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bles, aux prêtres. Le François n'a jamais ployé servilement sous le joug; il s'est toujours dédommagé, par l'indépendance de son opinion, de la contrainte que les formes monarchiques lui imposoient. Les Contes de Rabelais, le traité de la Servitude volontaire de la Boëtie, les Essais de Montaigne, la Sagesse de Charron, les Républiques de Bodin, les écrits en faveur de la Ligue, le traité où Mariana va jusqu'à défendre le régicide, prouvent assez que ce n'est pas d'aujourd'hui seulement qu'on ose tout examiner. Si c'étoit le titre de citoyen, plutôt que celui de sujet, qui fit exclusivement l'historien, pourquoi Tacite, Tite-Live même, et, parmi nous, l'évêque de Meaux et Montesquieu, ont-ils fait entendre leurs sévères leçons sous l'empire des maîtres les plus absolus de la terre ? sans doute, en censurant les choses déshonnêtes, et en louant les bonnes, ces grands génies n'ont pas cru que la liberté d'écrire consistât à fronder les gouvernements, et à ébranler les bases du devoir; sans doute s'ils eussent fait un usage si pernicieux de leur talent, Auguste, Trajan et Louis les auroient forcés au silence; mais cette espèce de dépendance n'est-elle pas plutôt un bien qu'un mal? Quand Voltaire s'est soumis à une censure légitime, il nous a donné Charles XII et le Siècle de Louis XIV; lorsqu'il a rompu tout

frein, il n'a enfanté que l'Essai sur les Mours. Il y a des vérités qui sont la source des plus grands désordres, parce qu'elles remuent les passions; et cependant, à moins qu'une juste. autorité ne nous ferme la bouche, ce sont celleslà même que nous nous plaisons à révéler, parce qu'elles satisfont à la fois et la malignité de nos cœurs corrompus par la chute, et notre penchant primitif à la vérité.

CHAPITRE V.

BEAU CÔTÉ DE L'HISTOIRE MODErne.

L est juste maintenant de considérer le revers des choses, et de montrer que

l'histoire moderne pourroit encore devenir intéressante, si elle étoit traitée par une main habile. L'établissement des Francs dans les Gaules, Charlemagne, les croisades, la chevalerie, une bataille de Bouvines, un combat de Lépante, un Conradin à Naples, un Henri IV en France, un Charles Ier en Angleterre, sont au moins des époques mémorables, des mœurs singulières, des événements fameux, des catastrophes tragiques. Mais la grande vue à saisir pour l'historien moderne, c'est le changement que le christianisme a opéré dans l'ordre social. En donnant de nouvelles bases à la morale, l'Évangile a modifié le caractère des nations, et créé en Europe des hommes tout différents des

anciens, par les opinions, les gouvernements, les coutumes, les usages, les sciences et les arts.

Et que de traits caractéristiques n'offrent point ces nations nouvelles! Ici, ce sont les Germains, peuples où la corruption des grands n'a jamais influé sur les petits, où l'indifférence des premiers pour la patrie n'empêche point les seconds de l'aimer; peuples où l'esprit de révolte et de fidélité, d'esclavage et d'indépendance, ne s'est jamais démenti depuis les jours de Tacite.

Là, ce sont ces Bataves qui ont de l'esprit par bon sens, du génie par industrie, des vertus par froideur, et des passions par raison.

L'Italie aux cent princes et aux magnifiques souvenirs, contraste avec la Suisse obscure et républicaine.

L'Espagne, séparée des autres nations, présente encore à l'historien un caractère plus original l'espèce de stagnation de mœurs dans laquelle elle repose lui sera peut-être utile un jour; et, lorsque les peuples européens seront usés par la corruption, elle seule pourra reparoître avec éclat sur la scène du monde, parce que le fond des mœurs subsiste chez elle.

Mélange du sang allemand et du sang françois, le peuple anglois décèle de toutes parts sa double origine. Son gouvernement formé de

royauté et d'aristocratie, sa religion moins pompeuse que la catholique, et plus brillante que la luthérienne, son militaire à la fois lourd et actif, sa littérature et ses arts, chez lui enfin le langage, les traits même, et jusqu'aux formes du corps, tout participe des deux sources dont il découle. Il réunit à la simplicité, au calme, au bon sens, à la lenteur germanique, l'éclat, l'emportement et la vivacité de l'esprit françois.

Les Anglois ont l'esprit public, et nous l'honneur national; nos belles qualités sont plutôt des dons de la faveur divine, que des fruits d'une éducation politique: comme les demidieux, nous tenons moins de la terre que du ciel.

Fils aînés de l'antiquité, les François, Romains par le génie, sont Grecs par le caractère. Inquiets et volages dans le bonheur, constants et invincibles dans l'adversité, formés pour les arts, civilisés jusqu'à l'excès, durant le calme de l'État; grossiers et sauvages dans les troubles politiques, flottants comme des vaisseaux sans lest au gré des passions; à présent dans les cieux, l'instant d'après dans l'abîme; enthousiastes et du bien et du mal, faisant le premier sans en exiger de reconnoissance, et le second sans en sentir de remords; ne se souvenant ni de leurs crimes, ni de leurs vertus; amants pu

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