du fond du sépulcre toutes les moralités qu'il renferme. C'est par la mort que la morale est entrée dans la vie : si l'homme, tel qu'il est au

TOME XIII.

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jourd'hui après sa chute, fût demeuré immortel, peut-être n'eût-il jamais connu la vertu 1.

Ainsi s'offrent de toutes parts dans la religion les scènes les plus instructives ou les plus attachantes: là, de saints muets, comme un peuple enchanté par un filtre, accomplissent sans paroles les travaux des moissons et des vendanges: ici, les filles de Claire foulent de leurs pieds nus les tombes glacées de leur cloître. Ne croyez pas toutefois qu'elles soient malheureuses au milieu de leurs austérités; leurs cœurs sont purs, et leurs yeux tournés vers le ciel, en signe de désir et d'espérance. Une robe de laine grise est préférable à des habits somptueux, achetés au prix des vertus; le pain de la charité est plus sain que celui de la prostitution. Hé! de combien de chagrins ce simple voile baissé entre ces filles et le monde ne les sépare-t-il pas!

En vérité, nous sentons qu'il nous faudroit un tout autre talent que le nôtre pour nous tirer dignement des objets qui se présentent à nos yeux. Le plus bel éloge que nous pourrions faire de la vie monastique, seroit de présenter le catalogue des travaux auxquels elle s'est consacrée. La religion, laissant à notre cœur le soin de nos joies, ne s'est occupée, comme une tendre

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Voyez la note DD à la fin du volume.

mère, que du soulagement de nos douleurs; mais, dans cette œuvre immense et difficile, elle a appelé tous ses fils et toutes ses filles à son secours. Aux uns, elle a confié le soin de nos maladies, comme à cette multitude de Religieux et de Religieuses dévoués au service des hôpitaux; aux autres, elle a délégué les pauvres, comme aux Sœurs de la Charité. Le Père de la Rédemption s'embarque à Marseille: où va-t-il seul ainsi avec son bréviaire et son bâton? Ce conquérant marche à la délivrance de l'humanité, et les armées qui l'accompagnent sont invisibles. La bourse de la charité à la main, il court affronter la peste, le martyre et l'esclavage. Il aborde le Dey d'Alger, il lui parle au nom de ce Roi céleste dont il est l'ambassadeur. Le Barbare s'étonne à la vue de cet Européen, qui ose, seul, à travers les mers et les orages, venir lui redemander des captifs : dompté par une force inconnue, il accepte l'or qu'on lui présente; et l'héroïque libérateur, satisfait d'avoir rendu des malheureux à leur patrie, obscur et ignoré, reprend humblement à pied le chemin de son monas

tère.

Partout c'est le même spectacle : le missionnaire qui part pour la Chine rencontre au port le missionnaire qui revient, glorieux et mutilé, du Canada; la sœur-grise court administrer l'in

digent dans sa chaumière; le Père Capucin vole à l'incendie; le Frère Hospitalier lave les pieds du voyageur; le Frère du Bien-Mourir console l'agonisant sur sa couche; le Frère Enterreur porte le corps du pauvre décédé ; la Sœur de la Charité monte au septième étage pour prodiguer l'or, le vêtement et l'espérance: ces filles, si justement appelées Filles-Dieu, portent et reportent çà et là les bouillons, la charpie, les remèdes; la fille du Bon-Pasteur tend les bras à la fille prostituée, et lui crie: Je ne suis point venue pour appeler les justes, mais les pécheurs! l'orphelin trouve un père, l'insensé un médecin, l'ignorant un instructeur. Tous ces ouvriers en œuvres célestes se précipitent, s'animent les uns les autres. Cependant la religion, attentive, et tenant une couronne immortelle, leur crie: << Courage, mes enfants! courage! hâtez-vous, soyez plus prompts que les maux dans la carrière de la vie! méritez cette couronne que je vous prépare; elle vous mettra vous-mêmes à l'abri de tous maux et de tous besoins. >>

Au milieu de tant de tableaux, qui mériteroient chacun des volumes de détails et de louanges, sur quelle scène particulière arrêterons-nous nos regards? Nous avons déjà parlé de ces hôtelleries que la religion a placées dans les solitudes des quatre parties du monde,

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fixons donc à présent les yeux sur des objets

d'une autre sorte.

Il y a des gens pour qui le seul nom de capucin est un objet de risée. Quoi qu'il en soit, un Religieux de l'ordre de saint François étoit souvent un personnage noble et simple.

Qui de nous n'a vu un couple de ces hommes vénérables, voyageant dans les campagnes, ordinairement vers la fête des Morts, à l'approche de l'hiver, au temps de la quête des vignes? Ils s'en alloient, demandant l'hospitalité dans les vieux châteaux sur leur route. A l'entrée de la nuit, les deux pèlerins arrivoient chez le châtelain solitaire : ils montoient un antique perron, mettoient leurs longs bâtons et leurs besaces derrière la porte, frappoient au portique sonore, et demandoient l'hospitalité. Si le maître refusoit ces hôtes du Seigneur, ils faisoient un profond salut, se retiroient en silence, reprenoient leurs besaces et leurs bâtons, et, sccouant la poussière de leurs sandales, ils s'en alloient, à travers la nuit, chercher la cabane du laboureur. Si, au contraire, ils étoient reçus, après qu'on leur avoit donné à laver, à la façon des temps de Jacob et d'Homère, ils venoient s'asseoir au foyer hospitalier. Comme aux siècles antiques, afin de se rendre les maîtres favorables (et parce que, comme Jésus-Christ, ils

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