Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

demie du soir, qu'on rompt le jeûne je parle pour les frères convers dont je fais nombre; les pères, qui travaillent aussi beaucoup, quittent les champs aux heures marquées, pour se rendre au choeur, où ils chantent l'office de la Sainte-Vierge, l'office ordinaire, et celui des morts. Nous autres frères, nous interrompons aussi notre travail, pour faire nos prières par intervalles, ce qui s'exécute sur le lieu. On ne passe guère une demi-heure sans que l'ancien frappe des mains pour nous avertir d'élever nos pensées vers le ciel, ce qui adoucit beaucoup toutes les peines; on se ressouvient qu'on travaille pour un maître qui ne nous fera pas attendre notre salaire au temps marqué.

J'ai vu mourir un de nos Pères. Ah! si vous saviez quelle consolation on a dans ce moment de la mort! Quel jour de triomphe! Notre révérend Père abbé demanda à l'agonisant : « Hé bien, êtes-vous faché maintenant d'avoir un peu souffert ? » Je vous avoue, à ma honte, que je me suis senti quelquefois envie de mourir, comme ces soldats lâches qui désirent leur congé avant le temps. Sainte-Marie Égyptienne fit quarante ans pénitence; elle étoit moins coupable que moi, et il y a mille ans qu'elle se repose dans la gloire.

Priez pour moi, mes chers amis, afin que nous puissions nous retrouver au grand jour.

Faites savoir, je vous prie, au cher Hippolyte et à mes sœurs le parti que j'ai pris. Je leur écrirai dans six semaines, et ils peuvent m'écrire à l'adresse que je vous donnerai.

Nous sommes ici soixante-dix, tant Espagnols que François, et cependant la maison est très-pauvre, voilà pourquoi je veux faire venir les 300 livres. D'ailleurs, quoiqu'avec la grâce de Dieu, j'espère persister dans ma résolution, j'ai un an pour sortir.

Vous pouvez donc écrire au révérend Père abbé de la Trappe de Sainte-Suzanne, par Alcaniz à Maëlla, pour le frère Charles Cl.

(Vous aurez soin de mettre en tête de la lettre España, et après Maëlla, en Aragon.)

Lettre écrite à ses frères et sœurs en France.

Première semaine de Pâques, 1799.

Me voici à Sainte-Suzanne depuis le premier lundi de carême; c'est un couvent de Trappistes, où je compte finir mes jours : j'ai déjà éprouvé tout ce qu'il y a de plus austère dans le cours de l'année. On ne se lève jamais plus tard qu'à une heure et demie du matin; au premier coup de cloche on se rend à l'église ; les frères convers, dont je fais nombre sous le nom Fr. J. Climaque, sortent à deux heures et demie pour aller étudier les psaumes ou faire quelqu'autre lecture spirituelle; à quatre heures, on rentre à l'église jusqu'à cinq heures, que commence le travail. On s'occupe dans un atelier jusqu'au jour; alors on prend une pioche large et une étroite, puis on va en ordre travailler, ce qui dure quelquefois jusqu'à trois heures de l'après-midi. On se rapproche ensuite du couvent où l'on reprend le travail dans l'atelier, en attendant

[ocr errors]

quatre heures et un quart, heure à laquelle sonne le diner. En se levant de table, on va processionnellement à l'église, en récitant le Miserere; l'on en sort en chantant le De profundis, et l'on retourne au travail dans l'atelier. Là on carde, on file, on fait du drap, et autres choses, chacun selon son talent. Tout ce dont nous nous servons doit se faire dans la maison par les mains des frères, autant que cela est possible; chacun doit gagner sa vie à la sueur de son front, faisant profession d'être pauvre, et de n'être à charge à donnant au contraire l'hospitalité à gens personne, de tout état qui viennent nous voir; cependant nous n'avons que deux attelages de mules, et environ deux cents brebis et quelques chèvres qui vont paître dans les montagnes arides qui nous environnent. Ce ne peut être que par les soins d'une providence particulière, que soixante-dix personnes vivent avec si peu de chose, sans compter une foule d'étrangers qui viennent de toutes parts, et auxquels on donne du pain blanc, et tout ce que nous pouvons leur donner en maigre, apprêté à l'huile ou au beurre, dont nous ne faisons pas usage. Notre pain, s'il est de froment, ne doit avoir passé qu'une fois par le crible, et la farine doit être employée comme elle sort du moulin. Comme je suis maladroit pour filer dans l'atelier, je trie les fèves ou lentilles de nos repas. Le riz ne se trie pas de même, et tout se mange sans autre accommodage que cuit à l'eau et au sel.

