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dame se meurt, Madame est morte. Jamais les rois ont-ils reçu de pareilles leçons? jamais la philosophie s'exprima-t-elle avec autant d'indépendance? Le diadème n'est rien aux yeux de l'orateur; par lui, le pauvre est égalé au monarque, et le potentat le plus absolu du globe est obligé de s'entendre dire, devant des milliers de témoins, que ses grandeurs ne sont que vanité, que sa puissance n'est que songe, et qu'il n'est lui-même que poussière.

Trois choses se succèdent continuellement dans les discours de Bossuet : le trait de génie ou d'éloquence; la citation, si bien fondue avec le texte, qu'elle ne fait plus qu'un avec lui; enfin, la réflexion ou le coup d'oeil d'aigle sur les causes de l'événement rapporté. Souvent aussi cette lumière de l'Église porte la clarté dans les discussions de la plus haute métaphysique, ou de la théologie la plus sublime; rien ne lui est ténèbres. L'évêque de Meaux a créé une langue que lui seul a parlée, où souvent le terme le plus simple et l'idée la plus relevée, l'expression la plus commune et l'image la plus terrible, servent, comme dans l'Écriture, à se donner des dimensions énormes et frappantes.

Ainsi, lorsqu'il s'écrie en montrant le cercueil de Madame : La voilà, malgré ce grand cœur, cette princesse si admirée et si chérie! la voilà

telle que la mort nous l'a faite! pourquoi frissonne-t-on à ce mot si simple, telle que la mort nous l'a faite? C'est par l'opposition qui se trouve entre ce grand cœur, cette princesse si admirée, et cet accident inévitable de la mort, qui lui est arrivé comme à la plus misérable des femmes ; c'est parce que ce verbe faire, appliqué à la mort qui défait tout, produit une contradiction dans les mots et un choc dans les pensées, qui ébranlent l'âme ; comme si, pour peindre cet événement malheureux, les termes avoient changé d'acception, et que le langage fût bouleversé

comme le cœur.

Nous avons remarqué qu'à l'exception de Pascal, de Bossuet, de Massillon, de La Fontaine, les écrivains du siècle de Louis XIV, faute d'avoir assez vécu dans la retraite, ont ignoré cette espèce de sentiment mélancolique, dont on fait aujourd'hui un si étrange abus.

Mais comment donc l'évêque de Meaux, sans cesse au milieu des pompes de Versailles, a-t-il connu cette profondeur de rêverie? C'est qu'il a trouvé dans la religion une solitude; c'est que son corps étoit dans le monde, et son esprit au désert; c'est qu'il avoit mis son cœur à l'abri dans les tabernacles secrets du Seigneur; c'est comme il l'a dit lui-même de Marie-Thérèse d'Autriche, « qu'on le voyoit courir aux autels

pour y goûter avec David un humble repos, et s'enfoncer dans son oratoire, où, malgré le tumulte de la Cour, il trouvoit le Carmel d'Élie, le désert de Jean, et la montagne si souvent témoin des gémissements de Jésus. »

Les Oraisons funèbres de Bossuet ne sont pas d'un égal mérite, mais toutes sont sublimes par quelque côté. Celle de la Reine d'Angleterre est un chef-d'œuvre de style, et un modèle d'écrit philosophique et politique.

Celle de la duchesse d'Orléans est la plus étonnante, parce qu'elle est entièrement créée de génie. Il n'y avoit là ni ces tableaux des troubles des nations, ni ces développements des affaires publiques, qui soutiennent la voix de l'orateur. L'intérêt que peut inspirer une princesse expirant à la fleur de son âge semble se devoir épuiser vite. Tout consiste en quelques oppositions vulgaires de la beauté, de la jeunesse, de la grandeur et de la mort; et c'est pourtant sur ce fonds stérile que Bossuet a bâti un des plus beaux monuments de l'éloquence;c'est de là qu'il est parti pour montrer la misère de l'homme par son côté périssable, et sa grandeur par son côté immortel. Il commence par le ravaler audessous des vers qui le rongent au sépulcre, pour le peindre ensuite glorieux avec la vertu dans des royaumes incorruptibles.

On sait avec quel génie, dans l'oraison funèbre de la princesse Palatine, il est descendu, sans blesser la majesté de l'art oratoire, jusqu'à l'interprétation d'un songe, en même temps. qu'il a déployé, dans ce discours, sa haute capacité pour les abstractions philosophiques.

Si, pour Marie-Thérèse et pour le chancelier de France, ce ne sont plus les mouvements des premiers éloges, les idées du panégyriste sontelles prises dans un cercle moins large, dans une nature moins profonde?-«Et maintenant, dit-il, ces deux âmes pieuses (Michel Le Tellier et Lamoignon), touchées sur la terre du désir de faire régner les lois, contemplent ensemble à découvert les lois éternelles d'où les nôtres sont dérivées; et si quelque légère trace de nos foibles distinctions paroît encore dans une si simple et si claire vision, elles adorent Dieu en qualité de justice et de règle.

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Au milieu de cette théologie, combien d'autres genres de beautés, ou sublimes, ou gracieuses, ou tristes, ou charmantes! Voyez le tableau de la Fronde : « La monarchie ébranlée jusqu'aux fondements, la guerre civile, la guerre étrangère, le feu au dedans et au dehors... Étoit-ce là de ces tempêtes par où le Ciel a besoin de se décharger quelquefois ?... ou bien étoitce comme un travail de la France, prête à en

TOME XIII.

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fanter le règne miraculeux de Louis1? » Viennent des réflexions sur l'illusion des amitiés de la terre, qui « s'en vont avec les années et les intérêts, » et sur l'obscurité du cœur de l'homme, qui ne sait jamais ce qu'il voudra, qui souvent ne sait pas bien ce qu'il veut, et qui n'est pas moins caché ni moins trompeur à lui-même qu'aux autres 2. >>

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Mais la trompette sonne, et Gustave paroît : <<< Il paroît à la Pologne surprise et trahie, comme un lion qui tient sa proie dans ses ongles, tout prêt à la mettre en pièces. Qu'est devenue cette redoutable cavalerie qu'on voit fondre sur l'ennemi avec la vitesse d'un aigle ? Où sont ces âmes guerrières, ces marteaux d'armes tant vantés, et ces arcs qu'on ne vit jamais tendus en vain? Ni les chevaux ne sont vites, ni les hommes ne sont adroits que pour fuir devant le vainqueur

3. »

Je passe, et mon oreille retentit de la voix d'un prophète. Est-ce Isaïe, est-ce Jérémie qui apostrophe l'île de la Conférence, et les pompes nuptiales de Louis?

« Fêtes sacrées, mariage fortuné, voile nup

*Or. fun. d'Ann. de Gonz.

2 Ibid.

3 lbid.

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