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Fragment d'une lettre du mois d'avril 1800, à son frère, compagnon d'émigration.

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Je ne suis plus au courant de ce qui se passe. Ce ne m'est pas une privation : la pièce est trop longue pour espérer d'en voir la fin; la mort elle-même baissera bientôt la toile pour nous. Ah! mon frère, puissionsnous avoir le bonheur d'entrer au ciel ! Que de choses ne verrons-nous pas alors! Espérons en celui qui a pris sur lui les péchés du monde, et qui par sa mort nous donna la vie... S'il me reste quelque chose, je désire qu'on fasse bâtir une chapelle dédiée à Notre-Dame des sept Douleurs, dans l'arrondissement de la maison paternelle, selon le projet que nous en fìmes sur la route de Munich. Vous vous rappelez le plaisir que nous avions, après avoir traversé des pays protestants, de trouver enfin le signe du salut, le seul espoir du pécheur. Sitôt que la police ne s'y opposera plus, hâtez-vous de faire élever des croix, pour la consolation des voyageurs, avec des siéges pour les gens fatigués, et une inscription comme en Bavière: Ihr müden ruhen sie aus, « Vous qui êtes fatigués, reposez-vous. » Qu'il soit fondé douze messes par an, le premier samedi de chaque mois, pour le repos de l'âme de mon père, et puis pour toute la famille. J'étois dans l'usage de faire dire une messe tous les mois pour mon père: en attendant que la chapelle se fasse, je prie M... (son frère, prêtre) de remplir mon engagement.

Billet à ses sœurs, joint à une autre lettre à son frère.

Ma lettre auroit dû être partie depuis quelque temps; je crains qu'elle ne trouve plus mon frère en R... Nous sommes à cueillir des olives par un vent du nord trèsfroid; ce qui fait un peu souffrir. Je suis devenu trèsfrileux, ce que j'attribue à la laine que j'ai sur la peau. La veille de la Pentecôte, je ne pus réchauffer mes pieds de tout le jour, quoique nous portions tous des chaussons de molleton; je sens aussi quelquefois froid à la tête, malgré mes deux capuchons. Du reste, mes hémorrhagies ont beaucoup diminué, et j'ai repris mes forces... Plus on souffre pour Dieu, plus on est heureux par l'opinion de gagner le ciel, et on se réjouit en pensant que la vie de l'homme est comme la fleur des champs. Bientôt nous ne serons plus, chères sœurs, et nos neveux sauront à peine que nous avons existé. Voici un des grands avantages de la vie religieuse; c'est que tout ce qui annonce la dissolution prochaine et le tombeau cause autant de joie qu'on est attristé dans le monde par tout ce qui en rappelle le souvenir. Ne soyez pas gens du monde, et que la certitude de la mort vous console au milieu de toutes les peines qui pourroient vous survenir. C'est là le port de tous les vrais serviteurs de Dieu; c'est là qu'ils entreront dans la joie de leur Seigneur. Écoutez donc cette voix qui crie du ciel : Heureux ceux qui meurent dans le Seigneur! Chère Rosalie, et toi, cher filleul, puisque nous ne devous plus nous revoir dans ce monde, tâchons de nous retrouver dans l'autre.

6 décembre 1800.

Fragment d'une lettre à ses sœurs, du 1er février 1801.

