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sorte que je me suis remis sur-le-champ. Le jour de Pâques, nous eûmes pour dîner, une bouillie de farine de maïs, du riz au lait, et des noix pour dessert. L'archevêque d'Auch, qui étoit venu donner les ordres à plusieurs de nos Pères, dîna au réfectoire. Le soir nous eûmes du raisiné et des raisins secs. Nous pouvons manger du laitage de nos brebis jusqu'à la Pentecôte. Quant à la quantité de nourriture, il ne m'est jamais arrivé de finir tout ce qu'on me donne. Je crois être celui de la communauté qui mange le plus doucement. Pour tout le reste, je suis très - content d'être ici; la règle est sévère, mais les supérieurs sont la charité même. On accuse notre R. Père d'être trop bon; je ne trouve pas que ce soit un déut, ou c'est celui des saints. Il n'a d'autre privilég de se lever ... toujours le

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plus tôt et de se coucher plus tard. hasard qui place son écuelle devant lui: un lit comme les autres, deux planches réunies et un coussin de paille, pas plus de chambre que moi. Il n'a qu'un parloir, où ceux qui ont quelque peine soit de l'âme ou du corps vont chercher une consolation, et on la trouve. Une chose que m'avoit dite en arrivant le Père qui reçoit les étrangers, je l'éprouve déjà : sans jamais se parler, on est plein d'amitié les uns pour les autres; si quelqu'un se relâche, on a du chagrin, on prie pour lui, on l'avertit avec la plus grande douceur; et, si on est forcé de le renvoyer, ou qu'il veuille s'en aller lui-même, on lui rend tout ce qu'il a apporté, ne retenant pas une obole pour sa nourriture ou ses habits, et on fait tout ce qu'on peut pour qu'il s'en

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aille content. Lorsque le père, la mère, ou quelque frère d'un Religieux meurt, si la famille a soin d'écrire au révérend Père, toute la communauté prie pour le défunt, mais personne ne sait qui cela regarde en propre : ainsi, cher frère, lorsque le bon Dieu vous appellera à lui, que cela vous soit une consolation dans ces derniers moments.

Ce qui me détermine à rester ici d'une manière décisive, c'est qu'il ne faut pas de vocation particulière pour y vivre; ce n'est pas comme dans les autres couvents; nous sommes, à proprement parler, des laboureurs qui vivent du travail de leurs mains, réunis, comme dans les premiers siècles de l'Église, pour servir Dieu dans un esprit de charité, suivant le précepte de notre Sauveur, qui dit au jeune homme: Abandonnez tout pour me suivre, sans lui demander s'il avoit la vocation. Une autre chose qui suffiroit pour me déterminer, c'est que notre maison est sous la protection particulière de la Vierge. Dès que nous entrons à l'église, on récite l'Ave, Maria, prosterné contre terre, le front appuyé sur le revers de la main. La Sainte-Vierge est au maître-autel, peinte entre deux anges, et les yeux élevés vers le ciel; je n'ai jamais rien vu de représenté si noblement : cet autel avoit été couvert tout le carême; quel plaisir nous ressentîmes tous le Samedi-Saint au soir, au Salve, Regina, lorsque le voile fut levé, et toute l'église illuminée! Je suis persuadé que l'archevêque d'Auch partagea notre joie; j'avois reçu sa bénédiction.

Certainement, après tout ce que je vous ai dit, je ne

désire rien tant que de mourir ici, et cela bientôt, pour ne pas augmenter le nombre de mes fautes. Mais si on me renvoyoit par défaut de santé (mes hémorrhagies pouvant me faire traîner une vie foible et inutile, là où l'on aime les gens qui travaillent), je prendrois le parti que j'avois toujours eu en vue, depuis quatorze ou quinze ans ; c'est d'acheter une petite maison et un champ, et de vivre là à la sueur de mon front, tous les hommes y étant condamnés : je me fixerai en Espagne, ne pouvant pas revenir en France sans inquiéter mes amis. D'ailleurs, dans ce pays-ci, on donne du terrain à très bon marché, et mille écus suffiroient, je pense, à mon établissement. Je tirerai toujours un grand profit d'être venu ici apprendre à faire pénitence, et à ne compter pour rien un corps destiné à devenir incessamment poussière, pour sauver mon âme qui est éternelle.

