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chrétiens, ni les juifs, n'avoient aucun intérêt à brûler Rome; mais il falloit apaiser le peuple qui se soulevoit contre des étrangers également haïs des Romains et des Juifs. On abandonna quelques infortunés à la vengeance publique. (Quelle vengeance, s'ils n'étoient pas coupables!) Il semble qu'on n'auroit pas dû compter parmi les persécutions faites à leur foi, cette violence passagère. Elle n'avoit rien de commun avec leur religion qu'on ne connoissoit pas (nous allons entendre Tacite), et que les Romains confondoient avec le judaïsme, protégé par les lois autant que méprisé 1.»Voilà peut-être un des passages historiques les plus étranges qui soient jamais échappés à la plume d'un auteur.

Voltaire n'avoit-il jamais lu ni Suétone, ni Tacite? Il nie l'existence ou l'authenticité des inscriptions trouvées en Espagne, où Néron est remercié d'avoir aboli dans la province une superstition nouvelle. Quant à l'existence de ces inscriptions, on en voit une à Oxford: Neroni Claud. Cais. Aug. Max. ob Provinc. latronib. et His qui novam generi hum. Superstition. inculcab. purgat. Et pour ce qui regarde l'inscription elle-même, on ne voit pas pourquoi Voltaire doute que cette nouvelle superstition soit la religion chrétienne. Ce sont les propres paroles de Suétone: Afflicti suppliciis christiani, genus hominum superstitionis novæ ac maleficæ 2.

Le passage de Tacite va nous apprendre maintenant quelle fut cette violence passagère exercée très

1 Essai sur les Mœurs, chap. III.

2 Suet. in Nero.

sciemment, non sur les juifs, mais sur les chrétiens.

« Pour détruire les bruits, Néron chercha des coupables, et fit souffrir les plus cruelles tortures à des malheureux abhorrés pour leurs infamies, qu'on appeloit vulgairement chrétiens. Le Christ, qui leur donna son nom, avoit été condamné au supplice, sous Tibère, par le procurateur Ponce-Pilate, ce qui réprima pour un moment cette exécrable superstition. Mais bientôt le torrent se déborda de nouveau, non seulement dans la Judée, où il avoit pris sa source " mais jusque dans Rome même, où viennent enfin se rendre et se grossir tous les égouts de l'univers. On commença par se saisir de ceux qui s'avouèrent chrétiens; et ensuite, sur leurs dépositions, d'une multitude immense qui fut moins convaincue d'avoir incendié Rome que de haïr le genre humain ; et à leur supplice, on ajoutoit la dérision : on les enveloppoit de peaux de bêtes, pour les faire dévorer par les chiens; on les attachoit en croix, ou l'on enduisoit leurs corps de résine, et l'on s'en servoit la nuit pour s'éclairer. Néron avoit cédé ses propres jardins pour ce spectacle, et dans le même temps il donnoit des jeux au cirque, se mêlant parmi le peuple en habit de cocher, ou conduisant les chars. Aussi, quoique coupables et dignes des derniers supplices, on se sentoit ému de compassion pour ces victimes, qui sembloient immolées moins au bien public qu'aux passe-temps d'un

barbare . >>

I

Tacit., Ann., lib. xv, 44; trad. de M. Dureau-Delamalle, 2 édit., tom. III, 291.

Les mouvements de compassion dont Tacite semble saisi à la fin de ce tableau, contrastent bien tristement avec un auteur chrétien, qui cherche à affoiblir la pitié pour les victimes. On voit que Tacite désigne nettement les chrétiens; il ne les confond point avec les juifs, puisqu'il raconte leur origine, et que d'ailleurs, en parlant du siége de Jérusalem, il fait, dans un autre endroit, l'histoire des Hébreux et de la religion de Moïse. On devine pourtant ce qui a fait avancer à Voltaire que les Romains croyoient persécuter des juifs en persécutant les fidèles. C'est sans doute cette phrase: Moins convaincus d'avoir incendié Rome que de hair le genre humain, que l'auteur de l'Essai a interprétée des juifs, et non des chrétiens. Or, il ne s'est pas aperçu qu'il faisoit l'éloge de ces derniers, tout en les voulant priver de la pitié du lecteur. C'est une grande gloire pour les chrétiens, dit Bossuet, d'avoir eu pour premier persécuteur le persécuteur du genre humain. L'article de Voltaire nous fait faire un triste retour sur cet esprit de parti qui divise tous les hommes, et étouffe chez eux les sentiments naturels. Que le ciel nous préserve de ces horribles haines d'opinion, puisqu'elles rendent si injuste!