Je vais vous donner, mes chères sœurs, une idée de la maison où je dois probablement finir mes jours. En 1693, les François, ayant pénétré en Aragon, prirent le château Maëlla, et vinrent à l'abbaye de Sainte-Suzanne, qu'ils saccagèrent. Ce couvent, abandonné depuis plus d'un siècle, tomboit en ruine, lorsque dom Jérosime d'Alcantara, notre abbé, y est arrivé avec cinq ou six autres pauvres religieux. Les aumônes sont venues de toutes parts : les gens du peuple, n'ayant pas d'autre chose à donner, ont prêté leurs bras, et bientôt la maison a été assez bien réparée pour des hommes qui doivent vivre dans une entière abnégation d'eux-mêmes. Il n'y a pas de mendiant en Espagne qui se nourrisse aussi mal, et qui ne soit mieux pour ce qui regarde le bien-être du corps; cependant on y est heureux par l'espérance, et il n'y en a pas un qui voulût changer son état contre un empire. Dans ce monde, la mort qui se hâte vient confondre l'empereur et le moine chacun s'en va n'emportant que ses œuvres; alors on est bien aise d'avoir semé au milieu des larmes; le mal est passé, la joie lui succède pour l'éternité. Je regarde comme une grande grâce d'être arrivé assez à temps pour avoir part aux travaux et aux peines qui suivent un nouvel établissement...

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J'ai gardé les brebis, avec une vingtaine de chèvres ; le maître berger voulut un jour me quitter pour aller chercher quelques agneaux : je ne sais si je rêvois au

premier âge du monde, lorsque tout étoit commun: des cris qui venoient de loin me firent apercevoir que mon troupeau étoit dans les vignes; je criai aussi, je lançai des pierres, les chèvres gagnèrent un coteau voisin, et le reste suivit. Le berger, voyant cette belle conduite, me demanda : Si in mi tiera era pastor1? J'ai été depuis garder les moutons avec un petit frère de quinze ou seize ans ; il a une figure douce, telle que devoit être celle du bon Abel. Il me laissa errer de coteau en coteau; je le menai à près d'une lieue du

couvent.

En Espagne, les seigneurs font de grandes aumônes. On a augmenté notre labourage, de manière que, quoique nous soyons très-nombreux, je crois qu'en bien travaillant, nous pourrons vivre sans secours d'étrangers, sans compter la foule de curieux et de pauvres que nous hébergeons. Je vous donne tous ces détails pour vous faire voir combien le bon Dieu a béni cet établissement : c'est ce que nous faisoit remarquer dernièrement notre abbé, qui est François, quoique sa famille soit originaire d'Espagne.

Fragment d'une lettre à ses sœurs, du 10 mars 1801.

Que vous êtes heureuses, mes chères sœurs, de voir les églises se rouvrir : profitez-en, soyez reconnoissantes, réjouissez-vous en Dieu qui ne cesse de vous protéger... Mon parti est bien pris, me voici fixé jusqu'à la mort; je

- Si j'étois herger dans mon pays?

messe que

souffre quelquefois, mais cette chère espérance que le bon Dieu a mise dans mon âme vient tous les soirs adoucir mes peines; et lorsque je me rappelle la profit notre Sauveur à saint Pierre pour tous ceux qui renonceront aux biens de ce monde pour le suivre : d'où me vient ce bonheur, me dis-je, que j'ai été appelé à suivre un si grand maître, qui donne le ciel pour un peu de terre? Quelquefois le souvenir des péchés de ma vie passée m'inquiète ; je sens bien que je n'ai encore rien fait pour satisfaire à une si grande dette, puis je me tranquillise en lisant cette belle méditation de saint Augustin: « Le souvenir de » mes iniquités pourroit me faire désespérer si le Verbe » de Dieu ne se fût fait chair, et n'eût habité parmi >> nous; mais maintenant je n'ose plus désespérer, parce » que si, lorsque nous étions ennemis, nous avons été réconciliés, etc. etc. » Il est impossible de ne pas reprendre courage. Procurez-vous ce livre de Méditations, Soliloques et Manuel de saint Augustin. Toute personne qui sert Dieu ne peut lire qu'avec transport ces belles peintures de la Jérusalem céleste. Quel puissant aiguillon pour s'animer à faire quelque chose pour notre Sauveur, qui, par sa mort, nous mérite une si belle vie! Lisez le Traité de l'amour de Dieu de saint François de Sales; c'est un des livres qui m'ont fait le plus de plaisir en ma vie, quoique je l'aie lu en espagnol.

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