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« La terre, s'écrie Isaïe, chancellera comme un homme ivre: elle sera transportée comme une tente dressée pour une nuit1. »

Voilà le sublime en contraste. Sur la phrase elle sera transportée, l'esprit demeure suspendu et attend quelque grande comparaison, lorsque le prophète ajoute, comme une tente dressée pour une nuit. On voit la terre, qui nous paraît si vaste, déployée dans les airs comme un petit pavillon, ensuite emportée avec aisance par le Dieu fort qui l'a tendue, et pour qui la durée des siècles est à peine comme une nuit rapide.

La seconde espèce de comparaison, que nous avons attribuée à la Bible, c'est-à-dire la longue comparaison, se rencontre ainsi dans Job:

« Vous verriez l'impie humecté avant le lever du soleil, et réjouir sa tige dans son jardin. Ses racines se multiplient dans un tas de pierres et s'y affermissent; si on l'arrache de sa place, le lieu même où il était le renoncera, et lui dira : « Je ne t'ai point connu2. »

Combien cette comparaison, ou plutôt cette figure prolongée, est admirable! C'est ainsi que les méchants sont reniés par ces cœurs stériles, par ces tas de pierres, sur lesquels, dans leur coupable prospérité, ils jettent follement leurs racines. Ces cailloux, qui prennent la parole, offrent de plus une sorte de personnification presque inconnue au poète de l'Ionie 3.

Ézéchiel, prophétisant la ruine de Tyr, s'écrie: «Les vaisseaux trembleront, maintenant que vous êtes saisie de frayeur; et les îles seront épouvantées dans la mer, en voyant que personne ne sort de vos portes *. »

Y a-t-il rien de plus effrayant que cette image? On croit voir cette ville, jadis si commerçante et si peuplée, debout encore avec ses tours et ses édifices, tandis qu'aucun être vivant ne se promène dans ses rues solitaires, ou ne passe sous ses portes désertes.

1 ISAÏE, chap. XXIV, v. 20.

2 JOB, chap. VIII, v. 16, 17, 18.

Homère a fait pleurer le rivage de l'Hellespont.
ÉZECHIEL, chap. XXVI, V. 18.

T.L.

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Venons aux exemples de narration, où nous trouverons réunis le sentiment, la description, l'image, la simplicité et l'antiquité des

mœurs.

Les passages les plus fameux, les traits les plus connus et les plus admirés dans Homère, se retrouvent presque mot pour mot dans la Bible, et toujours avec une supériorité incontestable.

Ulysse est assis au festin du roi Alcinoüs, Démodocus chante la guerre de Troie et les malheurs des Grecs.

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« Ulysse, prenant dans sa forte main un pan de son superbe manteau de pourpre, le tirait sur sa tête pour cacher son noble visage, et pour dérober aux Phéaciens les pleurs qui lui tombaient des yeux. Quand le chantre divin suspendait ses vers, Ulysse essuyait ses larmes, et, prenant une coupe, il faisait des libations aux dieux. Quand Démodocus recommençait ses chants, et que les anciens l'excitaient à continuer (car ils étaient charmés de ses paroles), Ulysse s'enveloppait la tête de nouveau, et recommençait à pleurer. >>

Ce sont des beautés de cette nature qui, de siècle en siècle, ont assuré à Homère la première place entre les plus grands génies. Il n'y a point de honte à sa mémoire de n'avoir été vaincu dans de pareils tableaux que par des hommes écrivant sous la dictée du Ciel. Mais vaincu, il l'est sans doute, et d'une manière qui ne laisse aucun subterfuge à la critique.

Ceux qui ont vendu Joseph, les propres frères de cet homme puissant, retournent vers lui sans le reconnaître, et lui amènent le jeune Benjamin qu'il avait demandé.

« Joseph les salua aussi en leur faisant bon visage, et il leur demanda : Votre père, ce vieillard dont vous parliez, vit-il encore, se porte-t-il bien? << Ils lui répondirent: Notre père, votre serviteur, est encore en vie, et il se porte bien; et, en se baissant profondément, ils l'adorèrent.

<< Joseph, levant les yeux, vit Benjamin son frère, fils de Rachel sa mère, et il leur dit : Est-ce là le plus jeune de vos frères dont vous m'aviez parlé ? Mon fils, ajouta-t-il, je prie Dieu qu'il vous soit toujours favorable.

<< Et il se hâta de sortir, parce que ses entrailles avaient été émues en voyant ton frère, et qu'il ne pouvait plus retenir ses larmes; passant donc dans une autre chambre, il pleura.