Au reste, ni l'habit, ni la maison ne rend vertueux : les mauvais anges péchèrent dans le sein de Dieu même, et Adam dans le paradis terrestre. Je sens bien que je n'en vaux pas davantage, pour être dans cette sainte congrégation : en théorie, je désire souffrir, parce que notre Sauveur nous a montré le chemin des souffrances comme l'unique pour conduire à la gloire; mais en pratique, lorsque j'ai froid, je cherche le soleil, et si j'ai trop chaud, je me réfugie à l'ombre. Envoyez-moi mon extrait de baptême d'ici au 19 mars. Je compte vous écrire encore une autre fois, dans trois mois on peut le faire toute l'année du noviciat.

Adieu, mes chers frères; adieu à tous mes amis, particulièrement à Z., à C. et à Flo. : ceux-là sont de la famille.

P. S. Il y a près de quarante jours que ma lettre est commencée, et je sens de plus en plus combien grande a été la miséricorde du Seigneur envers moi, en me tirant de la voie large pour me conduire ici. Quand, après avoir lu la vie de sainte Marie d'Égypte, je me déterminai à suivre le parti que j'ai pris, ma résolution étoit ferme; mais je ne savois pas encore à quoi je m'engageois. Aujourd'hui je le sais, et je vois bien qu'une pareille grâce n'a pu m'être acquise qu'au prix du sang de celui qui nous a rachetés tous, et qui ne cherche que le salut du pécheur... J'ai fait une aumône de trois cents livres à la maison de la Trappe, au nom de mes trois sœurs et de mes trois frères : ce me sera une grande consolation, si je persévère, comme je l'espère, d'entendre tant de braves gens prier pour ma famille; si je m'en vais, ce qu'à Dieu ne plaise, il me reste encore trois cents livres, montre, etc... Adieu, chers frères, chères sœurs. Ne vous souvenez plus de moi que dans vos prières; car je suis mort pour vous, et je désire ne plus vous revoir qu'au jour de la résurrection. Soyez charitables, faites du bien à ceux même qui ont cherché à vous nuire, car l'aumône est comme un second baptême qui efface les péchés, et un moyen presque infaillible de mériter le ciel. Ainsi, dépouillez - vous en faveur des pauvres c'est en faveur de Jésus-Christ que vous vous dépouillerez, et il aura pitié de vous. Puis

siez-vous être persuadés de ce que je vous dis! Adieu. 2 juin 1799.

Billet inséré dans la même lettre pour sa nièce, ágée de sept ans, qui restoit auprès de sa grand'mère maternelle pendant l'émigration de son père.

Chère T..., embrasse tout le monde à F... de ma part, bien des deux bras, et porte tout ton cœur sur tes lèvres, afin que tu puisses remplir cette commission selon mes désirs. Je t'envoie une image de NotreDame de la Trappe : va la placer à la chapelle; ne manque pas d'aller dire tous les jours un Ave, Maria, devant cette image. Quand tu sauras le Salve, Regina, tu le réciteras bien dévotement, et tu gagneras quatrevingts jours d'indulgence pour chaque fois. Comme j'ai appris que ton oncle aíné étoit marié, dans le cas qu'il reste à L..., je t'en envoie deux, pour que tu lui en donnes une, en le priant de la mettre aussi à la chapelle. Je suis persuadé qu'on suivra chez lui le bel exemple que sa mère donne chaque jour à F... Tu lui diras : C'est ainsi, cher oncle, que vous attirerez sur vous et vos enfants les bénédictions du ciel, et après avoir joui de toute prospérité dans ce monde, vous serez comblé d'un bonheur éternel dans l'autre. Après cela embrasse-le bien tendrement, et ta mission sera finie. Adieu, chère T..., permets-moi de t'embrasser, quoiqu'avec une barbe d'environ deux mois; elle ne t'atteindra pas. Adieu encore, chère T..., sois bien pieuse, et tu es assurée de ne point périr.

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