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Fragment d'une lettre à ses frères, samedi de Páques 1801.

Après demain, mes chers frères, je ferai ma profession... Je suis étonné de me trouver si fort un dernier jour de carême. C'est bien différent du premier où je fis un dur apprentissage. Les commencements d'une chose nouvelle sont d'ordinaire pénibles, parce qu'on n'en sent pas tous les rapports; ensuite peu à peu l'habitude semble changer la nature des choses, et on est étonné de faire avec facilité ce qui avoit coûté d'abord tant de peine c'est ce qui m'arrive. Vous avez dû être étonnés que j'aie embrassé un état qui m'enchaîne, moi qui ai toujours aimé l'indépendance, cette liberté de courir et de m'agiter. Depuis quelques années, quoique j'eusse une existence aussi agréable que ma position me le pût permettre, je me sentois inquiet, j'avois quelquefois du dégoût pour la vie. Enfin, en lisant la Vie de sainte Marie d'Égypte, je me sentis touché de la consolation qu'on trouve lorsqu'on se voue entièrement au service de Dieu, de manière que je pris dès lors la ferme résolution d'embrasser l'état dans lequel je suis à la veille d'entrer sans retour... Vous me parlez de vos affaires. Souvenez-vous que vous êtes frères, tous bons chrétiens. Vous n'appréciez pas assez ce titre, si vous avez besoin d'un tiers pour vous arranger sur vos intérêts respectifs. Ne refroidissez pas l'amitié par des comptes: entre frères tout doit se faire par un à peu près. Que les plus riches aident aux plus

pauvres. Qu'il est doux de s'aimer entre frères, et de se réunir pour parler de la vie future et de Dieu qui est lui-même la parfaite charité!... Prions la sainte Vierge, prions-la, cette bonne mère, qu'elle nous réunisse tous au ciel, avec mon père, ma mère, mes sœurs qui y sont déjà, et qui prient de leur côté. Nous ne sommes pas comme les païens, qui, à la mort de leurs proches, se désolent. Pour nous, réjouissonsnous dans le Seigneur, qui ne nous sépare que pour peu de temps. Adieu, mes frères, adieu; priez pour moi.

Fragment d'une lettre à sa belle-sœur, du jour de Pâques 1801.

A la veille de me vouer entièrement au silence, ma très-chère sœur, je viens vous faire mes derniers adieux. En quittant Paris, vous fûtes la seule que je pus embrasser... Je ne sais pas où sont mes oncles: si par hasard ils sont à votre portée, renouvelez-leur tous les sentiments d'un neveu qui ne pourra plus traverser les

monts.

S'il plaît au bon Dieu, j'aurai demain le bonheur de faire mes vœux, ainsi qu'un jeune prêtre françois qui a un air bien distingué : sa figure et sa voix portent l'empreinte de la piété.

Ma lettre ne devant partir que samedi, ma profession faite, j'y ajouterai une croix comme on en met sur la tombe des morts.

Adieu encore, ma sœur et mes frères; ne cessons de

prier notre Sauveur qu'il veuille bien nous réunir à son côté droit au grand jour de la résurrection.

La famille avoit demandé un certificat de profession pour obtenir le bienfait de l'amnistie, accordé par le premier consul. Elle espéroit que la mort civile du Trappiste seroit considérée comme ayant le même effet que la mort naturelle. La lettre qui suit, écrite par un religieux de la Trappe, dispensa de faire cette nouvelle demande à la bienfaisance du gouvernement.

Lettre du Père... à la famille...

GLOIRE A DIEU.

Au Monastère de Sainte-Suzanne de N. D. de la Trappe, le 28 du mois d'août de 1802.

MONSIEUR,

Nous vous envoyons, comme vous le demandez, un certificat de la profession de Monsieur votre frère, dans ce monastère, légalisé par notre notaire royal : nous y en ajoutons un autre qui vous surprendra, et ne laissera pas de vous affliger, en vous apprenant que Monsieur votre frère mourut neuf mois après sa profession, et que le bon Dieu le retira de ce misérable monde pour le couronner dans le ciel. Les sentiments de religion dont vous êtes pénétré, Monsieur, me donnent tout lieu d'espérer que votre première tristesse sera bientôt convertie en une vraie joie, quand vous saurez quelque circonstance de la vie sainte de

Monsieur votre frère, et de la mort précieuse qu'il a faite. Non, Monsieur, ne doutez pas un instant que Dieu ne lui ait fait miséricorde, et qu'il ne ne l'ait reçu dans le sein de sa gloire : ainsi, ne pleurez point sa mort, mais enviez plutôt son heureux sort, et priezle d'être votre protecteur auprès du Seigneur pour vous obtenir le même bonheur. Monsieur votre frère vint dans ce monastère après avoir parcouru une partie de l'Espagne : il se présenta à l'hôtellerie, et déclara son désir d'entrer parmi nous. La pauvreté de la maison, et le grand nombre de religieux qui la composoient, ne nous permettoient guère de recevoir de nouveaux sujets; on lui fit beaucoup de difficultés pour l'admettre, et on finit par lui dire qu'on ne pouvoit pas le recevoir. Mais la main de Dieu, qui l'avoit conduit, le soutint dans toutes ces épreuves, et lui donna le courage de tout vaincre par sa patience et sa persévérance à demander son admission. Enfin, notre R. Père abbé, qui est plein de bonté et de tendresse, voyant sa constance, lui dit qu'il le recevoit pour Frère convers. Monsieur votre frère, qui ne cherchoit que Dieu et le salut de son âme, accepta la condition, et de suite entra aux exercices de la communauté. Il a été l'exemple et l'édification de tous dans la maison. Son humilité étoit grande et profonde, son obéissance prompte, docile et aveugle, embrassant tous les commandements avec joie et avec une soumission d'enfant. Sa patience étoit à toute épreuve, et sa charité à l'égard de ses frères, tendre, constante et ardente. Il a pratiqué les autres vertus dans le même degré de perfection; la

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pauvreté étoit son amie particulière; il vivoit dans un dépouillement entier de toute chose aussi le bon Dieu, qui voyoit la bonne disposition de son cœur, couronna bientôt ses vertus, et écouta les désirs ardents qu'il avoit de mourir, pour ne plus l'offenser, disoit-il, et jouir plus tôt de sa divine présence. Il fut attaqué d'une hydropisie, qui lui fit souffrir, pendant environ quatre mois, tout ce que cette maladie a de plus douloureux et de plus cruel; mais avec quelle patience et quelle résignation à la sainte volonté de Dieu, n'a-t-il pas souffert tous ses maux! Il voyoit venir sa fin avec un grand contentement et une paix d'âme profonde. Il ne cessoit de témoigner sa reconnoissance au Seigneur de l'avoir conduit dans cette maison de pénitence, où il avoit trouvé tant de moyens de satisfaire à sa divine justice, pour tous ses péchés, et pour se préparer à recevoir ses miséricordes, dans lesquelles il avoit une pleine confiance. Je me rappelle qu'étant couché sur la cendre et la paille, sur laquelle il consomma son sacrifice, il prenoit la main de notre R. Père abbé, avec un amour qui attendrissoit toute la communauté, qui étoit présente. Que mon bonheur est grand, disoit-il! vous êtes l'auteur de mon salut, vous m'avez ouvert les portes du monastère, et par cela même celles du ciel ; sans vous je me serois perdu misérablement dans le monde, je prierai le bon Dieu de récompenser votre grande charité à mon égard. II reçut tous les sacrements au milieu de l'église, selon l'usage de notre ordre: quelques jours avant sa mort, il demanda pardon aux Frères de tout ce qui avoit pu

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