A cinq heures trois quarts, on va au cloître lire ou prier Dieu jusqu'à six heures. Il se fait une lecture que

tout le monde écoute. La lecture finie, les Pères entrent ́à l'église pour dire complies. Le Père-maître, qui est un ancien moine de Sept-Fonds, distribue le travail aux frères, à mesure qu'ils entrent dans l'église; après complies, on sonne une cloche qui réunit tout le monde, pour chanter Salve Regina, ce qui dure un quart d'heure. Le chant en est très-beau, et cela seul délasse de tous les travaux de la journée; vient ensuite un demi-quart d'heure d'adoration. A sept heures un quart, on dit le Sub tuum præsidium; cela fait, tous les individus de la maison vont se prosterner à la file dans le cloître, et là, couchés sur la terre, comme le roi David, ils disent le Miserere dans un grand silence : cette dernière cérémonie me paroît sublime; l'homme ne me semble jamais mieux à sa place, que lorsqu'il s'humilie devant son auteur. Enfin le révérend Pèreabbé se lève, et placé sur la porte de l'église, il donne l'eau bénite à tous sans exception, jusqu'au dernier des novices. Arrivés au dortoir, on se met à genoux aux pieds de son lit, jusqu'à ce qu'on entende une petite cloche, qui est le signal pour se coucher, ce qui se fait à sept heures et demie.

Il y a ensuite une infinité de petites contradictions, qui, venant sans cesse à la rencontre des habitudes, inquiètent dans les premiers jours. On ne doit jamais, par exemple, s'appuyer si l'on est assis, ni s'asseoir si on est fatigué, pour le seul fait de se reposer : c'est que l'homme est né pour travailler dans ce monde, et qu'il ne doit attendre de repos qu'arrivé au terme de son pèlerinage. On perd ainsi toute propriété sur son

corps

il

: si l'on se blesse d'une manière un peu grave, faut s'aller accuser à genoux, tout comme lorsqu'on brise un vase de terre, et cela sans parler; il suffit de montrer le sang qui coule, ou les fragments de la chose brisée. Puis il y a le chapitre des fautes: on doit s'accuser à haute voix des fautes purement matérielles; en outre, il y a souvent quelque frère qui vous proclame, en dénonçant des fautes que vous avez commises par · ignorance ou autrement. Je serois trop long, si je disois tout le reste.

A la vérité, le temps du carême est ce qu'il y a de plus austère; hors de là je crois qu'on ne dîne jamais plus tard que deux heures : j'ai commencé par ce temps de pénitence; j'ai fait comme les coureurs, qui s'exercent d'abord avec des souliers de plomb. Il me semble maintenant que nous menons une vie de Sybarites, et en vérité nous pouvons dire: Hélas! que nous faisons peu de chose en comparaison de ce qu'ont fait les saints! Quand je pense aux entreprises des aventuriers américains, à leur passage de la mer Atlantique à la mer du Sud, à travers l'isthme de Panama, et ce qu'ils ont dû souffrir pour se faire un chemin à travers les arbres et les ronces, qui n'avoient cessé de s'entrelacer depuis l'origine du monde, à ce qu'ils ont éprouvé dans ces vallées désertes sous les feux de l'équateur, passant de là tout à coup sur des glaciers, et tout cela par le seul désir de s'emparer de l'or des Indiens; en considérant tous ces vains efforts pour des biens trompeurs, et sachant d'ailleurs que l'espérance de ceux qui travaillent pour Dieu ne sera pas frustrée, on doit s'écrier:

« ZurückWeiter »