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choses de la nature, comment peindra-t-il l'homme avec éloquence? Les mots pour lui manquent de richesse, et les trésors de l'expression lui sont fermés. Contemplez, au fond de ce tombeau, ce cadavre enseveli, cette statue du néant, voilée d'un linceul : c'est l'homme de l'athée! Foetus né du corps impur de la femme, au-dessous des animaux pour l'instinct, poudre comme eux, et retournant comme eux en poudre, n'ayant point de passions, mais des appétits, n'obéissant point à des lois morales, mais à des ressorts physiques, voyant devant lui, pour toute fin, le sépulcre et des vers: tel est cet être qui se disoit animé d'un souffle immortel! Ne nous parlez plus des mystères de l'âme, du charme secret de la vertu : grâces de l'enfance, amours de la jeunesse, noble amitié, élévation de pensées, charmes des tombeaux et de la patrie, vos enchantements sont détruits!

Nécessairement encore l'incrédulité introduit l'esprit raisonneur, les définitions abstraites, le style scientifique, et avec lui le néologisme, choses mortelles au goût et à l'éloquence.

Il est possible que la somme de talents départie aux auteurs du dix-huitième siècle, soit égale à celle qu'avoient reçue les écrivains du

dix-septième . Pourquoi donc le second siècle est-il au-dessous du premier? Car il n'est plus temps de le dissimuler, les écrivains de notre âge ont été en général placés trop haut. S'il y a tant de choses à reprendre, comme on en convient, dans les ouvrages de Rousseau et de Voltaire, que dire de ceux de Raynal et de Diderot 2? On a vanté, sans doute avec raison, la méthode de nos derniers métaphysiciens. Toutefois on auroit dû remarquer qu'il y a deux sortes de clartés : l'une tient à un ordre vulgaire d'idées (un lieu commun s'explique nettement); l'autre vient d'une admirable faculté de concevoir et d'exprimer clairement une pensée forte et composée. Des cailloux au fond d'un ruisseau se voient sans peine, parce que l'eau n'est pas profonde; mais l'ambre, le corail et les perles appellent l'œil du plongeur à des profondeurs immenses, sous les flots transparents de l'abîme.

Or, si notre siècle littéraire est inférieur à celui de Louis XIV, n'en cherchons d'autre cause que

'Nous accordons ceci pour la force de l'argument; mais nous sommes bien loin de le croire. Pascal et Bossuet, Molière et La Fontaine sont quatre hommes tout-à-fait incomparables, et qu'on ne retrouvera plus. Si nous ne mettons pas Racine de ce nombre, c'est qu'il a un rival dans Virgile.

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notre irréligion. Nous avons déjà montré combien Voltaire eût gagné à être chrétien : il disputeroit aujourd'hui la palme des Muses à Racine. Ses ouvrages auroient pris cette teinte morale, sans laquelle rien n'est parfait; on y trouveroit aussi ces souvenirs du vieux temps, dont l'absence y forme un si grand vide. Celui qui renie le Dieu de son pays est presque toujours un homme sans respect pour la mémoire de ses pères; les tombeaux sont sans intérêt pour lui; les institutions de ses aïeux ne lui semblent des coutumes barbares; il n'a aucun plaisir à se rappeler les sentences, la sagesse et les goûts de sa mère.

que

Cependant il est vrai que la majeure partie du génie se compose de cette espèce de souvenirs. Les plus belles choses qu'un auteur puisse mettre dans un livre sont les sentiments qui lui viennent, par réminiscence, des premiers jours de sa jeunesse. Voltaire a bien péché contre ces règles critiques (pourtant si douces !), lui qui s'est éternellement moqué des mœurs et des coutumes de nos ancêtres. Comment se fait-il que ce qui enchante les autres hommes soit précisément ce qui dégoûte un incrédule?

La religion est le plus puissant motif de l'amour de la patrie; les écrivains pieux ont toujours répandu ce noble sentiment dans leurs.

écrits. Avec quel respect, avec quelle magnifique opinion, les écrivains du siècle de Louis XIV ne parlent-ils pas toujours de la France! Malheur à qui insulte son pays! Que la patrie se lasse d'être ingrate, avant que nous nous lassions de l'aimer; ayons le ceur plus grand que ses injustices.

Si l'homme religieux aime sa patrie, c'est que son esprit est simple, et que les sentiments naturels qui nous attachent aux champs de nos aïeux sont comme le fond et l'habitude de son cœur. Il donne la main à ses pères et à ses enfants; il est planté dans le sol natal, comme le chêne qui voit au-dessous de lui ses vieilles racines s'enfoncer dans la terre, et à son sommet des boutons naissants qui aspirent vers le ciel.

Rousseau est un des écrivains du dix-huitième siècle dont le style a le plus de charme, parce que cet homme, bizarre à dessein, s'étoit au moins créé une ombre de religion. Il avoit foi en quelque chose qui n'étoit pas le Christ, mais qui pourtant étoit l'Evangile; ce fantôme de christianisme, tel quel, a quelquefois donné beaucoup de grâces à son génie. Lui qui s'est élevé avec tant de force contre les sophistes, n'eût-il pas mieux fait de s'abandonner à la tendresse de son âme, que de se perdre, comme

eux, dans des systèmes, dont il n'a fait que rajeunir les vieilles erreurs 1?

Il ne manqueroit rien à Buffon s'il avoit autant de sensibilité que d'éloquence. Remarque étrange, que nous avons lieu de faire à tous moments, que nous répétons jusqu'à satiété, et dont nous ne saurions trop convaincre le siècle : sans religion, point de sensibilité. Buffon surprend par son style; mais rarement il attendrit. Lisez l'admirable article du chien; tous les chiens y sont : le chien-chasseur, le chien-berger, le chien sauvage, le chien grand-seigneur, le chien petitmaître, etc. Qu'y manque-t-il enfin? le chien de l'aveugle. Et c'est celui-là dont se fût d'abord souvenu un chrétien.

En général, les rapports tendres ont échappé à Buffon. Et néanmoins rendons justice à ce grand peintre de la nature: son style est d'une perfection rare. Pour garder aussi bien les convenances, pour n'être jamais ni trop haut ni trop bas, il faut avoir soi-même beaucoup de mesure dans l'esprit et dans la conduite. On sait que Buffon respectoit tout ce qu'il faut respecter. Il ne croyoit pas que la philosophie consistât à afficher l'incrédulité, à insulter aux autels de vingt-quatre millions d'hommes. Il étoit

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