1 Odyss., liv. VIII, V. 83, etc.

« Et, après s'être lavé le visage, il revint, et, se faisant violence, dit à ses serviteurs: Servez à manger1. »

Voilà les larmes de Joseph en opposition à celles d'Ulysse; voilà des beautés semblables, et cependant quelle différence de pathétique! Joseph, pleurant à la vue de ses frères ingrats, et du jeune et innocent Benjamin; cette manière de demander des nouvelles d'un père, cette adorable simplicité, ce mélange d'amertume et de douceur, sont des choses ineffables; les larmes en viennent aux yeux, et l'on se sent prêt à pleurer comme Joseph.

Ulysse, caché chez Eumée, se fait reconnaître à Télémaque; il sort de la maison du pasteur, dépouille ses haillons, et, reprenant sa beauté par un coup de baguette de Minerve, il rentre pompeusement vêtu.

Θάμβησε δέ μιν φίλος υἱὸς, etc. 2.

« Son fils bien-aimé l'admire et se hâte de détourner sa vue, dans la crainte que ce ne soit un dieu. Faisant un effort pour parler, il lui adresse rapidement ces mots: Étranger, tu me parais bien différent de ce que tu étais avant d'avoir ces habits, et tu n'es plus semblable à toi-même. Certes, tu es quelqu'un des dieux habitants du secret Olympe; mais sois-nous favorable, nous t'offrirons des victimes sacrées et des ouvrages d'or merveilleusement travaillés.

«Le divin Ulysse, pardonnant à son fils, répondit: Je ne suis point un dieu. Pourquoi me compares-tu aux dieux ? Je suis ton père, pour qui tu supportes mille maux et les violences des hommes. Il dit, et il embrasse son fils, et les larmes qui coulent le long de ses joues viennent mouiller la terre ; jusqu'alors il avait eu la force de les retenir. >>

Nous reviendrons sur cette reconnaissance; il faut voir auparavant celle de Joseph et de ses frères.

Joseph, après avoir fait mettre une coupe dans le sac de Benjamin, ordonne d'arrêter les enfants de Jacob; ceux-ci sont consternés; Joseph feint de vouloir retenir le coupable: Juda s'offre en otage pour Benjamin; il raconte à Joseph que Jacob lui avait dit, avant de partir pour l'Égypte :

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« Vous savez que j'ai eu deux fils de Rachel ma femme. L'un d'eux étant allé aux champs, vous m'avez dit qu'une bête l'avait dévoré ; il ne paraît point jusqu'à cette heure.

<< Si vous emmenez encore celui-ci, et qu'il lui arrive quelque accident dans le chemin, vous accablerez ma vieillesse d'une affliction qui la conduira au tombeau.

<< Joseph ne pouvant plus se retenir, et parce qu'il était environné de plusieurs personnes, il commanda que l'on fit sortir tout le monde, afin que nul étranger ne fût présent lorsqu'il se ferait reconnaître de ses frères.

« Alors les larmes lui tombant des yeux, il éleva fortement sa voix, qui fut entendue des Egyptiens et de toute la maison de Pharaon.

« Il dit à ses frères: JE SUIS JOSEPH mon père vit-il encore? Mais ses frères ne purent lui répondre, tant ils étaient saisis de frayeur.

<< Il leur parla avec douceur, et leur dit : Approchez-vous de moi ; et s'étant approchés de lui, il ajouta : Je suis Joseph votre frère, que vous avez vendu pour l'Égypte.

« Ne craignez point. Ce n'est pas par votre conseil que j'ai été envoyé ici, mais par la volonté de Dieu. Hâtez-vous d'aller trouver mon père.

« ...

Et, s'étant jeté au cou de Benjamin son frère, il pleura, et Benjamin pleura aussi en le tenant embrassé.

<< Joseph embrassa aussi tous ses frères, et il pleura sur chacun d'eux 1. »

La voilà cette histoire de Joseph, et ce n'est point dans l'ouvrage d'un sophiste qu'on la trouve (car rien de ce qui est fait avec le cœur et des larmes n'appartient à des sophistes); on la trouve, cette histoire, dans le livre qui sert de base à une religion dédaignée des esprits forts, et qui serait bien en droit de leur rendre mépris pour mépris. Voyons comment la reconnaissance de Joseph et de ses frères l'emporte sur celle d'Ulysse et de Télémaque.

Homère, ce nous semble, est d'abord tombé dans une erreur en employant le merveilleux. Dans les scènes dramatiques, lorsque les passions sont émues, et que tous les miracles doivent sortir de l'àme, l'intervention d'une divinité refroidit l'action, donne au sentiment l'air de la fable, et décèle le mensonge du poète, où l'on ne pensait trouver que la vérité. Ulysse, se faisant reconnaître sous ses haillons à quelque marque naturelle, eût été plus touchant. C'est ce qu'Homère lui-même avait senti, puisque le roi d'Ithaque se découvre à sa nourrice Euryclée par une ancienne cicatrice, et à Laërte par la circonstance des treize poiriers que le vieillard avait donnés à Ulysse

Genèse, chap. XLIV, v. 27 et suiv.; chap. XLV, V. 1 et suiv,

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