NOTE DD, page 274.

M. de Cl..., obligé de fuir pendant la terreur avec un de ses frères, entra dans l'armée de Condé; après y avoir servi honorablement jusqu'à la paix, il se résolut de quitter le monde. Il passa en Espagne, se re

tira dans un couvent de Trappistes, y prit l'habit de l'ordre, et mourut peu de temps après avoir prononcé ses vœux : il avoit écrit plusieurs lettres à sa famille et à ses amis, pendant son voyage en Espagne et son noviciat chez les Trappistes. Ce sont ces lettres que l'on donne ici. On n'a rien voulu y changer; on y verra une peinture fidèle de la vie de ces religieux, dont les mœurs ne sont déjà plus pour nous que des traditions historiques. Dans ces feuilles écrites sans art, il règne souvent une grande élévation de sentiments, et toujours une naïveté, d'autant plus précieuse, qu'elle appartient au génie françois, et qu'elle se perd de plus en plus parmi nous. Le sujet de ces lettres se lie au souvenir de tous nos malheurs : elles représentent un jeune et brave François chassé de sa famille par la révolution, et s'immolant dans la solitude, victime volontaire offerte à l'Éternel, pour racheter les maux et les impiétés de la patrie : ainsi, saint Jérôme au fond de sa grotte, tâchoit, en versant des torrents de larmes, et en élevant ses mains vers le ciel, de retarder la chute de l'empire romain. Cette correspondance offre donc une petite histoire complète, qui a son commencement, son milieu et sa fin. Je ne doute point que si on la publioit comme un simple roman, elle n'eût le plus grand succès. Cependant elle ne renferme aucune aventure : c'est un homme qui s'entretient avec ses amis, et qui leur rend compte de ses pensées. Où donc est le charme de ces lettres ? Dans la religion. Nouvelle preuve qui vient à l'appui des principes que j'ai essayé d'établir dans mon ouvrage.

A. MM. de B... ses compagnons d'émigration,
à Barcelonne.

15 mars 1799.

Mon dernier voyage, mes chers amis (c'est celui de Madrid), a été très-agréable. J'ai passé à Aranjuez, où étoit la famille royale. J'ai resté cinq jours à Madrid, autant à Sarragosse, où j'ai eu l'avantage de visiter Notre-Dame du Pilar. J'ai eu plus de plaisir à parcourir l'Espagne, que je n'en avois eu à parcourir les autres pays. On a l'avantage d'y voyager à meilleur marché que nulle part que je connoisse. Je n'ai rien perdu de mes effets, quoique je sois très-peu soigneux: on trouve ici beaucoup de braves gens qui savent exercer la charité. On épargne beaucoup en portant avec soi un sac qu'on remplit chaque soir de paille, pour se coucher; mais je n'ai plus de goût à parler de tout cela. J'ai dit adieu aux montagnes et aux lieux champêtres. J'ai renoncé à tous mes plans de voyage sur la terre, pour commencer celui de l'éternité. Me voici depuis neuf jours à la Trappe de Sainte-Suzanne, où j'ai résolu, avec la grâce de Dieu, de finir mes jours. J'ai moins de mérite qu'un autre à souffrir les peines du corps, vu l'habitude que je m'en étois faite, par épicuréisme.

On ne mène pas ici une vie de fainéants; on se lève à une heure et demie du matin, on prie Dieu, ou on fait des lectures pieuses jusqu'à cinq; puis commence le travail, qui ne cesse que vers les quatre heures et

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